**Une décision importante**
En traversant le parc, Élodie monta sur un pont et sarrêta brusquement. Elle sapprocha de la rambarde, pencha légèrement son corps et regarda en bas. La rivière en contrebas était froide et sombre, pas très profonde peut-être, mais si jamais on y tombait Élodie eut peur de ses propres pensées et reprit rapidement sa marche.
Elle rentrait de chez son amie Sophie, où elle avait passé la nuit après avoir fui la maison la veille, lors dune terrible dispute. La mère de Sophie, une femme incroyablement gentille, lavait accueillie chaleureusement.
« Entre, ma petite Élodie, Sophie est dans sa chambre », avait-elle dit sans poser de questions sur létat dagitation de lamie de sa fille.
La mère de Sophie, Catherine, comprenait quil y avait forcément une raison. Elle avait nourri les deux filles, leur avait offert du thé avec des croissants et les avait envoyées se coucher. Le lendemain étant un jour de repos, Élodie avait décidé de rentrer chez elle, ne voulant pas abuser de lhospitalité de tante Catherine.
« Merci, tante Catherine, je rentre à la maison. Mes parents doivent sinquiéter », avait-elle dit avant de partir.
Après avoir traversé le pont, Élodie aperçut une petite église. Cétait étrange, elle ne lavait jamais remarquée auparavant, même si elle était passée par là des dizaines de fois avec Sophie. Poussée par une impulsion soudaine, elle entra.
Une messe était en cours, il ny avait pas beaucoup de monde. Élodie avança et regarda autour delle, cétait sa première fois dans une église. Son regard se posa sur une grande icône : une jeune femme tenant tendrement un bébé dans ses bras. Élodie resta hypnotisée par cette image. Au bout dun moment, une voix douce lui chuchota à loreille :
« Ne réfléchis pas trop, ma fille. Garde-le. Tout ira bien. »
Élodie sursauta.
« Comment avez-vous deviné ? » murmura-t-elle.
« Oh, ma petite, jai vécu assez longtemps pour reconnaître les tourments du cœur », répondit la vieille femme avec un sourire apaisant. « Crois-moi, tout se passera bien. Tu nes ni la première ni la dernière. Aucune femme na jamais regretté davoir gardé son enfant. Et jen ai vu beaucoup comme toi ici. Garde-le et ne laisse personne te décourager. »
Le prêtre récitait une prière, la vieille dame se signait et sinclinait. Élodie resta encore un moment dans léglise avant de sortir et de reprendre le chemin de la maison.
« Advienne que pourra », se dit-elle, convaincue que la vieille dame avait raison.
La veille, après les cours, Élodie et Sophie sétaient assises sur un banc dans le parc. Élodie ne voulait pas rentrer, trop bouleversée.
« Alors, tu as pris une décision, Élodie ? Tu gardes le bébé ? Et Antoine, tu lui as dit ? » lui avait lancé son amie, pleine de questions. « Et tes parents ? »
« Sophie, tu parles trop vite, laisse-moi respirer ! » avait répondu Élodie.
Sa tête était dans le brouillard. Elle ne savait pas quoi faire. Elle était en deuxième année de fac, et voilà quelle était enceinte. Comment allait-elle lannoncer à ses parents, surtout à sa mère ? Carole était stricte et imprévisible. Elle naccepterait jamais ça.
« Maman va me tuer », murmura Élodie. « Antoine ma dit quil ne voulait pas de cet enfant, quil nétait pas prêt à être père. Il ma même demandé de ne plus lappeler. Je ne mattendais pas à une telle lâcheté de sa part On était ensemble depuis le lycée, et il était mon premier. »
Sophie ne mâcha pas ses mots en parlant dAntoine, révoltée par sa trahison.
« Ta mère va piquer une crise, cest sûr », avait dit Sophie, moins convaincue, en repensant à Carole. « Mais toi, quest-ce que tu veux ? »
« Sophie, je suis perdue. Je suis en deuxième année, Antoine ma lâchée Maman sera contre, cest certain. Ce nest même pas moi qui décide. » Elle essuya une larme.
« Bon, daccord. Rentrons. Ce soir, jannonce ça à mes parents. »
Le drame éclata dans la soirée. Carole, les yeux exorbités, hurlait :
« Comment as-tu pu ? Tu es en deuxième année de fac, où avais-tu la tête ? Tu ne sais pas quil faut se protéger ? Pas question que tu gardes cet enfant ! Tu dois finir tes études. Je ne te laisserai pas gâcher ta vie ! »
« Carole, tu perds la tête », intervint le père, dune voix ferme. « Quest-ce que tu veux quelle fasse ? »
« Claude, tais-toi ! » répliqua Carole sèchement. « Elle doit étudier, pas changer des couches ! Surtout que personne ne veut lépouser. Antoine a disparu, le lâche Qui voudra delle avec un enfant et sans diplôme ? Alors, vite, à lhôpital ! »
« Carole, et nous, alors ? Élodie est notre fille, on laidera à élever notre petit-enfant. Franchement, tu me déçois. »
« Bien sûr, Claude, ce nest pas toi qui vas laver les bodies et toccuper du bébé ! Tu as ton boulot. Tout retombera sur moi, alors que je travaille aussi. Et puis, à quarante ans, je nai pas envie de redevenir une esclave des biberons et des nuits blanches ! » criait Carole, hystérique.
Élodie, recroquevillée sur elle-même, comprit que la discussion ne mènerait à rien. Elle attrapa vite ses affaires et quitta la maison. Ses parents se hurlaient dessus, sans même remarquer son départ. Elle se réfugia chez Sophie, sachant que sa gentille mère, tante Catherine, la réconforterait.
Le soir même, Élodie rentra chez elle. Le calme était revenu. Son père feuilletait son téléphone, sa mère saffairait dans la cuisine.
« Ah, te voilà », grommela sa mère en lui lançant un regard noir.
« Ma chérie, tu es revenue, cest bien », dit doucement son père. « Tu étais chez Sophie ? »
« Oui, papa, chez Sophie. »
Elle se planta au milieu du salon et déclara dune voix forte, pour que sa mère entende depuis la cuisine :
« Je garde le bébé. Cest ma décision, et elle est définitive. »
Elle avait parlé avec une telle assurance que sa mère ne répondit même pas.
Les jours passèrent, latmosphère à la maison sapaisa. Un après-midi, alors quÉlodie et Sophie étaient assises sur un banc après les cours, la mère dAntoine sapprocha delles. Élodie se raidit, même si elle savait que Nathalie était une femme calme et bienveillante.
« Bonjour, les filles. Élodie, je peux te parler ? »
« Bonjour », répondirent-elles en chœur. « Oui, bien sûr », murmura Élodie. Sophie séloigna discrètement.
Nathalie sassit à côté delle. Élodie était tendue.
« Je sais que tu es enceinte. Ne sois pas fâchée, mais Sophie ma appelée pour me le dire. Elle a bien fait. Élodie, je ten supplie, garde-le. Je te promets de taider. »
Élodie sattendait à tout sauf à ça.
« Je sais que mon fils est un salaud de tavoir abandonnée. Il nest pas prêt à assumer. Moi, je te promets mon soutien, moral et financier. »
« Pourquoi ? » demanda Élodie, surprise.
« Ma fille aînée ne peut pas avoir denfants. Et Antoine je nai plus beaucoup despoir pour lui. Il est encore un gamin. Je ne sais pas sil me donnera un jour des petits-enfants. Mais celui-ci, cest le sien. Il sera mon petit-fils, et je veux participer à sa vie. »
Élodie vit dans ses yeux une sincérité qui la toucha.
Thibault naquit alors quÉlodie commençait sa troisième année. Un bébé joufflu et rieur qui faisait la joie de son grand-père Claude et de Nathalie, qui venait souvent le garder. Tout aurait été parfait sans Carole. Peu avant la naissance, elle fit ses valises et quitta la maison en lançant :
« Restez donc là, à vous noyer dans les couches et les nuits blanches. Moi, je pars. Je refuse de devenir une grand-mère à quarante ans. »
Carole partit vivre avec un collègue, avec qui elle avait une liaison depuis des années. Elle croyait que personne nétait au courant, mais tout le monde le savait sauf Claude. Ils travaillaient dans des quartiers différents.
Claude fut effondré en apprenant que sa femme le trompait depuis si longtemps. Lui, mari fidèle et père dévoué, navait jamais imaginé une telle trahison.
Élodie choisit de ne pas prendre de congé parental. Son père et Nathalie firent tout pour laider, et elle réussit à valider sa troisième année.
Thibault grandissait. Antoine fut appelé sous les drapeaux.
« Peut-être que larmée le fera mûrir », espéra Nathalie.
Puis, vers la fin de son service :
« Antoine a décidé de rester militaire. Il ne veut pas rentrer. Tant mieux, peut-être quil deviendra enfin responsable. »
Les années passèrent. Élodie obtint son diplôme. Thibault entra en CP. Carole, elle, avait coupé les ponts, ne donnant plus aucune nouvelle.
Un soir, Élodie annonça à son père :
« Papa, je sors avec Olivier. On travaille ensemble, il est génial »
« Ma chérie, ça me fait plaisir, mais il faudra que je le rencontre. »
« Bien sûr ! Ce soir, après le boulot, on vient ensemble. »
Olivier, grand et charmant, entra dans lappartement et serra la main de Claude.
« Bonsoir, monsieur Fournier. »
« Bonsoir, bonsoir », répondit Claude en linvitant à sasseoir.
Élodie fut surprise de voir comme les deux hommes sentendaient bien. Ils avaient plein de points communs, y compris leurs études.
« Élodie, Olivier est un garçon bien. Sérieux, intelligent et surtout, il adore Thibault », conclut Claude.
Bientôt, Thibault eut un nouveau papa, et Claude, un excellent gendre. Nathalie était heureuse pour Élodie, même si elle craignait de moins voir son petit-fils. Mais elle avait tort. Rien ne changea, et tout le monde était content.
Un jour, en se promenant dans le parc avec Olivier et Thibault, une main sur son ventre rond, Élodie repensa à la vieille dame de léglise.
« Elle avait raison. Aucune femme ne regrette davoir gardé son enfant. »
Élodie était heureuse. Olivier aussi. Il adorait sa femme et attendait avec impatience la naissance de leur petite fille.







