Cher journal,
Mon mari ma abandonnée. Il a emporté nos économies, les dizaines de milliers deuros que nous avions mis de côté pour acheter un appartement à Paris, et il sest enfui. Je me suis retrouvée seule dans un petit studio loué, avec ma fille de six mois, Églantine. Ma bellemère, Madame Dupont, a appris la nouvelle et est arrivée chez moi en me disant :
«Emballe tes affaires, viens vivre avec moi, moi et la petite.»
Jai essayé de refuser. Depuis des années, Madame Dupont et moi nous affrontions sans jamais échanger un mot doux. Jamais aucune de nous navait entendu le moindre compliment de lautre. Et puis, quand mon mari est parti, cest elle la seule à mavoir tendu la main. Ma propre mère, Madame Martin, ma répondu quil ny avait plus de place pour moi chez elle. Ma sœur aînée, Sophie, était également opposée; elle vit avec ses enfants chez notre mère, et moi, je reste là, comme un navire à la dérive.
«Merci, je serai très reconnaissante de ton hospitalité,» aije marmonné, la première fois que je disais merci à ma bellemaman.
«Allez, ma petite, ce nest pas la peine de faire tout un drame!» a-t-elle rétorqué en prenant Églantine dans ses bras. «Viens, ma belle, préparetoi, et on ne te dérangera pas. Tu veux aller chez grandmère, chérie ? Bien sûr que oui. Grandmère te racontera des histoires, temmènera se promener, tissera tes petites tresses»
En entendant le doux cliquetis de ses mots, je nen croyais pas mes oreilles. Elle me répétait toujours quelle ne toucherait pas à mon «bâton». Jai donc fait mes valises et nous avons emménagé chez Madame Dupont. Elle nous a attribué une grande chambre, tandis quelle sest installée dans le petit studio attenant. Jai cligné des yeux, stupéfaite, et elle a dit :
«Alors, le bébé a besoin despace, il va bientôt ramper. Moi, je nai pas besoin de grand chose. Installezvous, le dîner sera prêt dans une heure.»
Pour le souper, elle ma proposé des légumes vapeur et de la viande bouillie. «Tu es une maman allaitante,» a-t-elle ajouté, «si tu veux, je peux faire frire quelque chose, mais une alimentation légère est meilleure pour la petite. Cest à toi de décider.»
Le frigo débordait de petits pots de purées pour enfants. «Il est temps dessayer de nouvelles saveurs, non? Si Églantine naime pas, nous achèterons autre chose. Dismoi, nhésite pas,» a souri Madame Dupont.
Les larmes ont jailli. Sa bienveillance, si inattendue, ma touchée au plus profond. Jamais personne ne sétait souciée de moi et de ma fille comme elle. Elle ma prise dans ses bras :
«Silence, ma fille, les hommes sont étranges. Jai moi aussi élevé ton mari seule. Son père est parti quand il navait que huit mois. Je ne laisserai pas ma petitefille grandir ainsi. Assez pleuré, relèvetoi!»
Entre deux sanglots, je lui ai avoué que je nattendais pas une telle douceur de sa part et je lai remerciée :
«Merci, vraiment. Sans toi, je ne sais pas où nous serions allées, Églantine et moi.»
Elle a reconnu sa part de responsabilité : «Je suis coupable davoir mal élevé ton père. Maintenant, je vais réparer ce que je peux. Va te laver le visage, et va au lit. Demain sera meilleur.»
Nous avons fêté le premier anniversaire dÉglantine toutes les trois moi, ma petite et Madame Dupont, notre «grandmère» et ange gardien. Nous avons posé la fillette pour sa sieste, bu un thé, savouré une part de gâteau, quand la sonnette a retenti. Madame Dupont a ouvert la porte.
«Maman, voici Monique. Monique, voici ma mère. Maman, peuxtu nous héberger un moment? Je nai plus les moyens de payer un loyer, je nai pas de travail.»
Entendre la voix de mon exmari ma glacé le sang. Jai craint quelle ne les laisse entrer et quelle expulse ma fille et moi. Les larmes ont afflué de nouveau.
«Dégagez! Emmenez votre petiteamie. Vous avez volé votre femme et votre enfant, vous êtes partis les mains vides. Voilà ce que la vie vous rend. Partez, et toi, Monique, fais attention. Il pourrait aussi te laisser sans le sou.»
Javais tellement tort sur Madame Dupont. Elle est devenue plus quune seconde mère, elle est devenue ma première. Nous avons vécu sous le même toit pendant six ans, jusquà mon remariage. Le jour de mon mariage, elle a occupé la place de la mère de la mariée. Aujourdhui, Églantine est à lécole, et mon futur petitfrère est sur le point de naître. Madame Dupont se réjouit déjà à lidée daccueillir un petitenfant.
Je repense à tout ça en écrivant, et je réalise à quel point la vie peut changer de cap du jour au lendemain.
À demain.







