J’ai découvert dans le tiroir du bureau une note : «Il sait. Fuis!»

Elle a trouvé, glissée dans le tiroir du bureau, une petite note : «Il sait. Fuis».
Madame Dubois, pourriezvous vérifier les fiches de catalogue dans le troisième tiroir? Il semblerait que les étudiants aient encore tout mélangé, a déclaré la directrice de la bibliothèque, Antoinette Péron, en ajustant ses lunettes au bout du nez. Et, sil vous plaît, ne restez pas tard ce soir. Vous travaillez trop ces derniers temps.
Daccord, Antoinette, je men occupe, a acquiescé Mireille Vacher, à peine levée les yeux de lécran. Dès que je finirai linventaire électronique des nouvelles acquisitions.

Antoinette a secoué la tête et a quitté le service de catalogage, ses talons claquant sur le parquet ancien. La bibliothèque de quartier occupait lancienne façade dun lycée du XIXᵉ siècle, avec ses hauts plafonds, sa corniche sculptée et ses planchers qui grinçaient, annonçant larrivée de chaque visiteur bien avant quil napparaisse.

Mireille était en effet restée jusquà tard ces trois dernières semaines, mais ce nétait pas par simple assiduité. Chez elle, depuis le départ de Sébastien, qui avait emporté non seulement ses affaires mais aussi la chaleur et le cocooning qui habitaient leur petit appartement, il ne régnait plus quun silence ponctué du tictac dune vieille horloge léguée par sa grandmère.

À la bibliothèque, le travail ne cessait jamais. Mireille adorait lodeur des livres, le froissement des pages, même la poussière qui saccumulait malgré les efforts de la femme de ménage, tante Claire. Là, elle se sentait utile, à sa place.

Mireille, noublie pas, demain nous recevons un écrivain, a interrompu la porte Océane, jeune bibliothécaire du pôle abonnement. Il faut préparer la petite salle et imprimer les affiches.
Je nai pas oublié, Océane, a souri Mireille. Les affiches sont déjà prêtes, elles sont dans le tiroir supérieur de mon bureau. Prendsles, jai encore du catalogage à faire.

Océane a tiré le tiroir en chêne massif et a sorti le dossier contenant les affiches.

Cest quoi ça? a demandé-elle en extrayant un papier du paquet.
Quoi? a répondu Mireille, se retournant.
Une petite note, peutêtre tombée du dossier.

Océane lui a tendu le morceau de papier plié en quatre. Mireille la déroulé et a lu, dune écriture ample, trois mots : «Il sait. Fuis». Son cœur a raté un battement. La première pensée a été : «Cest une blague». Mais au fond delle, elle savait que ce nétait pas le cas. Elle a plié la note avec précaution et la glissée dans la poche de son cardigan.

Cest du vent, a dit-elle, essayant de garder un ton désinvolte. Probablement quun étudiant la laissée tomber. Ils aiment échanger des petites notes ici.

Océane haussa les épaules.
Bon, je vais accrocher les affiches.

Quand la porte sest refermée derrière Océane, Mireille a ressorti la note. «Il sait. Fuis». Qui sait? De quoi? Et qui a écrit cet avertissement?

Lécriture était familière, mais Mireille ne parvenait pas à la replacer. Ce nétait pas celui dun collègue. Peutêtre celui de Sébastien? Pourquoi auraitil laissé une telle phrase? Ils sétaient séparés en bons termes, il avait simplement déclaré ne plus éprouver les mêmes sentiments, quils restaient amisune scène de roman à leau de rose.

Mireille a tenté de se concentrer, mais ses pensées revenaient sans cesse à la note. Elle a fini le catalogue, remis les clés à la veilleuse, et est sortie dans la soirée doctobre, froide et bruineuse. La pluie fine mouillait les lampadaires, diffusant des halos jaunes dans le brouillard.

Le trajet jusquà chez ellequinze minutes à piedpassait habituellement par le vieux parc et la petite cour avec ses balançoires où les enfants jouent le jour. Ce soir, chaque ombre semblait menaçante, chaque bruit la faisait sursauter. «Il sait. Fuis». Fuir de qui?

En entrant dans limmeuble, Mireille a poussé un soupir de soulagement. Lescalier était calme, la lumière tamisée. Au troisième étage, elle a ouvert la porte de son appartement. Tout était comme dhabitude : le silence, lodeur de cannelle provenant dun sachet dencens suspendu à lentrée, rappel discret de labsence de Sébastien.

Elle a déposé son manteau, sest dirigée vers la cuisine, mis leau à bouillir, sorti la salade dhier du frigo. Elle navait pas faim, mais elle voulait occuper ses mains pour ne pas repenser à la note.

Le téléphone a sonné. Le numéro affiché était celui de sa mère.
Bonjour, maman, a répondu Mireille, tentant de parler calmement.
Ma chérie, comment vastu? a demandé la mère, linquiétude perçant sa voix. Je sens une angoisse toute la journée. Tout va bien chez toi?
Oui, tout va bien, a menti Mireille. Sa mère sinquiétait déjà trop depuis la rupture. Juste un peu fatiguée du travail.

Tu ne viendrais pas chez moi ce weekend? Je ferai des tartes, tu pourras te reposer un peu
Peutêtre, maman. On se rappelle vendredi, daccord?

Après lappel, le sentiment de solitude sest intensifié. Le thé a refroidi, le téléviseur restait muet. Mireille a repris la note, fixant les trois mots. «Il sait. Fuis».

On a frappé à la porte, dix heures du soir. Qui pouvait venir à une heure pareille? Mireille, sur la pointe des pieds, a jeté un coup dœil dans le judas. Sur le palier se tenait Monsieur Michel Stein, le voisin âgé du dessus.
Qui estça? a demandé Mireille, précautionneuse.
Cest moi, Michel. Ouvre, ma petite.

Elle a ouvert sans retirer la chaîne.
Désolé du dérangement, a bafouillé le voisin, embarrassé. Jai une fuite de tuyau, leau coule jusquà chez vous?
Non, tout est sec, a répondu Mireille, soulagée. Merci de mavoir prévenu.

Michel a souri, a dit quun plombier passerait le lendemain. Une fois parti, Mireille a réalisé quelle sétait laissée emporter par lanxiété, que la note était probablement un canular détudiant. Elle sest rassurée en se disant que son imagination était simplement en surchauffe après tous les romans policiers quelle dévorait.

Elle sest allongée, mais le sommeil ne venait pas. Le bruit de la pluie, les voitures lointaines, tout semblait sinistre.

Le lendemain, après un petitdéjeuner rapide et un café corsé, elle sest rendue à la bibliothèque. La journée sannonçait chargée: larrivée de lécrivain, le rangement de la petite salle, et la finalisation des nouvelles acquisitions.

Leffervescence régnait déjà. Antoinette Péron distribuait les consignes, Océane arrangeait les chaises, tante Claire frottait les sols avec un air renfrogné.

Mireille, un homme ma demandé votre présence, a annoncé la tante Claire en passant. Un grand type en manteau sombre. Je lui ai dit que vous nétiez pas encore arrivée.
Un homme? a demandé Mireille, arrêtant son pas. Il ne sest pas présenté?
Non, il a dit quil reviendrait plus tard.

Dans la tête, le même refrain: «Il sait. Fuis». Qui était cet inconnu? Que voulaitil? Mireille a essayé de se ressaisir.

Elle sest installée devant lordinateur, voulant se perdre dans le travail. Au bout de quinze minutes, on a frappé.

Entrez, a appelé Mireille, sans quitter lécran.

La porte sest ouverte sur un grand homme en manteau noir. Son cœur a fait un bond. Cétait André, ancien camarade de classe de Sébastien, quelle navait vu que quelques fois.

Bonjour, Mireille, a-til dit en refermant la porte. Désolé de vous déranger, mais il faut parler.
De quoi? a répliqué Mireille, la voix haute, un peu effrayée.

André a jeté un regard autour, comme sassurant quil ny avait personne, puis sest assis en face delle.

Cest à propos de Sébastien, a-til murmuré. Et de vous.

Nous sommes séparés, a rétorqué Mireille sèchement. Si vous avez une affaire avec lui, adressezlalui directement.

Ce nest pas votre rupture, a contrerépondu André. Cest bien plus grave.

Il sest penché, la voix baissée.

Vous avez reçu ma note ?
Mireille a senti un frisson parcourir son échine.

Votre note? «Il sait. Fuis»? Que veutelle dire?

André a évité le regard de la porte, puis a sorti son téléphone, montrant une photo. Sur limage, Sébastien discutait avec un homme devant un immeuble gris.

Cest le siège de «Investissements Levant», la société qui a escroqué des centaines de retraités en promettant des rendements démesurés.

Mireille a secoué la tête.

Mais il travaille dans un garage automobile

Cest une couverture, a indiqué André, montrant une seconde photo où lhomme était en costume, un des chefs de lopération.

Mireille était sous le choc. Le Sébastien quelle connaissait, amateur de cuisine du dimanche et collectionneur de vinyles, était-il un escroc?

Pourquoi avezvous écrit «Fuis»? a demandé-elle, la gorge serrée.

Parce quil est dangereux, a répondu André. Quand jai commencé à creuser, on a commencé à me surveiller. Un informateur a «pété» avant de disparaître.

Mireille a senti le vertige.

Que faire? a suppliéelle.

Partir, au moins temporairement, jusquà ce que tout se calme. Vous avez où aller?

Elle a pensé à sa mère, habitant une petite ville à trois cents kilomètres.

Jai un plan, a acquiescé André. Je vous contacterai dès que cela sera sûr.

Après son départ, Mireille est restée immobile, les yeux dans le vide, comme happée par un roman. Elle a finalement pris son courage à deux mains et sest dirigée vers Antoinette.

Je dois mabsenter durgence, atelle dit, le visage pâle. Un problème familial, puisjeje prendre quelques jours de congé?

Antoinette a regardé Mireille, inquiète.

Quelque chose sest passé? Vous avez lair épuisée.

Ma mère est malade, a menti Mireille. Je dois aller la voir.

Bien sûr, partez. Nous gérerons la rencontre avec lécrivain sans vous.

Mireille a rapidement bouclé une petite valise : passeport, quelques euros, quelques vêtements. Elle a appelé sa mère.

Maman, jarrive ce soir, en train.

Tout va bien? a demandé la mère, la voix tremblante.

Non, juste… le manque, a répondu Mireille.

En passant devant son armoire, elle sest arrêtée. Une vieille photo encadrée delle et Sébastien, bronzés, au bord de la mer, rappelait un été heureux. Elle a tenu la photo, contemplant le visage de lhomme quelle avait tant aimé.

Un coup à la porte a fait sursauter Mireille. Elle a jeté un œil au judas. Sur le palier, cétait Sébastien.

Le cœur battant à tout rompre, elle a entendu sa voix, calme mais fatiguée.

Mireille, je sais que vous êtes chez vous, ouvrez, sil vous plaît. Nous devons parler.

Elle est restée muette, tremblante.

Cest à propos dAndré, a continué Sébastien. Il était chez vous aujourdhui, non?

Comment pouvaitil savoir? Étaitil vraiment sous surveillance?

Écoutez, ce nest pas ce que vous croyez, a suppliéil. André sest trompé. Je peux tout expliquer.

Mireille a gardé le silence, cherchant désespérément une issue. Fuir par le balcon? Elle habitait au troisième étage. Appeler la police? Que diraitelle, «mon ex veut me parler»?

Daccord, a baissé la garde Sébastien. Si vous ne voulez pas ouvrir, je laisserai une note sous la porte. Lisezla, appelezmoi.

Il a déposé un papier, a monté les escaliers, et a disparu. Mireille a ouvert la porte, a ramassé la feuille.

«Mireille, je travaille sous couverture. Jenquête sur Investissements Levant avec la police. André est suspect. Ne le croyez pas. Appelezmoi, je vous explique tout. Sébastien».

Elle a relu la note plusieurs fois, le cœur partagé entre les deux messages: «Il sait. Fuis» et «Ne le crois pas».

Elle a composé le numéro de son ancienne amie Marine, avocate au parquet.

Marine, désolée de vous déranger, jai besoin de votre aide. Pouvezvous vérifier ces informations?

Marine a écouté, a hoché la tête, puis a proposé de se rencontrer dans un petit café du quartier.

Une heure plus tard, assises autour dun espresso, Marine a passé les doigts sur la table, réfléchissant.

Je peux enquêter sur Sébastien et André, mais cela prendra du temps. En attendant, partez chez votre mère, ce sera plus sûr.

Mireille a hoché la tête, a remercié, et a embarqué dans le train qui séloignait vers lest. En regardant les lumières de la ville sestomper, elle repensait à hier, bibliothécaire ordinaire, à aujourdhui, héroïne dun thriller.

Le téléphone a vibré. Cétait Marine.

Jai confirmé, a-telle. Sébastien était bel et bien sous couverture. Il collabore avec la brigade financière. André, en revanche, est lun des fondateurs dInvestissements Levant.

Le sang a glacé le cou de Mireille. André lavait manipulée pour léloigner de Sébastien.

Que faire maintenant? a demandé-elle.

Retournez, a conseillé Marine. Sébastien vous attend.

Mireille est descendue à la prochaine gare, a repris le train pour revenir. À la gare, Sébastien lattendait, le visage buriné par linquiétude.

Merci dêtre revenue, atil dit, soulagé.

Pourquoi ne pas mavoir tout dit? a exigé Mireille.

Je ne pouvais pas, a admisil. Cétait une opération secrète, toute fuiteAlors, main dans la main, ils décidèrent de reconstruire leur confiance, prêts à affronter les ombres du passé ensemble.

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