Encore ?! Écoute, Nadège, pour qui elle a vraiment accouché ? Pour elle-même ou pour nous ? J’arrive du boulot, je veux dîner, me détendre, passer du temps avec toi, et à la place je dois garder le petit de quelquun dautre!
Mais il nest pas tout à fait «quelquun dautre» Nadège se serre, pousse un soupir. Honnêtement, ça me déplaît aussi. Mais Olivia a demandé Elle doit faire refaire ses ongles. Et on ne va pas au salon avec un bébé à la main.
Pierre, nerveux, déboutonne son blazer et le laisse tomber sur la chaise. Il faut quil nourrisse son neveu, mais ça se fait mieux en tenue de maison. Risquer de tacher son pull avec de la purée denfant, cest un pari à 50% sur 50.
Je comprends, vraiment, mais sans ongles, tu ne vas pas? Tu es la seule à le faire? Pourquoi notre famille se transforme-t-elle en crèche?
Il y a encore maman, mais elle ne peut pas sen occuper chaque jour commence Nadège en sortant des pâtes.
Et toi, tu peux? linterrompt Pierre. Tu peux tout faire pour tout le monde, sauf pour nous deux.
Il fronce les sourcils, puis relâche la tension, son visage sadoucit. Il sait que sa femme nest pas son ennemie. Elle est simplement infaillible.
Nadège, tant que tu ne la décaptes pas de ton cou, elle continuera à tourner en rond. Et la fautive, ce sera toujours toi; celui qui conduit, celui qui monte.
Nadège feint dêtre absorbée par la préparation du dîner, mais au fond elle sait que Pierre a raison. Elle ne sait pas quoi faire. Elle ne veut ni jouer la deuxième maman pour son neveu, ni se disputer avec la famille.
Tout a commencé innocemment
Nadine, je suis malade, et jai le petit Jules dans les bras Faut aller à la pharmacie, on ne peut pas le laisser seul. On ny arrivera pas à deux Sauvemoi, sil te plaît.
Alors Nadège part en éclaireuse sans hésiter, sans envisager la livraison à domicile. Sa sœur est malade, peutêtre gravement. Il faut la secourir.
Puis le secours devient quotidien.
Un téléphone à réparer? Olivia lappelle. Les courses sont finies? Nadège répond à lappel. Un colis arrive au point de retrait? Nadège court comme une coursière privée.
Nadège peut se le permettre. Elle travaille en télétravail, à horaires flexibles, ce qui lui laisse du temps. Mais ce nest pas confortable. Le trajet jusquà chez Olivia dure quinze minutes. Allerretour, plus le temps passé à faire les courses, à attendre en caisse et aux petites péripéties, ça consomme au moins une heure.
Elle travaille surtout le soir, voire la nuit, quand personne ne la dérange. Son mari nest pas très content, et Nadège non plus. Elle essaye den parler à sa sœur.
Olivia, questce quil se passe avec Paul? Il ne taide pas du tout? demande prudemment Nadège en lui remettant un colis de «Chronopost».
Il aide, bien sûr! répond Olivia. Il travaille, il rentre fatigué. Que Dieu le garde pour surveiller le petit pendant que je vais prendre une douche, le reste, cest sur mes épaules.
Olivia préserve son mari, mais ne pense pas aux autres. Nadège hausse les épaules, puis se tait un instant.
Et sa mère? Elle habite pas loin dici, non?
Ne me parle même pas delle! roule les yeux Olivia. Je ne veux plus de cette grenouille dans ma vie. Quand elle arrive, cest la folie. Elle parle jusquau soir, bourrée de conseils non sollicités. Mieux vaut mourir de faim que lui demander quoi que ce soit.
Il ny a vraiment personne dautre? Regarde Oksana, elle a aussi un petit, à peu près comme le tien. Vous pourriez vous relayer: lune surveille, lautre fait les courses. Ou Kristine, qui ne travaille pas du tout.
Jai du mal à imposer ma peine aux autres, avoue Olivia. Ils nont aucune obligation.
«Imposer aux siens, cest plus simple», soupire Nadège.
Après ça, elle décide de refuser la sœur. Même sans les suggestions de Pierre, elle sait que ce nest pas normal.
Loccasion se présente vite: le lendemain, Olivia lappelle et annonce quelle a un rendezvous chez le coiffeur.
Nadège, viens chez nous, garde le petit une heure.
Le ton dOlivia devient impératif. Elle ne demande plus, elle ordonne. Cela agace Nadège. Pourquoi doitelle sacrifier tous ses projets pour quOlivia se fasse coiffer?
Non, Olivia, je ne peux pas aujourdhui. Désolée.
Comment ça, tu ne peux pas?
Je ne peux pas résoudre tous tes problèmes. Jai ma propre vie.
Je comprends, mais que faire? Je nai personne dautre. Jai pris le rendezvous, je ne veux pas décevoir. Elle ne me supportera plus sinon.
Olivia, tu ne mas même pas consultée avant de tinscrire. Je ne suis pas ta fille de ménage ni ta nounou. Gère ça toimême.
Daccord,! réplique la sœur, vexée. Cest facile à dire pour toi, tu nas pas denfants. Tu ne sais pas comme cest dur.
Olivia sait bien que son neveu devient comme son propre fils. Nadège garde le silence. Elle évite les conflits, même dire non était un acte de courage.
Olivia ne lâche rien, elle implique leur mère.
Nadège, comment peuxtu être ainsi? lance la mère. Ta sœur a un petit, tu la laisses tomber! Qui laidera sinon nous?
Maman, quand elle ma demandé des médicaments, je suis allée, parce que cétait urgent. Mais maintenant elle mappelle chaque jour pour des broutilles Aujourdhui elle veut même que je la suive chez le coiffeur! Cest vraiment nécessaire?
Elle veut être belle, cest tout. Metstoi à sa place.
Nadège lève les sourcils. Personne ne la jamais mise à la place dune femme qui veut se faire belle.
Maman, si tu es si sage, aidela toimême.
Moi? sétonne la mère. Je bouge à peine! Toi, tu es jeune, ça doit être plus facile pour toi.
«Jeune», «sans enfants», «tout le temps à la maison» Nadège entend ces remarques sans cesse. Elle en a assez. Ce jour-là, elle saccroche et refuse daider sa sœur.
Sa mère et Olivia lui donnent l«outrage» pendant une semaine entière, comme si Nadège nexistait pas. Dautres auraient pris cela avec indifférence, mais elle ne trouve pas sa place et cherche à réparer les liens familiaux.
Une semaine plus tard, Olivia rappelle et demande encore une fois de garder le petit pendant quelle se fait les ongles. Nadège accepte, se détestant pour cela, mais retombe dans le rôle de nounou gratuite. Deux options semblent se présenter: devenir lexilée de sa propre famille ou supporter.
Nadège, tu es trop douce, tu te brises trop vite, dit Pierre après lavoir écoutée. Fais attention. Sinon elle ne se détachera jamais.
Nadège soupire, hoche la tête. Au petit matin, elle planifie une façon de dire non sans être reprochée.
Le téléphone sonne comme dhabitude.
Nadège, je nen peux plus Le petit a de la fièvre, il hurle depuis ce matin, et je cours comme une folle! Pas le temps de masseoir, même aller aux toilettes. Viens, même à quatre mains on arrivera à le gérer.
Je ne peux pas. Jai du travail. On a installé des programmes qui surveillent notre activité sur les ordinateurs, même à la pause déjeuner. Cest strict, comme au bureau.
Un silence pesant dure quelques secondes, Olivia cherche le point faible.
Sil te plaît! Juste une fois, la dernière! Demande à quelquun de me remplacer ou prends un jour de congé.
Olivia ne comprend pas vraiment. Nadège na vraiment dautre choix. Elle feint de céder.
Daccord je vais voir.
Elle raccroche, écrit à Paul pour obtenir le numéro de la bellemère. «Ta femme a besoin daide rapidement», lui ditelle. Paul accepte, la bellemère aussi. Elle arrive rapidement, inondant Olivia de messages.
Tu as perdu la tête?! écrit Olivia. Pourquoi lastu mise contre moi?
Tu avais besoin daide, je lai demandée, répond Nadège comme si de rien nétait. Je ne peux pas venir, tu le sais.
Olivia lit mais ne répond pas. Nadège ressent une petite victoire. Ce nest pas une guerre, mais une petite bataille gagnée. Oui, Olivia se fâchera, oui, leur mère sera encore mécontente, mais maintenant la sœur devra se débrouiller seule ou apprendre à compter sur ceux qui veulent réellement laider.







