Tu sais,Maëlys,encore?Écoute, pourquoi elle sest donné tant de mal à préparer tout ça? Pour qui, au juste? Pour elle-même ou pour nous? Jarrive du boulot, jai envie de dîner, de me détendre, de passer du temps avec toi, et à la place je me retrouve à garder le petit de ma sœur!
Bon, il nest pas tout à fait «un»,Maëlys frissonne, pousse un soupir. Franchement, ça me dérange aussi. Mais Élodie ma demandé Elle doit se faire les ongles, et on ne va pas chez le coiffeur avec un bambin.
Guillaume se défait nerveusement la veste et la jette sur la chaise. Il faut nourrir le neveu, mais ça se fait mieux en tenue de maison. Le risque de se tâcher de purée pour bébé, cest cinquante pour cent, tu vois le tableau.
Je comprends, mais sans tes ongles, cest impossible? Tu es la seule à ten occuper? Pourquoi notre famille se transforme-t-elle en crèche?
Il y a encore maman, mais elle ne peut pas tous les jourscommence Maëlys en cherchant les pâtes.
Et toi, tu peux,interrompt Guillaume.Peux faire tout le monde sauf toi et moi.
Il se fâche dabord, puis soupire, se détend un peu. Son expression sadoucit. Il sait que sa femme nest pas son ennemie, juste incorrigible.
Maëlys, tant que tu ne la jetteras pas du cou, elle continuera à tourner en rond. Et la coupable, ce sera toujours toi, parce que qui porte le sac, paie le voyage.
Maëlys fait semblant dêtre absorbée par le dîner. Au fond, elle sait que Guillaume a raison. Elle ne sait juste pas comment sen sortir. Elle na envie ni dêtre la deuxième maman pour Léo, ni de se chamailler avec la famille.
Tout a commencé innocemment
Maëlys, je suis malade, jai Léo dans les bras Faut aller à la pharmacie, je peux pas le laisser tout seul. Jai peur de pas y arriver à deux Aide-moi, sil te plaît.
Sans réfléchir, Maëlys se lance à lassaut, sans même envisager la livraison. Sa sœur est malade, peut-être gravement. Il faut sauver la situation.
Et depuis, le «sauvetage» devient quotidien.
Besoin du téléphone qui a besoin dêtre réparé? Élodie appelle Maëlys. Plus de courses? Maëlys saute sur le coup. Un colis arrive au point de retrait? Elle court comme une coursière privée.
Maëlys pouvait se le permettre: elle travaille en télétravail, à horaires flexibles, donc elle peut sarrêter. Mais ce nest pas que ça soit commode. Chez Élodie, il faut quinze minutes à pied. Allerretour, les courses, lattente en caisse, les petites péripéties, ça prend au moins une heure.
Elle travaille surtout le soir, voire la nuit, quand tout le monde dort. Guillaume nest pas vraiment ravi, et Maëlys non plus.
Elle a essayé de parler à sa sœur.
Élodie, cest quoi le problème avec Raphaël? Il ne taide pas du tout? demande doucement Maëlys en lui tendant un nouveau colis Yandex.
Il aide, bien sûr,répond Élodie avec enthousiasme.Il travaille, il rentre tout épuisé. Que Dieu le garde pendant que je prends une douche, le reste, cest à moi.
Élodie protège son mari, mais elle ne pense pas aux autres. Maëlys hausse les épaules, se tait un instant.
Et sa mère? Elle habite pas loin dici.
Ne me parle même pas delle!Élodie roule des yeux.Je veux plus rien à faire avec cette grenouille. Quand elle vient, cest la cata, jusquau soir. Elle déborde de conseils non demandés. Mieux vaut mourir de faim que lui demander quoi que ce soit.
Il ny a vraiment personne dautre?Maëlys propose.Chez Oksana, le petit est aussi petit que le tien. On pourrait se relayer: lune garde, lautre fait les courses. Ou Kristine, elle ne travaille même pas.
Je naime pas imposer aux autres,confesse Élodie.Ils ny sont pas obligés.
«Nos proches, cest plus facile,» soupire Maëlys.
Après ça, elle a décidé dessayer de dire non. Même sans le soutien de Guillaume, elle sentait que ce nétait pas normal.
Loccasion sest présentée rapidement : le lendemain, Élodie lappelle, annonçant quelle a un rendezvous chez le coiffeur.
Maëlys, viens rester avec Léo. Une petite heure.
Le ton dÉlodie devient presque impératif. Elle ne demande plus, elle ordonne. Maëlys est énervée: pourquoi doitelle chambouler tous ses plans juste pour que sa sœur se fasse une beauté?
Non, Élodie. Aujourdhui, je ne peux pas. Désolé.
Comment ça «pas»?
Je ne peux pas résoudre tous tes problèmes. Jai aussi ma vie.
Je comprends, mais que je fais? Je nai personne dautre. Jai déjà pris le rendezvous, je ne peux pas laisser tomber.
Élodie, tu ne mas même pas demandé mon avis avant de réserver. Je ne suis pas ta fille à la tâche ni ta nounou. Gère ça toimême.
Cest clair,répond Élodie, un brin blessée.Cest facile à dire pour toi, tas pas denfants. Tu sais pas comme cest dur.
Elle le sait bien, parce que Léo devient peu à peu son fils. Mais Maélys préfère garder le silence. Elle évite les conflits, même dire non est un exploit.
Élodie ne lâche pas. Elle implique leur mère.
Maélys, comment peuxtu faire ça?déclare la mère.Ta sœur a un petit, et tu refuses! Qui va laider sinon nous?
Maman, quand elle ma demandé daller chercher des médicaments, jai bouclé le truc. Cest important, elle était malade. Mais depuis, elle mappelle tous les deux jours pour des bricoles Aujourdhui, cest le salon de coiffure! Cest vraiment urgent?
Elle veut être jolie, Maélys. Metstoi à sa place.
Maélys lève les sourcils. Personne ne comprend vraiment sa situation.
Maman, si tes si futée, aidela toimême.
Moi?sétonne la mère.Je bouge à peine! Toi, tes jeune, ça test plus facile.
«Jeune», «sans enfants», «toujours à la maison» Maélys entend ça tout le temps. Ça la lasse. Ce jourlà, elle a décidé de ne plus aider.
En réponse, elles lui ont fait la tête. Une semaine entière, la mère et Élodie lont ignorée comme si elle nexistait pas. Dautres auraient pu rester calmes, se soulager, mais pas Maélys. Elle ne trouvait plus sa place et ne savait pas comment réconcilier la famille.
Alors, quand une semaine plus tard Élodie lappelle à nouveau pour garder Léo pendant quelle se fait les ongles, Maélys accepte. Elle se déteste pour ça, mais elle retombe dans le rôle de nounou gratuite. On dirait quil ny a que deux options: devenir lexilée de sa propre famille ou endurer.
Maélys, tes trop douce, tu craques trop vite,lui a dit Guillaume.Fais gaffe. Sinon elle ne partira jamais.
Maélys soupire, hoche la tête. Dans le noir, elle réfléchit à une façon de dire non sans que ça lui retombe dessus.
Et le téléphone a sonné, comme prévu.
Maélys, je nen peux plus Léo a de la fièvre, il pleure dès le matin, et je cours comme une folle! Je peux même pas aller aux toilettes. Viens, on sy fait à quatre mains.
Je ne peux pas. Jai du travail. Chez nous, on a des logiciels qui surveillent chaque minute, même la pause déjeuner, comme au bureau.
Un silence lourd sinstalle. Élodie cherche la faille.
Allez, juste une fois! Le dernier! Demande à quelquun de te remplacer ou prends un jour de congé.
Élodie ne comprend pas vraiment. Maélys na vraiment pas le choix. Elle fait semblant de céder.
Daccord Je vais voir ce que je peux faire.
Elle raccroche, écrit à Raphaël pour avoir le numéro de la bellemaman. Raphaël accepte, la bellemaman accepte aussi. Elle arrive, et Élodie inonde Maélys de messages.
Tes complètement à côté de la plaque!crie Élodie.Pourquoi tu las mise contre moi?
Tu avais besoin daide, alors je lai appelée,répond Maélys comme si de rien nétait.Je ne peux pas venir moimême, tu le sais.
Élodie lit le message, reste muette. Maélys ressent une petite victoire. Pas une guerre, mais une petite bataille gagnée. Oui, Élodie va encore râler, oui, maman sera encore mécontente, mais maintenant la sœur devra se débrouiller ou apprendre à accepter laide des autres.







