Katya, une jeune femme désuète, rêvait désespérément de se marier. Alors que les jeunes femmes d’aujourd’hui sont moins enclines à l’idée du mariage : pourquoi traîner un cochon à la maison quand une simple saucisse suffit ?

Je me souviens, il y a longtemps, de la vie de Clémence, une jeune femme dune époque où se marier était encore considéré comme le but ultime. De nos jours, les filles ne cherchent plus à épouser un homme: pourquoi amener un cochon entier chez soi quand une simple saucisse suffit? Et les saucisses, aujourdhui, sont partout, de toutes formes et de toutes tailles. Le simple fait de cohabiter est désormais bien vu, loin du ridicule dautrefois. Alors que jadis la morale, la honte, la fierté et la probité dictaient les comportements, aujourdhui ces notions semblent presque superflues.

Le personnage de Bouchard, jadis vilain; aujourdhui on le voit comme un riche rentier, payé régulièrement par son domaine. S’il fallait remettre un smartphone à Ilya Ilic, il deviendrait sans doute un blogueur à succès. Quant au mariage, on vit comme on veut: on se rencontre dans des hôtels ou des studios à lheure, on invente des unions «de convenance», sans même passer par la mairie. Qui sait ce qui peut surgir après la cérémonie? Autrefois, les chaussettes perdues ou lincapacité à préparer une soupe étaient de vrais drames. Aujourdhui, on redoute davantage linfantilisme, le «mamanisme» et le «nihiloblivisme» des hommes, tout comme le même nihiloblivisme qui envahit les demoiselles, adorant leur propre beauté. Les exigences se multiplient, mais pas seulement le pain et le spectacle: on mange soimême. Et, bien sûr, le shopping.

Clémence était une exception agréable: jolie, sans aucun artifice moderne, sans «tuning» du corps. Elle était diplômée dune grande école, occupait un poste respectable avec un salaire décent. Pourtant, les hommes ne la remarquaient pas, passant à côté delle comme sils suivaient dautres sentiers, trébuchant toujours sur les mêmes râteaux. Cela ne veut pas dire quelle navait pas dhommes; elle était belle, mais rien ne menait à la mairie, alors quelle approchait la trentaine, âge où, sous lAncien Régime, on parlait déjà de «première mère». Elle ne voulait pas enfanter seule.

Clémence croyait aux horoscopes, ou plutôt aux prévisions astrologiques, ces inventions de gens rusés pour arnaquer les gens. Les prédictions étaient toujours positives: «Mardi matin, vous ferez la rencontre décisive dun magnat». Elle gardait donc une brosse à dents dans son sac, au cas où ce magnat aurait de sérieux projets. Elle cherchait un partenaire selon les signes du zodiaque: Sagittaire, signe de feu, avec les Béliers et les Lions, le Sagittaire étant le plus calme.

Son premier grand amour survint en première année duniversité, alors que les jeunes de dixhuit ans étaient encore considérés comme des bambins. Les cours déducation sexuelle étaient alors bien différents, et les jeunes se retrouvaient vite dans le «jardin» des plaisirs. Elle dut bientôt faire face aux factures de lélectricité, du transport et à la nourriture. Les produits nétaient plus à prendre dans le frigo de la famille, mais à acheter soimême. Ses parents lavaient toujours aidée, mais vivre seule ne suffisait plus pour deux personnes. Son petitami, Vadim, fut surpris:

«Ce nest pas à toi dacheter les courses?»

«Pourquoi moi?»

«Le frigo est le tien, je ne suis pas le maître des lieux!»

Clémence, pleine desprit, répliqua :

«Si cest seulement cela, je peux te déléguer toutes les responsabilités; gèretoi comme bon te semble!»

Et Vadim disparut, ne les revoyant plus à la fac. Le feu du Sagittaire ne les avait pas réunis. Le mariage ne se concrétisa jamais, mais Clémence continuait à rêver.

Le deuxième prétendant arriva en troisième année, non plus de luniversité mais dun autre cercle. Serge, plus de trente ans, était divorcé mais promettait de lépouser. Il aimait Clémence, mais il était au chômage. À cette époque, avant que les nouvelles maladies et les opérations spéciales ne fassent leur entrée, le pays nétait pas encore aussi compliqué. Pourtant, les difficultés persistaient: il était constamment viré, les exigences des patrons absurdes, le rythme de travail insoutenable. Il cherchait à subsister, à la fois analyste et livreur, mais le salaire nexistait plus. Clémence essaya de laider :

«Peutêtre un petit boulot de coursier?»

«Je suis analyste!»

«Un analyste peut aussi être coursier, non?»

Le dialogue se transforma en querelle sur la façon de se sustenter. Serge, en colère, déclara :

«Le temps est long, comme le disait Mayakovski!»

Clémence, toujours perspicace, rétorqua :

«Alors ne me demande plus à manger!»

Leur dispute aboutit à une injure «tu vas me couper les jambes?», ce qui fit rougir Serge. Il savéra quil était Capricorne, signe réputé pour son travail et sa fiabilité. Mais même les signes ne pouvaient sauver leur relation.

Le troisième prétendant, Léon, était également croyant aux étoiles. Ils sétaient rencontrés sur un forum dastrologie, et leurs sentiments avaient fleuri. Léon, Taureau, terreux comme un Capricorne, était très sensible aux mots. Il déformait constamment les noms du zodiaque, ce qui exaspéra Clémence :

«Pourquoi modifietu les mots?»

«Cest drôle, non?»

Elle se souvint des paroles de sa grandmère: «Tu ne me plais pas, tout est déjà réglé sans moi». Les jeux de mots de Léon «SnéDurochka», «Stérvadesse», «Dubina Regovitska» lagaçaient grandement, même si elle était déjà dans la trentaine. Malgré cela, ils partageaient un bon travail, Léon était père dun fils adulte.

Le vrai drame éclata lors dune fête familiale, en présence du grandpère de Clémence, ancien agent du SDECE. Léon, Taureau, semporta et appela le célèbre général Dzerjinski «Zherdin». Le vieux, dorigine polonaise, cria :

«Jesus!Vaten, espèce de porc!»

Ce fut le point de rupture. Le mariage avec Léon ne se concrétisa jamais, et le signe du Taureau se révéla trop rancunier.

Finalement, Clémence rencontra Pierre, un veuf, sans enfants, charmant, plutôt aisé, diplômé et doté dun humour fin. Né sous le signe de la Vierge, il était reconnu pour son économie et son sens du foyer. Leur union sembla promise. Ils présentèrent une demande de logement commun, et Pierre voulut que Clémence le fasse inscrire sur son bail.

«Pourquoi?Tu es déjà inscrit chez toi!»

«Aujourdhui, il faut être enregistré, sinon on ne va nulle part!»

Pierre, étonné, répondit :

«Nous nous aimons, nous sommes une famille, tout doit être partagé!»

Clémence répliqua, rappelant une vieille blague :

«Enregistremoi ton appartement, sil te plaît!Ah, excusemoi, je voulais dire: croistu en Dieu?»

Leur discussion se transforma en un compromis: «Si ce nest que le logement, habitons à tour de rôle, un mois chez moi, un mois chez toi». Elle voyait déjà les limites de cette idée, mais elle navait plus dautre option.

Pierre, avare, ne voulait plus quitter son petit studio. Le silence sinstalla, les deux ne sachant comment avancer. Finalement, Pierre proposa :

«Clémence, allons au cinéma?»

«Avec plaisir!»

Elle en profita pour demander :

«Tu vas vraiment me faire inscrire?Je ne comprends plus rien!»

Pierre détourna les yeux, trébucha et sortit, laissant le dîner inachevé. Ils natteignirent jamais la cérémonie.

Deux des amies de Clémence sétaient «mariées»: lune pendant six mois, lautre pendant un an, la troisième, comme dans une blague, sétait mariée doucement. Clémence, elle aussi, avait vécu plus dun mois avec plusieurs «mariages civils», et ressentait de lamour, même si cet amour était plus un acte que le sentiment.

Dans son pays, on disait que le temps dure longtemps, et que la fertilité sétend aujourdhui jusquà soixante ans. Ainsi, même si les saucisses étaient partout, Clémence, après trente ans, décida de ne plus chercher le mariage. Elle fut promue, changea lappartement de sa grandmère pour un deuxpièces, soffrit une voiture étrangère et partit en vacances. Elle conclut que la vie était réussie, que lâge de procréer sest allongé, et que les «saucisses» abondaient à nouveau.

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