Je ne me suis pas engagée comme servante pour vous !

Maman, il faut que je te raconte On a un sacré problème. La propriétaire veut quon libère lappartement durgence. Débarrasse ma chambre et fais de la place, on arrive aujourdhui avec toute la famille. entendit Lucienne au téléphone, répondant à lappel matinal de son fils.

Cest pas possible sécria-t-elle, un peu déboussolée. En hiver, on ne peut pas expulser quelquun dun logement loué sans un vrai bail. Ils devraient au moins nous laisser du temps pour chercher un autre logement.

Ils ne nous donneront aucun délai Nathalie sest disputée avec la propriétaire hier, et elle a perdu son sang-froid. répliqua Alexandre, lair irrité.

Voilà, il faut que Nathalie apprenne à garder sa langue et à traiter les gens avec un brin de respect. commenta Lucienne.

Oh, maman, ne commence pas! Tu sais déjà ce que je te demande : vide la chambre, on reviendra le soir avec les affaires. grogna Alexandre avant de raccrocher.

Lucienne resta assise, les mains croisées, tandis que le combiné émettait de courts bips. Hier avait été une dure journée au bureau: deux nouveaux collègues étaient arrivés, sa cheffe leur a demandé de tout leur montrer, elle devait rédiger deux rapports pour la direction et bien dautres tâches. Le soir, elle nest pas rentrée chez elle, elle a «ramené» son corps épuisé de la salle de travail à son petit appartement.

Le weekend, elle avait de grands projets. Samedi, elle voulait faire la grasse matinée, puis se balader au parc. Dimanche, elle comptait retrouver une amie et flâner dans les boutiques. Et maintenant?

Elle nimaginait pas comment quatre personnes pouvaient cohabiter dans son minuscule deuxpièces: elle, son fils, sa bellefille Nathalie et leur petitfils de sept ans, Mathis. Les plans soigneusement préparés sétaient envolés. Il fallait dabord ranger la chambre dAlexandre, déplacer quelques meubles, puis courir à lépicerie et préparer le dîner avant la nuit.

Cette perspective ne la réjouissait pas du tout. Ce nest pas quelle naimait pas son fils ou son petitfils; cest simplement que la relation avec Nathée était, disonsle franc, tendue. Elle préférait éviter de nouveaux accrochages. Lucienne sefforçait toujours de rester courtoise avec Nathalie, afin de ne pas froisser son fils et dempêcher les éclats qui éclataient régulièrement.

Malgré les projets anéantis et lhumeur au plus bas, elle se mit à nettoyer. Après, elle alla faire les courses et prépara le souper.

Le soir, tout était prêt. Quand Alexandre arriva avec sa famille, lappartement devint bruyant et «joyeux». Lucienne décida de regagner sa chambre plus tôt. Alexandre et Nathalie restaient à table, tandis que Mathis regardait des dessins animés.

Bonne soirée, je retourne dans ma chambre. Vous nettoyez vousmêmes la table, daccord? dit Lucienne en quittant la cuisine.

Oui, maman, marmonna la bru, les yeux rivés sur son smartphone.

Au fond du sommeil, Lucienne entendait rires et pas bruités, mais elle ne sen préoccupait pas. Elle était convaincue que le fils et sa tribu ne resteraient pas longtemps. Il fallait bien quils trouvent un endroit où loger temporairement. Pourtant, cétait bien Nathalie qui, à force de querelles, avait créé toute cette agitation. Lucienne lui rappelait sans cesse quil fallait savoir faire des compromis et respecter les autres, mais la bru se contentait de hausser les épaules ou de déclencher de nouvelles disputes.

Au petitdéjeuner, le réveil sonna, et Lucienne se rendit à la cuisine, où elle découvrit un désordre: tasses à moitié vides, papiers de bonbons, pelures de pommes, et une montagne de vaisselle non lavée dans lévier.

Maman, questce quon mange? demanda un Alexandre encore endormi, alors que Lucienne tentait de remettre de lordre.

Fais des tartines, je ne boirai que du café. répondit-elle.

Maman, je suis coincé dans les bouchons, je vais mourir de faim avec ces seules tartines.

Alors que les reproches aillent à votre épouse! Quelle ne reste pas quarante minutes dans la salle de bains, mais quelle prépare le petitdéjeuner à son mari. Je ne me suis pas engagée à être votre bonne. Pourtant je dois parfois arriver en retard au travail parce que je lave votre vaisselle. Vous navez même pas eu la décence de ranger après vous hier.

À peine eutelle fini cette phrase que Nathalie fit irruption dans la cuisine, les yeux à moitié fermés.

Je le savais bien, Lucienne! Il est déjà presque huit heures, et vous râlez déjà.

Je ne râle pas, Nathalie, je parle à mon fils. Tu pourrais préparer le petitdéjeuner à ton mari. Je ne peux pas rester à laver la vaisselle tout le temps, ni à cuisiner. Prenez donc soin de vous-mêmes.

Daccord, marmonna la bru, sans vraiment la regarder.

Les cinq jours suivants se déroulèrent dans une atmosphère tendue. Lucienne se retint au maximum, espérant que son fils réglerait son problème de logement dans la semaine, afin quelle retrouve enfin un peu de tranquillité le weekend.

Vendredi soir, aucun signe de déménagement. Lucienne pensa que son fils ne voulait tout simplement pas limpliquer davantage. Le samedi matin, Alexandre et Nathalie dormaient comme des loirs. Au déjeuner, le fils ne sortit que de la chambre, et Lucienne comprit quaucun déménagement nétait prévu.

Le dimanche, elle décida dinterroger directement son fils :

Alexandre, vous avez trouvé un appartement?

Je cherche. Tout est cher ou trop loin. On va probablement rester chez vous une semaine de plus.

Très bien répondit-elle, résignée.

Elle ne pouvait le chasser de la maison. Elle décida donc dattendre encore une semaine, ce qui était préférable à une nouvelle dispute.

Mais rien ne changea. Les parents ne partaient ni après une semaine, ni après deux. Au contraire, ils semblaient sêtre installés durablement, sans même se soucier de chercher un nouveau logis.

Nathalie, de son côté, ne prenait plus vraiment en charge les tâches ménagères. Elle déposait la vaisselle sale dans lévier et sallait coucher sur le canapé. Elle jetait ses vêtements dans le panier, laissant à Lucienne le lavage, le repassage, la cuisine et le ménage du weekend.

Nathalie, je vais à lépicerie, alors lave le sol, sil te plaît.

Lucienne, vous êtes la maîtresse des lieux. Vous voulez que je fasse autre chose? Ce nest même pas sale. On le fera ce soir ou demain.

Je suis la maîtresse, mais tu vis aussi ici, nestce pas? répliqua-t-elle avec justesse.

Pourquoi vous me critiquez? Jai mal à la tête!

Cest du grand nimporte quoi! sexclama Lucienne, à bout.

Exactement! Et cest vous qui avez tout organisé! rétorqua la bru, sans aucune retenue.

Lucienne ne voulut plus alimenter la dispute. Elle alla dabord au magasin, puis fit un nettoyage à leau. Après un thé, elle saccorda un petit repos.

Soudain, elle fut réveillée par le bruit incessant dun ballon qui rebondit.

Mathis, tu dois jouer dehors, pas dans lappartement. Il se fait tard, les voisins sont là.

Mais mamie, je veux jouer maintenant, papa et maman ne veulent pas sortir avec moi. répliqua le petit garçon, en continuant à faire rebondir le ballon.

Arrête, sil te plaît. demanda Lucienne.

Alexandre intervint depuis la chambre :

Papa, dis à Mathis de sarrêter.

Maman, il a toujours joué à la maison commença-t-il, avant dêtre interrompu par Nathalie.

Voilà! Vous nous avez critiqués dès le matin, et maintenant vous vous plaignez du bruit du petit! Vous ne cherchez quà nous pousser dehors!

Nathalie, si vous ne voulez pas respecter mes règles, alors pourquoi ne pas partir vivre ailleurs? répliqua Lucienne.

Le silence sinstalla, lourd.

Merci! Vous voulez nous expulser! Et au fait, je suis enceinte! Je ne peux pas supporter ce stress! cria Nathalie avant de senfermer dans sa chambre.

Maman, elle est vraiment enceinte, et toi

Mon fils, dabord je ne le savais pas. Ensuite, je ne demande rien dextraordinaire, je veux simplement mon propre foyer.

Ce soir-là, Nathalie empaqueta ses affaires et annonça quelle et Mathis partiraient dans la ville voisine pour vivre chez ses parents pendant quAlexandre cherchait un appartement.

Lucienne resta bouleversée, essayant de la retenir, mais la bru était décidée, pleurant dun air théâtral, rassemblant ses bagages sans accepter la moindre négociation.

Trois jours plus tard, Alexandre trouva un petit studio à Lyon et, avec sa famille, quitta la maison de sa mère. Lucienne fit un grand ménage, prit une semaine de congé. La vie reprit son cours, même si un goût amer persistait.

Le contact avec son fils devint si rare que ce fut par des amis quelle apprit la naissance de sa petitefille. Inconfortable, oui, mais elle navait pas dautre choix.

Lucienne vit désormais pour elle-même. Deux fois par an, elle part en cure thermale. Elle envoie de largent à ses petitsenfants pour leurs anniversaires. Son fils la félicite toujours au téléphone.

Aucun centre de cure ni un espace privé ne remplacera jamais le contact avec ses petitsenfants, mais on ne peut offrir du bonheur aux autres tant que lon nest pas pleinement heureux soimême. Cest ainsi que Lucienne voit les choses: elle a fait son choix et reste prête à renouer le lien avec ses petitsenfants quand elle le voudra. Mais la décision finale revient à Nathalie, et chaque acte restera sur la conscience de celle qui la posé.

Finalement, la leçon la plus claire quon puisse retenir est que le respect et la bienveillance, même dans les moments les plus tendus, sont les seules clés pour garder des relations humaines sincères et éviter que les disputes ne détruisent ce qui reste de la famille.

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