Mélodie de la Vie ou Libellule?

Je mappelle Julien, et je vous raconte lhistoire de Lilou Dubois, que lon appelait affectueusement «Lilou la petite». Petite comme un fagot, taille de guimauve, les yeux verts comme la mousse et un rire qui résonne comme une cloche, elle attirait toujours le regard des hommes, jeunes ou vieux. On aime, en France, les petites femmes: on les chérit, on les protège, on les porte comme un trésor. On dit même que «la petite jument fait toujours le plus beau poulain».

Lilou avait un don rare: un timbre mezzosoprano qui faisait vibrer les salles et les couloirs. Elle chantait partout où elle le pouvait. Le jour, elle travaillait comme technicienne de laboratoire dans lusine de SaintQuentin, mais la nuit, son cœur appartenait à la musique. Elle sinscrivait à tous les chœurs de la ville, passait dune petite scène à une autre, dabord timide, puis plus assurée. Sa passion était son oxygène.

Elle ne pressait jamais le mariage, ni même les enfants. Pour elle, «mariage, enfants», cétait le temps que lon consacre à dautres obligations, alors que le chant réclame toute son énergie. Elle en parlait souvent autour dun café avec ses amies déjà mariées, qui acquiesçaient en soupirant puis partaient en congé maternité, une, deux, trois fois.

Un jour, au travail, Lil·ou rencontra le chef datelier, Antoine Girard. Elle devait remettre régulièrement des rapports à son bureau. La secrétaire, Zoé Lefèvre, gardait la porte comme une sentinelle. Chaque fois que Lilou passait, Zoé lui arrachait les dossiers, souriait et disait: «Mademoiselle, vous êtes libre, je transmettrai tout à Monsieur Girard.»

Un matin, Zoé tomba malade. Lilou frappa doucement à la porte, entra et découvrit Antoine assis derrière son grand bureau. «Entrez, mademoiselle! Quavezvous?», demanda le chef. Elle bafouilla: «Les rapports déchantillons». Antoine, intrigué, lui demanda si elle était nouvelle. Elle répondit quelle travaillait là depuis plus de cinq ans. Il sourit, les deux échangèrent quelques plaisanteries, puis elle regagna son poste. Depuis, elle déposa ellemême les dossiers sur le bureau du chef, tandis que Zoé, rétablie, se contentait de faire pousser des fleurs sur le rebord de la fenêtre, lignorant.

Lilou avait vingtsept ans quand un bref flirt de bureau débuta. Antoine, homme droit et respectable, ne voulait pas jouer les héros de boulevard. Il proposa rapidement à Lilou de se marier. Elle rechigna dabord, préférant la liberté. Antoine était étonné; à sa place, nimporte quelle femme aurait couru après lui, beau, sobre, travailleur, aimable Il décida de lui laisser du temps pour réfléchir.

Ses amies du travail la pressèrent: «Un homme comme lui ne te quittera pas! Tu te marieras bientôt!» Lilou céda. Le mariage fut grandiose; dans une petite robe blanche, un voile léger et des souliers minuscules, elle ressemblait à une poupée de porcelaine. Antoine était aux anges, et Lilou, bien que tolérante, ne montrait que peu démotion envers son mari, préservant son énergie pour le chant.

Après un mois de noces, elle repartit en tournée régionale maisons de retraite, écoles, festivals. Antoine, sans se plaindre, lui demanda simplement: «Lilou, prépare-moi quelque chose à manger et repasse ma chemise, sil te plaît.» Elle répliqua, pressée: «Pas le temps, Antoine!» Il lembrassa sur le nez, sexcusant de lembêter, et la laissa reprendre le chemin de la scène.

Le temps passa, Lilou quitta lusine pour se consacrer à la voix. Antoine shabitua à la vie dune femme artiste qui ne voulait pas «tenir la maison». Un jour, il demanda à sa secrétaire, Zoé, de lui préparer un café. Elle revint avec un plateau de chaussons aux cerises et proposa: «Je vous offre une pâtisserie, Monsieur!» Antoine, amusé, accepta. Puis Zoé voulut lui coudre un bouton qui se détachait. Il répondit, un brin mélancolique, que sa femme était trop occupée à chanter pour quil puisse laider. Zoé, un peu amère, murmura: «La femme chante, le mari hurle comme un loup.»

Zoé commença à nourrir Antoine de soupes, de borschts, de petites galettes aux cerises. Il ne se rendait pas compte quil était devenu dépendant de la gentillesse de sa secrétaire, mais il restait fidèle à Lilou.

Quatre ans après le mariage, la famille ne comptait toujours que deux personnes. Lilou ne parlait jamais denfants. Un jour, elle sembellit, prit du poids, et demanda à Antoine de faire le plein de cornichons et de pommes confites, signe traditionnel que lon sapprête à accueillir un «petit moineau». Antoine était fou de joie, pensant à un bébé.

Lilou, cependant, décida de consulter un médecin pour mettre fin à une grossesse non désirée. Le médecin, impitoyable, lui dit quil était trop tard et lencouragea à accoucher dun enfant en bonne santé. Antoine, ignorant tout, parcourut les boutiques de Paris à la recherche de la poussette la plus chère (299) et du lit bébé idéal (179).

Zoé apprit la nouvelle, soupira et déposa son CV. Un remplaçant, Tatiana Moreau, plus âgée, arriva, critiquant Antoine: «Quel dommage, il a perdu la meilleure secrétaire!» Antoine la repoussa: «Travaillez, Madame Moreau, et ne vous laissez pas distraire.»

Lilou donna naissance à une petite fille. La sagefemme lui demanda son prénom, mais elle resta muette. Antoine arriva en trombe, bouquet en main, mais Lilou ne le laissa pas sortir de sa chambre. Les autres mamans de la maternité tentaient de la consoler, chacune racontant ses propres drames. Lune criait: «Je suis la mère dun amant!», une autre «Je nai plus dhomme!», etc. Lilou, les oreilles bouchées, se disait que leurs problèmes la rendaient pourtant plus heureuse que la sienne.

Une infirmière tenta de lui remettre les fleurs dAntoine, mais elle les laissa sur la table de chevet. Le lendemain, Antoine fut envoyé en mission à Lyon, un chantier qui ne le laissait pas de retour. Deux semaines plus tard, il rentra en trombe, espérant retrouver sa fille. Il trouva seulement Lilou, en pleine répétition, les partitions éparpillées.

«Lilou, où est notre petite?», demanda-t-il, incrédule. Elle, les yeux dans le vide, répondit: «Jai signé le renoncement.» Antoine, hors de lui, sexclama: «Renoncement? Tu es folle! Cest notre sang!» Il arracha les partitions, les broya, et les jeta au visage de Lilou: «Voilà tes notes, imbécile!»

Terrifiée, Lilou ne savait plus où fuir. Antoine, sans émotion, prit son sac, y jeta ses affaires et claqua la porte. Il erra dans les rues de Paris, criant: «Où est lamour?Aidezmoi!» Mais les passants, pressés, lignoraient.

Le soir suivant, il demanda à la nouvelle secrétaire, Tamara, le téléphone de Zoé, espérant la joindre pour un dernier dernier mot. Tamara, souriante, lui tendit le papier, murmurant: «Un autre de ces «affaires»»

Lilou, brisée, décida de se replonger dans le chant. Elle partit dans un centre de vacances où un concert fut organisé à son honneur. Elle revint sur scène, reprit ses partitions, les chanta, et le public lacclama, lui lança des fleurs, réclama des rappels. Elle parcourut toute la France en tournée, puis, fatiguée, troqua la scène contre la pédagogie. Sans diplômes, mais avec une riche expérience, elle devint professeure de chant pour les enfants.

Un jour, une collègue lui demanda dentendre une petite fille talentueuse. Elle accepta. Deux adolescentes, accompagnées dAntoine, pénétrèrent dans la salle. Antoine, voyant Lilou, sécria: «Mon Dieu, pourquoi moi?» Il tenta de calmer la situation, mais Lilou, émue, linterrogea sur son état civil. Antoine, fier, présenta sa nouvelle compagne Zoé, son ancienne secrétaire, et leurs deux filles: KSophie (née de Lilou) et MClara (avec Zoé). Lilou, sous le choc, ne comprit pas.

«Ta fille?Celle que jai?» balbutiat-elle. Antoine, indifférent, répondit: «Tu las simplement donnée naissance, cest tout.» Il sortit, laissant Lilou seule, tandis que les petites filles hurlaient: «Maman, on court à la maison!»

Treize ans sécoulèrent depuis ce jour. Lilou, aujourdhui, rentra chez elle, épuisée, pour découvrir son chat Musicien, qui attendait patiemment près de son bol. Elle le repoussa dun revers de pied, le grondant: «Pas maintenant!» Il sen alla, sinstallant confortablement.

Elle pensa alors: «Quaije fait de ma vie? Jai chanté, mais jai perdu tout le reste.» Elle repassa en boucle les notes de sa propre existence, comme une mélodie triste. Elle se coucha, enveloppée dans son plaid «familial», et se souvint du proverbe de la cigale: «Tu as chanté tout lété, maintenant il faut faire face à lhiver.»

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