– Comment oses-tu t’habiller ainsi sous mon toit ? – siffla ma belle-mère devant les invités

Ne tavise pas de thabiller ainsi sous mon toit ! chuchota la belle-mère devant les invités.

Aurélie, tu nas pas vu mes lunettes ? Je crois les avoir laissées sur la table basse, demanda Élodie Marceau en jetant un œil dans la cuisine où sa belle-fille saffairait sur une salade festive.

Regardez dans leur étui, Élodie. Jai rangé le salon et les y ai mises, répondit Aurélie sans quitter des yeux ses légumes, quelle taillait avec une précision chirurgicale.

La belle-mère pinça les lèvres sans mot dire. Dans son esprit, on ne touchait pas aux affaires des autres, même avec les meilleures intentions. Surtout pas aux siennes. Mais elle se retint de faire des remarques aujourdhui, jour important où les conflits navaient pas leur place.

Trente ans. Voilà le temps quÉlodie avait passé dans cette demeure spacieuse aux plafonds hauts, meublée dantiquités héritées de sa propre belle-mère. Chaque recoin lui était familier, chaque objet avait sa place. Bien que la maison appartînt officiellement à son fils Théo, elle sen considérait toujours comme la maîtresse.

Aurélie, elle, ny vivait que depuis deux ans. Pour Élodie, ce mariage avait été une mauvaise surprise : son fils avait ramené à la maison une femme rencontrée trois mois plus tôt, dynamique, diplômée, et surtout horreur ! avec des idées beaucoup trop modernes à son goût.

La salade est presque prête, annonça Aurélie en disposant son œuvre sur un grand plat. Il me reste juste le temps de me changer avant larrivée des invités.

Jespère que tu ne comptes pas mettre cette robe rouge ? fit Élodie dun ton détendu, tout en lissant ses cheveux gris impeccablement coiffés.

Aurélie simmobilisa une seconde avant de lever les yeux vers sa belle-mère.

Cest exactement ce que je comptais faire. Théo me la offerte pour notre anniversaire.

Cette robe nest absolument pas adaptée à un dîner de famille, trancha Élodie. Trop décolletée. Tu as cette ravissante robe bleue au col Claudine que je tai offerte pour Noël.

Aurélie soupira profondément. Elle navait porté cette robe bleue digne dune collégienne quune seule fois, lors du réveillon, pour ne pas vexer Élodie. Depuis, elle pendait au fond de son placard.

Élodie, à trente-deux ans, je pense pouvoir choisir seule ma tenue, répondit-elle avec douceur mais fermeté.

Bien sûr, sourit Élodie, forcée. Rappelle-toi simplement que ce soir, ce sont mes amis qui viennent. Des gens dune autre génération, avec des idées bien arrêtées sur les convenances.

Sans attendre de réponse, elle quitta la cuisine, laissant Aurélie seule avec ses mots non-dits et son irritation grandissante.

Dans la chambre, Théo enfila une chemise fraîchement repassée. En voyant sa femme, il sourit :

Alors, tout est prêt pour la réception des hôtes illustres ?

Presque, répondit Aurélie en sortant la fameuse robe rouge. Ta mère a encore des remarques sur mes vêtements.

Théo soupira :

Ne fais pas attention. Tu sais bien quelle veut juste faire bonne impression devant ses amis.

«Nous» ou «moi» ? rétorqua Aurélie en examinant la robe. Elle était un peu audacieuse, certes, avec son décolleté profond et sa fente discrète, mais rien qui méritât un tel scandale.

Aurélie, pas ce soir, daccord ? Théo lenlaça par-derrière. Pour maman, cette soirée compte beaucoup. Trente ans dans cette maison, cest presque toute sa vie.

Et pour moi, cest important de garder mon self-respect, murmura-t-elle. Je ne suis plus une adolescente à qui on dicte sa tenue.

Théo hésita, tiraillé entre lenvie de soutenir sa femme et celle de ne pas peiner sa mère.

Mets ce que tu veux, finit-il par dire. Tu es la plus belle dans toutes tes robes.

Aurélie lui déposa un baiser sur la joue. Lirritation bouillonnait encore en elle, mais pour lui, elle se contiendrait.

Les invités commencèrent à arriver vers six heures. Dabord Mathilde et son mari, vieux amis dÉlodie depuis lépoque où ils travaillaient ensemble dans un bureau détudes. Puis la voisine, Colette, une petite dame au regard pétillant et à la langue bien affûtée. Suivirent dautres des contemporains dÉlodie, avec qui elle entretenait des liens depuis des décennies.

Aurélie et Théo accueillaient chacun dans lentrée, prenaient les manteaux, échangeaient des politesses. Élodie trônait dans le salon, disposant les plats sur la table tout en racontant ses voyages de jeunesse.

Lorsque tout le monde fut réuni, Aurélie se glissa dans la cuisine pour les derniers préparatifs. Elle y trouva sa belle-mère en train de sortir un cake moelleux du four.

Japporte les plats chauds, dit Aurélie. Tout le monde a hâte de goûter ton fameux gratin.

Élodie acquiesça, mais son regard resta fixé sur le décolleté dAurélie. La robe rouge lui allait à ravir, soulignant sa silhouette élancée. Rien de vulgaire, juste une élégance assumée mais aux yeux dÉlodie, cétait presque une provocation.

Tu nas vraiment rien de plus convenable ? gronda-t-elle entre ses dents.

Nous en avons déjà parlé, Élodie, répondit Aurélie avec calme. Cette robe est parfaitement adaptée.

Dans ma jeunesse, un dîner de famille ne nécessitait pas de sexhiber ainsi, rétorqua Élodie en posant son cake avec un claquement sec.

Aurélie sentit le sang lui monter aux joues. Elle aurait voulu riposter, mais se retint pas maintenant, pas devant les invités.

Rejoignons les autres, dit-elle simplement en prenant le plat de gratin.

Dans le salon, lambiance était joyeuse. Théo racontait une anecdote drôle sur son travail, faisant rire toute lassemblée. Aurélie déposa le plat et sapprêta à sasseoir près de lui, mais Élodie la devança :

Aurélie, tu pourrais aller chercher du pain ? Il me semble quil ny en a plus.

Cétait faux la corbeille était presque pleine. Mais Aurélie hocha la tête et retourna à la cuisine. Derrière elle, elle entendit Élodie murmurer à Mathilde :

Je léduque petit à petit. La jeunesse daujourdhui na plus aucune notion de bienséance.

Aurélie simmobilisa sur le seuil, les poings serrés. Puis, après un long soupir, elle revint dans le salon les mains vides.

Il reste assez de pain, Élodie, dit-elle en sasseyant près de Théo.

La belle-mère lui lança un regard noir mais se tut. La soirée continua toasts, souvenirs, discussions animées. Aurélie participait, souriait aux blagues, mais la tension entre elles sépaississait comme un brouillard.

Lors du dessert, Colette sexclama soudain :

Mais quelle belle bru tu as, Élodie ! Et cette robe rouge lui va à merveille on dirait une couverture de magazine !

Élodie sourit avec raideur :

Aurélie aime suivre la mode. Elle oublie juste parfois que la modestie est la plus belle parure dune femme.

Allons, à notre époque, il faut en profiter ! rétorqua Colette. Je laurais portée, moi, cette robe, si javais eu sa silhouette ! Continue comme ça, ma petite.

Aurélie lui adressa un sourire reconnaissant. À ce moment, la bouilloire siffla dans la cuisine.

Je vais préparer le thé, dit-elle en se levant.

Élodie limita :

Je taide.

Dans la cuisine, la belle-mère ferma la porte et se tourna vers Aurélie, le visage déformé par la colère.

Ne te permets plus jamais de thabiller ainsi chez moi, gronda-t-elle. Cest indécent, vulgaire, et insultant pour moi et mes invités !

Aurélie recula, stupéfaite.

Élodie, quest-ce qui vous prend ? Cest une robe tout à fait classique.

Ne fais pas semblant ! La voix dÉlodie tremblait de rage. Tu las mise exprès pour mhumilier devant mes amis. Montrer que mes règles ne comptent pas pour toi !

Cest faux, rétorqua Aurélie. Je lai mise parce quelle est belle et que mon mari votre fils, au passage laime.

Théo est trop indulgent ! Et tu en profites pour le manipuler !

La porte souvrit, révélant Théo. Son expression disait quil avait tout entendu.

Quest-ce qui se passe ici ? demanda-t-il, regardant tour à tour sa mère et sa femme.

Rien de grave, répondit Élodie, retrouvant soudain un ton presque normal. Nous parlions juste tenue vestimentaire.

Jai entendu, maman, dit Théo doucement. Et je nai pas aimé ce que jai entendu.

Élodie pâlit.

Théo, tu ne comprends pas

Non, cest toi qui ne comprends pas. Il se plaça près dAurélie. Aurélie est ma femme. Et je ne permettrai à personne, pas même à toi, de lui parler sur ce ton.

Mais cest ma maison ! sexclama Élodie.

Non, maman. Cest notre maison. La mienne, celle dAurélie, et la tienne. Nous avons tous le droit de nous y sentir chez nous.

Un silence tomba, seulement troublé par les rires des invités.

Je ne voulais pas créer de scène, dit Aurélie. Vraiment. Si javais su que cette robe vous dérangerait tant, jen aurais pris une autre.

Élodie regarda son fils, puis sa belle-fille. Colère, blessure, et peut-être enfin un début de remords se lisaient dans ses yeux.

Maman, dit Théo avec douceur. Aurélie a fait des efforts. Elle a passé la journée à cuisiner pour que ta soirée soit parfaite. Elle te respecte, ainsi que tes amis. Mais toi aussi, tu dois la respecter ses goûts, son droit à porter ce qui lui plaît.

Élodie baissa les yeux. Après un long silence, elle regarda Aurélie.

Jai peut-être exagéré, admit-elle à contrecœur. Cest juste que jai mes habitudes. De mon temps

Les temps changent, Élodie, murmura Aurélie. Mais le respect et la gentillesse ne se démodent jamais. Je ne veux pas me battre avec vous. Je veux que nous soyons une famille.

La bouilloire siffla de nouveau, rappelant les invités qui attendaient.

Retournons les rejoindre, proposa Théo.

Élodie acquiesça, mais quand Aurélie voulut prendre la bouilloire, elle larrêta.

Attends. Je je dois mexcuser, dit-elle, ces mots lui coûtant visiblement. Tu es très belle dans cette robe. Et Colette a raison : il faut en profiter quand on est jeune.

Aurélie la regarda, surprise. En deux ans, Élodie navait jamais admis avoir tort.

Merci, répondit-elle simplement. Ça compte beaucoup pour moi.

De retour dans le salon, personne ne sembla remarquer leur absence sauf Colette, dont le regard malicieux en disait long.

La soirée se poursuivit dans une ambiance plus légère. Élodie alla même jusquà demander où Aurélie avait acheté sa robe «pour ma copine Josiane, elle aimerait sûrement quelque chose daussi gai».

Au moment des adieux, Colette sattarda dans lentrée.

Élodie, je te connais depuis cinquante ans, dit-elle à voix basse. Et je ne tai jamais vue texcuser. Jusquà ce soir, apparemment.

De quoi parles-tu ? fit Élodie, feignant lignorance.

Allons, sourit Colette. Jai vu vos visages quand vous êtes revenues de la cuisine. Quelque chose a changé. Cest bien. Ça prouve quil reste de lespoir.

Tu as toujours été trop perspicace, soupira Élodie.

Non, juste attentive. Ta belle-fille est charmante. Et ton fils est heureux. Nest-ce pas lessentiel ?

Une fois Colette partie, Élodie retrouva Théo et Aurélie en train de débarrasser.

Laissez, dit-elle. Nous finirons demain. Ce fut une belle soirée ne la gâchons pas avec la vaisselle.

Ils échangèrent un regard surpris.

Mais, maman, tu dis toujours quil ne faut pas laisser traîner la saleté, fit remarquer Théo.

Les règles sont faites pour être enfreintes parfois, sourit Élodie en regardant Aurélie. Nest-ce pas ?

Tout à fait, répondit Aurélie, sentant quun lien nouveau se tissait entre elles. Surtout quand ça nous rend heureux.

Théo les prit toutes deux dans ses bras, et ils restèrent un moment ainsi trois générations, trois visions différentes, mais une seule famille. Avec ses tensions, ses malentendus et peut-être un nouveau départ.

À propos, dit soudain Élodie, jai vu une robe presque identique à la tienne, Aurélie. En bleu. Tu crois quelle mirait ?

Et ils rirent ensemble vraiment ensemble, pour la première fois depuis longtemps.

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