Je ne suis pas ici en tant que servante, mais en tant que votre amie !

Maman, cest la galère La propriétaire veut quon libère lappartement immédiatement. Fais de la place dans ma chambre, dégage tout ce que tu peux. On vient cet aprèsmidi, toute la famille. entendait Ludivine au combiné, répondant à lappel matinal de son fils.

Quelle nouvelle sétonna-t-elle. En hiver, on ne peut pas expulser quelquun sans contrat, même un bail verbal. Au moins ils devraient nous laisser du temps pour chercher un nouveau logement. la surprise la laissa sans voix.

Ils ne nous donneront aucun délai Bérangère sest fâchée avec la propriétaire hier, alors elle a tout explosé. répliqua Alexandre dun ton sec.

Ah, maintenant cest clair. Bérangère doit apprendre à garder la langue dans la bouche et à traiter les gens avec un brin de respect! ajouta Ludivine.

Maman, ne commence pas! Jai lhumeur mauvaise. Jai déjà dit de ranger la chambre, on arrivera ce soir avec nos affaires. grogna Alexandre avant de raccrocher

Ludivine entendit le bip du téléphone, resta plantée, puis seffondra sur le parquet. La veille était un marathon: deux nouveaux collègues étaient arrivés, la directrice lavait obligée à leur faire tout le tour, elle devait préparer deux rapports pour la direction et mille autres dossiers. Le soir, elle ne rentra pas vraiment, elle glissa comme un fantôme de son bureau à son petit appartement.

Le weekend devait être un tableau paisible. Samedi, elle voulait rattraper le sommeil, puis, au crépuscule, flâner dans le parc du Rhône. Dimanche, elle prévoyait de retrouver sa meilleure amie et de parcourir les ruelles du VieuxLyon. Et maintenant?

Comment quatre personnes pouvaient tenir dans son deuxpièces? Elle, son fils, sa bellefille et son petit-fils de sept ans, Léon. Les projets grandioses sévanouissaient en poussière. Il fallait dabord vider la chambre dAlexandre, déplacer quelques meubles, puis courir à lIntermarché pour préparer le dîner

Cette perspective ne remplissait pas Ludivine de joie. Ce nest pas quelle naimait pas son fils ou son petitfils. Cest simplement que la relation avec Bérangère était, disonsle, tendue. Elle navait jamais envie de replonger dans ces conflits. Elle tentait toujours de rester respectueuse envers Bérangère pour ne pas froisser Alexandre, afin déviter les éclats qui surgissaient régulièrement.

Malgré les plans brisés et le moral en berne, Ludivine se mit à nettoyer. Puis elle alla faire les courses et prépara le souper.

Le crépuscule arriva, le repas était prêt. Quand Alexandre débarqua avec toute la tribu, lappartement devint un vacarme joyeux. Ludivine décida de regagner sa chambre tôt. Alexandre et Bérangère restèrent à table, tandis que Léon regardait des dessins animés.

Bonne nuit, vous deux. Vous débarrasserez la table vousmêmes, daccord? lança Ludivine en quittant la cuisine.

Ouais. marmonna Bérangère, les yeux rivés à lécran de son smartphone.

Dans le brouillard du rêve, elle entendait rires et pas précipités, mais elle ny prêta pas attention. Elle était persuadée que le fils ne resterait que quelques heures, quils devaient simplement se poser un instant. En vérité, cétait Bérangère qui, de ses propres mains, avait créé le chaos. Ludivine lavait avertie maintes fois quil fallait négocier et faire preuve de respect, mais la bellefille balayait toujours ces remarques dun revers de main ou déclenchait dautres orages.

Au petit matin, lalarme la réveilla. En entrant dans la cuisine, elle resta pétrifiée: tasses à moitié vides, montagnes de papiers de bonbons, pelures de pommes. Lévier était une colline de vaisselle non lavée.

Maman, le petitdéjeuner? apparut un Alexis somnolent, sortant de la cuisine, alors que Ludivine tentait de réparer les dégâts de la veille.

Fais des tartines, prends du thé. Moi, je ne prends que du café. répondit-elle.

Maman, je suis coincé dans les bouchons, je vais mourir de faim avec ces seules tartines. gémit le fils.

Alors, que ce soit à la femme de préparer le petitdéjeuner. Elle ne doit pas rester quarante minutes sous la douche, elle doit le faire pour son mari. Je ne suis pas venue ici pour être votre bonne. Même si je dois arriver en retard au travail, cest à vous de laver la vaisselle. Vous navez même pas rangé hier. lança-t-elle.

À peine eutelle fini que Bérangère surgit, les yeux poudrés de sommeil.

Je le savais bien, Ludivine, il est déjà huit heures et vous râlez déjà. lança la bellefille.

Je ne râle pas, Bérangère, je discute avec mon fils. Vous pourriez préparer le petitdéjeuner à votre mari. Je ne pourrai pas rester à laver votre vaisselle indéfiniment, ni cuisiner. Prenez donc soin de vous. rétorqua Ludivine.

Ouais. répondit Bérangère, indifférente.

Les cinq jours suivants furent une toile de tension nerveuse. Ludivine se retenait tant quelle le pouvait, espérant que son fils réglerait le problème du logement dici une semaine, afin de retrouver un semblant de normalité le weekend.

Vendredi soir, aucun mouvement ne vint de leurs part. Elle se dit que son fils voulait la laisser hors de ses soucis. Samedi matin, Alexandre et Bérangère dormaient comme des mortvifs. À midi, Alexandre sortit enfin de la chambre, et Ludivine comprit quaucun déménagement nétait prévu

Le dimanche, elle osa demander directement :

Alix, vous avez trouvé un appartement?

Je cherche. Tout est cher ou trop loin. On restera encore une semaine chez vous, je crois.

Très bien réponditelle, résignée.

Elle ne pouvait pas les expulser dans la rue. Elle décida de supporter encore une semaine. Tout était meilleur que de déclencher une nouvelle dispute.

Mais le miracle ne vint pas. La famille ne partait ni dans une semaine, ni dans deux. Au contraire, il leur semblait quils sétaient installés pour de bon, sans même chercher un nouveau logement.

Bérangère, quant à elle, navait aucune envie de faire les corvées. Elle déposait la vaisselle sale dans lévier et rentrait se coucher sur le canapé. Les vêtements allaient dans le panier, et Ludivine passait tout le weekend à les laver, les repasser, cuisiner, nettoyer.

Bérangère, je vais au supermarché, peuxtu laver le sol? demanda-t-elle.

Madame Ludivine, cest vous la maîtresse de la maison. Que veuxvous que je fasse de plus? Ce nest même pas sale. On le fera ce soir ou demain. répliqua la bellefille.

Madame, je suis la maîtresse, mais vous aussi habitez ici. rétorqua calmement Ludivine.

Pourquoi vous me critiquez tout le temps? Jai mal à la tête! sécria Bérangère.

Cest vraiment inadmissible! sexclama Ludivine, à bout.

Exactement! Et vous lavez provoqué! répondit Bérangère sans ménagement.

Ludivine ne voulut plus approfondir le conflit. Elle alla dabord au magasin, puis fit le ménage humide, soffrit une tasse de thé et se laissa reposer.

Soudain, un bruit persistant léveilla: Léon jouait au ballon dans le salon.

Léon, le ballon doit être dehors, pas dans la maison. Il se fait tard, les voisins entendent. lui dit-elle.

Mais, mamie je veux jouer maintenant, papa et maman ne veulent pas me sortir. répliqua le petit garçon, faisant rebondir le ballon sur le parquet.

Arrête, Léon. ordonna Ludivine.

Alexandre sortit de la pièce.

Alix, dis à Léon darrêter. demanda-t-elle.

Maman, il jouait toujours à la maison commença-til, mais Bérangère linterrompit.

Voilà! Vous avez commencé à nous critiquer ce matin, et maintenant vous vous plaignez du petit! Vous voulez nous chasser! hurla la bellefille.

Bérangère, si vous nacceptez pas de suivre mes règles, vous pourriez bien vivre ailleurs. répliqua calmement Ludivine.

Un silence lourd sinstalla

Merci! Vous allez nous mettre à la porte! Et au fait, je suis enceinte! Je ne peux pas supporter ce stress! sécria Bérangère avant de senfuir dans sa chambre.

Maman, elle est vraiment enceinte, et tu te fâches murmura Alexandre.

Dabord, je ne le savais pas. Ensuite, je ne demande rien dextraordinaire. Je veux simplement mon propre toit. répondit la mère.

Ce même soir, Bérangère empaqueta ses affaires et annonça quelle et Léon partiraient dans la ville voisine pour loger chez ses parents, pendant quAlexandre cherchait un appartement

Ludivine resta angoissée, tentant de la retenir, mais Bérangère était résolue, pleurant théâtralement, rassemblant ses valises, refusant toute persuasion.

Trois jours plus tard, Alexandre dénicha un appartement et, avec sa famille, quitta le chezmaman. Ludivine fit un grand ménage, prit une semaine de congé. La vie reprit son cours, même si le souvenir de cette tempête restait gravé.

Le contact avec son fils était devenu si rare et tendu que la naissance de petitefille lui parvint par des connaissances communes. Cétait gênant, mais il ny avait rien à faire

Ludivine vit pour elle-même. Deux fois par an, elle part en cure thermale. Elle envoie de largent à ses petitsenfants pour leurs anniversaires. Son fils la félicite au téléphone, mais uniquement de loin.

Évidemment, aucun séjour de cure ni espace personnel ne remplacera un vrai lien avec les petitsenfants. Mais on ne peut offrir le bonheur quon a déjà, et Ludivine, désormais sereine, ne regrette plus ce qui sest passé. Elle a fait son choix et, quand elle le souhaite, peut reprendre contact avec ses petitsenfants. Quant à Bérangère, la décision lui appartient, et chaque acte restera sur sa conscience.

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Derrière mon dos