«Tu peux retourner dans ton village» dit son mari lorsquelle perdit son emploi.
«Élodie, pourquoi tu ne dis rien ? La soupe refroidit.» Vincent tapota le bord de son assiette avec sa cuillère, jetant des regards mécontents à sa femme.
Élodie leva lentement les yeux, posa son téléphone. Toute la journée, elle avait appelé des connaissances, cherché désespérément du travail, mais partout la réponse était la même : pas de poste, crise économique, licenciements.
«Désolée, jétais dans mes pensées.» Elle prit sa cuillère, goûta la soupe au chou quelle avait préparée spécialement pour Vincent, qui laimait avec des haricots blancs. Maintenant, tous ces efforts lui semblaient vains.
«À quoi tu penses ?» Vincent avalait sa soupe brûlante, la surveillant du coin de lœil. «Encore le travail ?»
«À quoi dautre ?» Élodie soupira, repoussant son assiette. «Sophie dit quils licencient aussi dans son service. Et Amandine, de la compta, est sans emploi depuis trois mois.»
«Arrête un peu !» Vincent fit un geste agacé. «Tu trouveras bien quelque chose. Tu as tout le temps.»
«Vincent, jai quarante-trois ans. Qui voudrait de moi à cet âge ? Ils prennent des jeunes, avec des diplômes, de lexpérience en informatique. Et moi, quest-ce que je sais faire ? Jai passé ma vie derrière un comptoir, dans un supermarché.»
«Et alors ? Cest un travail honnête.» Il finit sa soupe, tendit la main vers le pain. «Dailleurs, le pain est rassis. Tu las acheté quand ?»
Élodie se tut. Le pain datait davant-hier. Elle économisait sur tout depuis quon lavait licenciée. Le salaire de Vincent sur les chantiers était maigre, et souvent payé en retard.
«Pourquoi tu nirais pas chez ta sœur ?» proposa-t-il soudain. «Tu pourrais rester une semaine ou deux, prendre lair. Moi, je me débrouillerai ici.»
Sa sœur cadette, Camille, vivait à Paris, manager dans une grande entreprise. Elle appelait rarement, seulement pour les fêtes.
«Pourquoi jirais chez elle ? Elle a sa vie, sa famille. Et puis, je nai pas largent pour le billet.»
«On trouvera largent.» Vincent se leva, sapprocha de la fenêtre. «Écoute, et si tu allais chez ta mère ? À la campagne. Là-bas, au moins, tu as des légumes du jardin, du lait frais. Tu ne mourras pas de faim.»
Élodie resta immobile, la cuillère en suspens. Sa mère vivait à Saint-Julien, un village à cent kilomètres de Lyon. La dernière fois quelle y était allée, cétait pour lenterrement de son oncle, trois ans plus tôt. Le village se vidait, plus que des retraités.
«Tu es sérieux ? Retourner à la campagne ?» Elle le dévisagea, incrédule. «Et toi ?»
«Et moi quoi ? Jai mon travail ici. Je ne peux pas tout abandonner pour te suivre. Cest moi qui fais vivre la maison.»
«Pour linstant, oui.» corrigea-t-elle à voix basse.
«Tu cherches toujours la petite bête !» Vincent se retourna brusquement. «Je ne te propose pas ça pour toujours. Un mois ou deux, le temps que tu trouves quelque chose ici. Au lieu de rester à ne rien faire.»
«À ne rien faire ?» Élodie se leva, commença à débarrasser. «Et qui nettoie la maison ? Qui fait la lessive, la cuisine ? Qui a fait la queue à lhôpital pour ton dos quand tu avais mal ?»
«Bon, ça va de soi.» Il haussa les épaules. «Ce nest pas ce que je voulais dire. Juste» Il hésita, se gratta la nuque. «Si tu veux, tu peux retourner dans ton village. Là-bas, ce sera plus calme. Tu nauras pas à stresser pour le travail.»
Ces mots la frappèrent comme une gifle. *Retourner dans ton village*. Comme si la ville navait pas été son foyer depuis vingt ans. Comme si elle ny était quune étrangère de passage.
«Mon village ?» répéta-t-elle lentement. «Mon village ?» répéta-t-elle lentement.
Elle posa les assiettes dans lévier, les mains tremblantes, puis se tourna vers la fenêtre. Dehors, la lumière du réverbère éclairait à peine le trottoir fissuré.
Demain, elle appellerait Camille. Pas pour demander de laide, pas pour fuir. Mais pour dire quelle venait à Paris. Quelle en avait assez de se sentir inutile, invisible.
Et cette fois, elle ne repartirait pas.







