**Journal dun homme, le 15 novembre**
Écoutez bien. Soit vous maidez à retirer les droits parentaux de Vicky, soit je men vais, et vous vous débrouillez seuls.
Anaïs, pense à ce que tu dis ! Cest ta sœur ! Et ma fille ! Maman joignit les mains avant de se prendre la tête entre les doigts.
Et moi, alors ? Je ne suis pas votre fille ? La voix dAnaïs tremblait de colère. Parfois, jai limpression de ne même pas compter pour vous Vous ne voyez pas ce qui se passe ? Je me suis attachée à Sacha, je laime, et vous Soit vous maidez, soit je me charge de tout seule. Mais je ne laisserai pas les choses en létat.
Maman détourna les yeux, honteuse, déchirée. Papa, lui, continuait à pousser sa soupe du bout de sa cuillère, lair sombre. Anaïs, comprenant quils avaient choisi, se leva et partit dans sa chambre.
Évidemment, ils navaient pas choisi elle. Ni même Sacha.
Anaïs commença à faire ses valises elle navait pas grand-chose à emporter. Son cœur était lourd, mais elle savait quelle navait pas le choix.
Comment rester forte quand un petit enfant se jette dans tes jambes en pleurant ?
Maman, ne pars pas sanglotait le petit Sacha en la voyant ranger ses affaires.
*Maman.* Ce mot lui transperça le cœur une fois de plus. Anaïs soupira, sagenouilla et essaya de sourire.
Je ne pars pas de toi, mon chéri, murmura-t-elle en lenlaçant. Je pars pour quun jour, tout aille mieux. Je reviendrai. Pour de bon.
Sacha pleurait, incapable de comprendre pourquoi sa tante adorée, celle quil appelait «maman», voulait labandonner. Il saccrocha à elle si fort quelle ne put partir quune fois quil sendormit. Ce nest que tard dans la soirée quelle sortit, sur la pointe des pieds.
À cet instant, Anaïs haïssait Vicky. Cétait elle qui les avait tous plongés dans ce cauchemar.
Vicky avait commencé à faire la fête à seize ans. Dabord, elle rentrait tard, puis elle disparaissait des nuits entières, prétendant dormir chez des «copines». Tout le monde savait ce que ça voulait dire.
Elle revenait souvent ivre, le maquillage défait, parfois en larmes. Et nos parents la dorlotaient comme une princesse : questions, réconfort, compassion.
Une grossesse était inévitable. À dix-sept ans, Vicky tomba enceinte. Impossible de dire du qui un «pote de soirée» sans nom.
Sacha naquit. Vicky comprit vite quélever un enfant nétait pas pour elle. Dabord, elle le laissait la nuit, puis elle disparut complètement.
Je suis trop jeune. Je ne veux pas gâcher ma vie, dit-elle à Anaïs au téléphone.
Le «poids» retomba sur Anaïs. Notre père sintéressait à peine à son petit-fils un jouet de temps en temps, rien de plus. Notre mère travaillait et navait pas le temps.
Anaïs avait dix-huit ans. Elle passa en cursus du soir pour soccuper du bébé. Elle devint sa seconde mère sa marraine, littéralement.
Ce fut dur. Très dur. Réveils la nuit, courses avec la poussette, examens en sacrifiant son sommeil Elle gérait tout, pendant que nos parents travaillaient.
Au bout de six mois, elle commençait à shabituer mais Vicky revint, en larmes, suppliant nos parents.
Pardonnez-moi, jétais stupide Tout va changer
Ils crurent tous. Même Anaïs.
Un mois plus tard, Vicky repartit avec les bijoux de maman cette fois.
Elle a besoin de temps, disait maman.
Anaïs ne croyait plus. Une fois, passe encore. Deux fois, cétait un choix.
Elle continua : études, éducation de Sacha, médecins Elle espérait que Vicky ne reviendrait plus.
Mais quatre ans plus tard, elle était de retour.
Je croyais quil maimait Jallais reprendre Sacha Mais il ma utilisée Jétais seule, sans travail, sans amis
On voit bien que tu as souffert, rétorqua Anaïs, sarcastique, en regardant ses hanches épaisses.
Maman la foudroya du regard.
Pire encore : quand Anaïs ramena Sacha de la crèche, maman le poussa vers Vicky. Lenfant, effrayé, se cacha derrière Anaïs.
Allons, cest ta maman !
Cest pas ma maman ! *Elle*, cest ma maman !
Anaïs est juste ta tante. Vicky, cest ta vraie maman.
Le cœur dAnaïs se brisa.
Bien sûr, Vicky disparut à nouveau. Deux mois à vivre à nos frais, aucune envie de travailler.
Qui membaucherait avec un enfant ? Cest comme si jétais en congé maternité !
Puis elle repartit sans un mot. Elle posta des photos avec un homme de vingt ans son aîné.
Encore un ivrogne, pensa Anaïs.
Elle parla à son amie, Nina.
Fais-la radier ! Ce nest pas si compliqué.
Anaïs hésita.
Et si on me le retire ?
Alors attends quelle revienne et détruise tout. Cest ça que tu veux ?
Elles parlèrent aussi de sa vie.
Tu vis pour les autres. Et toi ?
Anaïs avait oublié quelle avait une vie. Les garçons séloignaient dès quils apprenaient pour Sacha.
Sauf Louis, un camarade de classe. Il savait, et restait.
Un soir, après lultimatum à nos parents, elle alla le voir.
Emménageons ensemble, dit-il calmement.
Je ne peux pas. Et Sacha ?
On vivra à trois.
Mais cest
Sil est à toi, il est à moi.
Quelque chose fondit en elle.
Les six mois suivants furent un enfer : procédures, papiers Mais le pire fut de laisser Sacha en attendant.
Tu lui as volé son enfant ! criait maman.
Comme si elle en voulait vraiment
On lui ferma la porte. Seuls Louis et ses amis restèrent.
Mais après la pluie vient le beau temps.
Des années plus tard, Anaïs regardait Sacha apprendre le foot à sa petite sœur, Lise. Louis lentoura de son bras. Elle sourit.
Vicky ? Personne navait de nouvelles. Et tant mieux.
Nos parents ne lui pardonnèrent jamais. Peu importe.
*»Quils soccupent de Vicky. Moi, je prends soin de ceux qui en ont vraiment besoin.»*
**Leçon : Parfois, choisir ceux quon aime, cest aussi choisir soi-même. Sacha, maintenant adolescent, appela Anaïs « maman » un dimanche matin, comme si cétait la chose la plus naturelle du monde. Elle ne répondit pas, les yeux pleins de larmes, mais serra fort sa main. Dans la cuisine, Louis fit semblant de ne rien avoir entendu, souriant derrière sa tasse de café. Dehors, le vent dautomne emporta une feuille morte contre la vitre une fin, ou peut-être un nouveau départ.







