Le Sentier Familial

Cher journal,

Ce matin, mes parents ont raccroché les clés de la porte du vieux portail en fer forgé, le moteur de leur voiture ronronnant encore un moment dans l’air frais de septembre. Jétais planté sur le sentier usé entre les massifs de fleurs, le sac à dos usé au motif dun avion accroché sur l’épaule. Les feuilles jaunes bruissaient sous mes bottes et se coinçaient parfois dans les talons.

Mon grandpère est sorti sur le pas de la porte, a ajusté sa casquette et ma offert un sourire où les rides autour des yeux se sont creusées davantage. Jai senti que quelque chose dimportant allait commencer, différent de nos sorties habituelles.

Maman ma embrassé sur le sommet de la tête, ma caressé lépaule et ma lancé :

Ne faites pas les sourds, daccord ? Et écoute bien grandpère.

Oui, maman, a­tte­ndi­ré, répon­disje, un peu gêné, en jetant un œil aux fenêtres où Grandmère venait de passer.

Quand ils sont partis, le jardin sest fait plus silencieux. Grandpère ma entraîné au hangar où nous avons choisi nos paniers de cueillette : un plus grand pour lui, un plus petit pour moi. À côté reposait une vieille bâchetente et des bottes en caoutchouc; il vérifiait quaucune fuite ne pouvait nous surprendre après la nuit de pluie. Il a passéen revue ma veste, a bouclé toutes les fermetures éclair, a ajusté le capuchon.

Septembre, cest la saison des champignons! proclamaitil avec assurance, comme sil ouvrait le calendrier secret de la nature. Les underwoods se cachent sous les feuilles, les girolles adorent le mousse près des sapins, les paris se montrent déjà.

Jécoutais attentivement, fasciné par ce sentiment de préparation à une vraie aventure. Les paniers grinçaient sous les poignées ; les bottes étaient un peu larges, mais grandpère hocha simplement la tête: le plus important, cest que nos pieds restent secs.

Lair du jardin sentait la terre mouillée et les restes de feuilles de feu de camp. Le matin était couvert de vapeur qui flottait au-dessus des flaques le long de la clôture ; quand je foulais les feuilles humides, elles collaient à la semelle et laissaient des traces sur les marches en béton.

Grandpère me racontait ses anciennes sorties: comment, un jour, lui et Grandmère avaient découvert un tapis entier de paris sous un vieux bouleau, et limportance de regarder non seulement sous nos pieds mais aussi autour de nous les champignons se cachent parfois juste à côté du sentier.

Le chemin vers la forêt était court: une route de campagne qui traversait les champs de foin jaunissant. Javançais à côté de lui, il marchait lentement mais dun pas sûr, le panier suspendu à la hanche.

Dans les bois, lodeur changeait: la fraîcheur du bois humide et le parfum piquant du mousse entre les racines de pin. Lherbe sous les pieds était douce, mêlée aux feuilles mortes, et quelque part, on entendait le goutteàgoutte de rosée qui tombait des branches.

Regarde! Un sousbois, sinclina grandpère, montrant un champignon à chapeau clair. Tu vois la tige? Elle est couverte décailles sombres

Je me suis assis, jai touché le chapeau: frais et lisse.

Pourquoi ce nom?
Parce quil aime pousser près des bouleaux, réponditil en souriant. Souvienstoi de lendroit!

Nous lavons doucement déterré, il a découpé la tige pour montrer lintérieur blanc, sans taches.

Un peu plus loin, une petite girolle jaune est apparue parmi lherbe.

Les girolles sont toujours ondulées sur le bord, expliquail, et elles ont une odeur particulière

Jai senti le parfum de noix qui sen dégageait.

Et si cest un faux?
Les faux sont plus brillants ou nont pas dodeur, répondil. Mais nous ne les prenons jamais.

Peu à peu, nos paniers se sont remplis: un sousbois robuste, puis, au milieu du mousse de sapin, un groupe de paris sur une souche, leurs petites têtes blanches bordées de crêtes claires.

Grandpère distinguait les vrais des faux:

Les faux sont jaune vif ou même orange en dessous, montraitil, alors que les vrais sont blancs ou légèrement crèmes en dessous

Jaimais trouver les champignons moimême, appeler grandpère à chaque découverte ; parfois je me trompais, et il mexpliquait patiemment la différence une fois de plus.

Le long du sentier, des amanites rouges aux taches blanche apparurent.

Elles sont très jolies, dis-je, pourquoi ne pas les cueillir?
Elles sont toxiques, réponditil gravement. On ne peut que les admirer.

Je les contournais avec précaution. Cette leçon ma rappelé que le beau nest pas toujours bon à mettre dans le panier.

De temps en temps, il me demandait :

Tu te souviens des différences? Si tu doutes, laissele.

Je hochais la tête, voulant être attentif, sentant la responsabilité de mon petit panier et de marcher aux côtés de mon aïeul.

Au cœur de la forêt, le soleil perçait à travers les branches basses, dessinant de longues bandes lumineuses sur le sol humide. Le frais y était plus prononcé, mes doigts frissonnaient parfois sur le manche du panier, mais lexcitation de la recherche réchauffait mieux que nimporte quel gant. Un écureuil filait, les oiseaux papotaient dans les cimes. Parfois, un craquement lointain se faisait entendre peutêtre un lièvre ou un autre cueilleur la forêt semblait un labyrinthe vivant de troncs, mousse et bruissements.

Un jour, entre deux sapins, jai remarqué plusieurs taches roux dans la mousse. Je me suis écarté légèrement du sentier, me suis assis pour observer de plus près: cétait une colonie entière de girolles, exactement celles que grandpère avait louées plus tôt. La joie ma submergé, jai commencé à les ramasser une à une, oubliant de regarder autour. En me relevant, mon regard ne rencontrait que les hauts troncs: aucune silhouette familière, aucun bruit, seulement le doux froissement des feuilles et le craquement épars dune branche. Mon cœur a accéléré; je me suis rendu compte que, pour la première fois, jétais seul au milieu de cette vaste forêt automnale, même si ce nétait que quelques minutes.

La peur ma envahi, mais les mots de grandpère résonnaient dans ma tête: reste sur place, si tu te perds, appelle fort, je répondrai. Ma voix sest dabord faite timide, à peine plus forte que mon souffle, puis, plus assurée :

Papy, où êtesvous?! criaije.

Le brouillard entre les troncs rendait chaque arbre semblable, les sons semblaient étouffés. Soudain, une voix familière retentit depuis la gauche :

Ah! Je suis là, viens vers moi, garde ton calme!

Jai respiré profondément, suivi le son, appelant à nouveau, massurant dêtre entendu. Mes pas sont devenus plus sûrs, le sol sous mes pieds était maintenant familier, la peur sestompa quand la silhouette de grandpère apparut, appuyée contre un vieux chêne, un sourire chaleureux sur le visage.

Tu las trouvé! il me tapota lépaule, un geste dépourvu de reproche, seulement de joie paisible. Jai scruté son visage ridé, qui métait aussi familier que la chambre de mon enfance. Mon cœur battait toujours vite, mais ma respiration sest stabilisée: à ses côtés, je me sentais à nouveau protégé.

Tu as eu peur? demandail doucement, soulevant son panier.

Jai hoché la tête, bref et sincère. Il sest accroupi pour être à ma hauteur.

Un jour, je me suis aussi perdu dans la forêt, quand javais à peine votre âge. Jai cru errer pendant des heures, alors quen réalité il ne sest écoulé que dix minutes Lessentiel, cest de ne pas courir à laveugle. Mieux vaut sarrêter et appeler. Tu as très bien fait.

Je regardais mes bottes en caoutchouc, couvertes de terre et de mousse. Je sentais la fierté de grandpère pour moi, le reste de lanxiété sétait enfui, ne restant plus quun souvenir.

On rentre? Le crépuscule approche, il faut sortir avant la nuit, ditil en se relevant, en ajustant sa casquette et en reprenant son panier. Je lai suivi de près, chaque craquement de feuille sous nos pas résonnait comme une petite chorale familière.

À la sortie de la forêt, le vent du soir faisait tourbillonner les feuilles sèches le long du sentier bordé darbres. Au loin, le toit de notre petite maison de campagne à SaintAmandenPuisaye perçait entre les branches de ronce. Les poignées de nos paniers portaient une bande sombre de terre humide, nos mains frissonnaient légèrement après la longue marche, mais la chaleur du retour surpassait nimporte quel thé chaud.

La maison nous a accueillis dune lumière douce et de lodeur de la brioche sortant du four. Grandmère, avec un torchon drapé sur lépaule, nous attendait au porche :

Oh! Vous voilà, mes braves! Montrezmoi votre butin!

Elle a enlevé nos bottes dans lentrée, où les semelles étaient collées de feuilles, puis a pris le panier de grandpère, le posant près de son bol dédié au nettoyage des champignons.

Dans la cuisine, la chaleur du feu de cuisson faisait danser la buée sur les vitres, laissant entrevoir les lueurs faibles des lanternes du jardin et les silhouettes des arbres. Je me suis installé près de la table pendant que Grandmère triait les champignons: sousbois ici, girolles là, et grandpère sortait son petit couteau pliant pour travailler les petits paris.

Le soir sassombrit rapidement dehors, mais la maison était dune quiétude réconfortante. Jécoutais les adultes parler de notre sortie, je racontais mes découvertes, et je sentais que, désormais, jappartenais à cette tradition familiale. Le thé fumait, parfumé aux champignons et à la brioche. La nuit avançait, mais la lumière intérieure restait chaleureuse et sereine, comme après un petit défi franchi main dans la main.

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