Le Retour à la Vie

Il y a de cela bien des années, je me souviens encore de mon retour à la vie, après tant de temps dobscurité. Claire nétait plus allée dans lappartement de son fils depuis longtemps. Elle nen avait plus la force, ni lenvie. Les larmes sétaient taries depuis des mois ; le chagrin sétait mué en une douleur sourde et constante, en une impasse qui ne cessait de la ronger.

Antoine, son fils, venait davoir vingthuit ans. Il navait jamais plaint de problèmes de santé, avait terminé ses études à lUniversité de Lyon, travaillait dans une société dingénierie, fréquentait la salle de sport et sortait avec une petite amie. Deux mois auparavant, il sétait couché et navait jamais ouvert les yeux.

Claire sétait séparée de son mari lorsque son fils navait que six ans ; elle avait alors trente ans. La raison était la plus banale infidélité, à plusieurs reprises. Lancien époux ne payait jamais la pension, se planquait. Antoine avait grandi sans père, aidé par les grandsparents. Quelques amours passés avaient traversé sa vie, mais elle navait jamais osé se remarier.

Elle avait travaillé, dabord en louant un petit comptoir dans un supermarché pour y vendre des montures et des lunettes. Médecin ophtalmologiste de profession, elle avait fini par contracter un prêt et acheter son propre local, créant ainsi une solide « Optique Claire », où elle tenait également son cabinet. Elle y recevait les patients, conseillait et ajustait les lunettes.

Lan passé, ils avaient acheté à Antoine un studio dune pièce, sur le même étage que le sien, avec de modestes travaux de rafraîchissement. « Vivre, cest vivre », se disait-elle alors.

Un jour, la poussière sétait accumulée partout. En essuyant le sol, elle avait déplacé le canapé et, des profondeurs du meuble, était tombé le téléphone dAntoine. Elle lavait mis à charger, espérant retrouver un peu de ses souvenirs.

Chez elle, les larmes aux yeux, elle avait feuilleté les photos du téléphone : Antoine au travail, en vacances avec ses amis, avec sa petite amie. Elle avait ouvert Viber, où, tout en haut, un message de son vieil ami Didier lattendait. Une photo dune jeune femme inconnue, accompagnée dun petit garçon qui ressemblait à une copie conforme de son petit Antoine.

« Tu te souviens, on traînait chez Lise pour le Nouvel An, à lépoque où lon était encore à luniversité ? Elle avait une amie Jai rencontré cette amie avec son gamin, elle loue un appartement en face. Le gamin, il te ressemble bêtement! On a pris une photo, souvenir. » Le message était daté dune semaine avant le drame. Antoine lavait donc lu et navait rien dit à sa mère! Voilà la tournure de lhistoire.

Claire connaissait ladresse de Didier. Le lendemain, après le travail, elle sest rendue au domicile indiqué. Le petit garçon, Théo, sest présenté en courant, le visage éclatant à la vue de quelquun quil ne connaissait pas encore comme sa « grandmère ». Il jouait à la bicyclette et suppliait quon le laisse rouler un peu.

« Tu nas pas de vélo? » lui demanda Claire. Le garçon secoua la tête : « Non ».

Une jeune femme, à peine plus de vingt ans, sapprocha. Son maquillage criard dénaturait à peine son visage doux. « Vous qui êtes? » demanda-t-elle. Claire, émue, répondit : « Je crois que je suis la grandmère de ce petit. » La jeune femme se présenta : « Je mappelle Clémence, la mère de Théo. Enchantée. »

Claire les invita au café du coin. Théo réclama une glace, elle prit un café. Clémence raconta comment, il y a six ans, elle était partie de son village du Limousin à seize ans, inscrite à un lycée professionnel pour devenir couturière. Pendant les vacances de Noël, son amie Léa lavait invitée chez elle. Léa et elle étaient dans la même promotion, les parents de Léa étant partis rendre visite à des proches.

Léa fréquentait Didier. Il était venu célébrer le réveillon chez elles avec son ami Antoine. Ce soir-là, Clémence et Antoine sétaient laissés emporter par la passion. Antoine avait laissé son téléphone, promettant de rappeler, mais nappela jamais. Quand Clémence découvrit sa grossesse, elle lappela. Antoine, furieux, laissa un message avec de largent pour interrompre la grossesse, puis la força à disparaître de sa vie. Elle ne le revit jamais.

Elle navait pas terminé ses études, fut expulsée du foyer étudiant avec son enfant. Retourner au village était impossible : sa mère était décédée depuis longtemps, son père et son frère vivaient dans lalcool. Elle loua une petite chambre chez une vieille veuve, gardait Théo pendant que elle travaillait. Elle devait remettre presque tout son salaire, peinait à obtenir une place en crèche. Elle travaillait dans une petite fabrique de raviolis, peu rémunérée mais suffisante pour subsister.

Le jour suivant, Claire déplaça Théo et Clémence dans le studio dAntoine. Une toute nouvelle vie souvrit à elle. Le petit fut inscrit dans une crèche privée respectable. Claire dû acheter des vêtements pour Clémence et le garçon ; elle sadonna à ces achats avec un plaisir nouveau. Théo ressemblait à Antoine en tout : les yeux, les gestes, même lentêtement.

Claire prit sous son aile Clémence. Elle lui apprit à se maquiller correctement, à shabiller, à prendre soin delle, à cuisiner et à garder la maison rangée. En bref, elle lui enseigna tout ce quelle savait.

Un soir, assises devant la télévision, Théo serra Claire dans ses bras et déclara: « Tu es ma préférée! » À cet instant, Claire comprit quelle néprouvait plus ce vide abyssal ; le chagrin ne pesait plus sur ses épaules comme un rocher. Elle ressentit quelle était revenue à une existence normale, où la joie pouvait à nouveau trouver sa place. Tout cela grâce à ce petit être, son petitfils.

Deux années passèrent. Claire et Clémence accompagnèrent Théo à la maternelle, puis au CP. Clémence était devenue lassistante indispensable de Claire dans loptique. Elle avait trouvé un compagnon sérieux, désireux dune relation stable. Claire ny voyait aucun inconvénient ; la vie continue, après tout.

Il semblait que, bientôt, elle ellemême se marierait. Un vieil ami de confiance la pressait denvisager le mariage. Pourquoi pas? À cinquantequatre ans, elle était toujours belle, indépendante, avec une silhouette élégante et un caractère doux. Elle se sentait prête à accueillir une nouvelle page damour dans le livre de sa vie.

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Le Retour à la Vie
В объятиях забытого времени