Ma mère n’avait qu’un seul œil. Je la détestais. Son état me remplissait de honte. Pour nourrir la famille, elle travaillait comme cuisinière dans une école. Un jour, alors que j’étais en primaire, elle est venue me rendre visite. Le sol sest dérobé sous mes pieds. Comment avait-elle osé ? Jétais mort de honte. Jai fait semblant de ne pas la voir, lui ai lancé un regard noir et me suis enfui. Le lendemain, un camarade ma dit : « Hé, ta mère, elle na quun œil ! » Jaurais voulu disparaître. Je rêvais quelle sévanouisse dans la nature. Ce jour-là, je lai croisée et lui ai craché : « Tu ne veux pas mourir pour arrêter de me ridiculiser ? »
Elle na pas répondu. Jétais trop en colère pour réfléchir à ce que je disais. Ses sentiments ? Peu importe. Je ne la voulais pas à la maison. Jai travaillé dur, suis parti étudier à Lyon, me suis marié, acheté une maison. Javais des enfants, une vie heureuse. Un jour, ma mère est arrivée chez moi. Elle navait pas vu ses petits-enfants depuis des années. En la voyant, les enfants ont éclaté de rire. Comment osait-elle venir effrayer mes gosses ? Je lui ai hurlé : « DEHORS ! » Elle a murmuré : « Pardon Je me suis trompée dadresse » avant de disparaître.
Plus tard, jai reçu une invitation pour une réunion danciens élèves. Prétextant un voyage daffaires à Marseille, jy suis allé. Par curiosité, je suis passé par notre vieille maison. Les voisins mont appris sa mort. Aucune tristesse. Ils mont remis une lettre :
« Mon chéri, je nai jamais cessé de penser à toi. Je regrette dêtre allée à Lyon et davoir effrayé tes enfants. Jétais si heureuse dapprendre ta venue Mais je ne savais pas si je pourrais me lever pour te voir. Je suis désolée de tavoir fait honte toute ta vie. Tu sais, quand tu étais petit, tu as eu un accident et perdu un œil. Je ne supportais pas lidée que tu grandisses comme ça. Alors, je tai donné le mien. Aujourdhui, je suis fière : cest toi qui vois le monde à ma place. Avec tout mon amour, ta maman. Je suis resté figé, la lettre tremblant entre mes mains. Le monde autour sest tu. Soudain, chaque regard fuyant, chaque mot cruel, chaque fois où je lavais repoussée mest revenu comme un boomerang en plein cœur. Jai retiré lentement mon œil artificiel et lai posé sur la table. Pour la première fois, jai pleuré celle que je navais jamais vue.







