Merci, papa… et adieu

Merci, papa adieu.

Il poussa le portail, qui céda sans un grincement, les gonds soigneusement huilés.

Pas mal, Leroux, murmura-t-il avec approbation.

Bien sûr, cétait le voisin. Qui dautre aurait pris soin de la maison ?

Il traversa la cour, posa son sac près du perron, fit encore une fois le tour, puis sapprocha de la porte. Machinalement, il effleura la serrure ronde et brune.

La clé

Leroux en avait une, mais il navait pas envie daller le déranger. Et puis, il était fatigué du voyage.

Soudain, il se souvint. Il passa la main au-dessus de la porte et, effectivement, il trouva la clé, accrochée à une ficelle noire.

Il linséra dans la serrure, tourna. Un déclic, et la porte souvrit sans résistance.

Il poussa le battant, entra dans la véranda. Les rideaux légers, brodés de motifs délicats, ondulaient doucement.

Cest Antoinette qui les a faits, songea-t-il en pénétrant dans la maison.

Sans allumer, il parcourut les pièces.

Lodeur familière lenveloppa. Comme il avait manqué cette senteur.

Les larmes lui montèrent aux yeux. Son cœur se mit à battre trop fort, trop vite.

Mon Dieu

Il fouilla ses poches. Rien. Ses comprimés étaient dans son sac.

Il retourna le chercher, avala un petit remède sous la langue. Peu à peu, son cœur se calma, le bourdonnement dans ses oreilles satténua. Restait seulement cette pression dans ses tempes Ça passerait.

Assis là, il se sentait si bien, si en paix.

Chez lui.

Qui est là ? Une voix résonna depuis lentrée. Hein ?

Je suis là, Louis

Eugène, cest toi ?

Oui.

Mais doù tu viens ? Ta fille, Nathalie, est passée hier. Avec des gens Elle a dit que tu étais à lhôpital, que cétait un peu compliqué.

Ils peuvent attendre, sourit-il. Quels gens ?

Aucune idée. Des citadins, je suppose. Nathalie leur montrait tout On a pensé que cétaient des acheteurs.

Bon, de toute façon, il ny a rien. Je vais trouver quelque chose Ma femme a préparé le dîner, tu veux venir ? On trinquera

Non, merci, Louis. Cest gentil davoir gardé un œil sur la maison.

Mais cest rien Allez, viens avec nous ?

Non Je suis là où je dois être.

Bon, jarrive, attends-moi.

Comme sil allait partir Ridicule. Il était chez lui.

Il sassit près de la fenêtre et y resta jusquà laube. Le soleil se levait maintenant, dorant les vitres.

Il se leva, sétira, sortit dans la cour. Il vérifia chaque recoin, toucha les portes du hangar, jeta un coup dœil au bûcher, puis savança dans le potager.

Tout était propre.

Vers midi, il entendit un moteur. Une voiture sarrêta devant le portail.

Qui est-ce ? Nathalie aurait-elle une nouvelle voiture ?

Des gens joyeux et bruyants sortirent des valises, des sacs Qui étaient-ils ? Nathalie Comment ? Elle avait vendu la maison sans lui dire ?

Bonjour, que faites-vous ici ?

On va vivre ici, papi. Et toi, tes qui ?

Vivre ? Qui vous a permis ?

On la achetée, dit un petit garçon denviron quatre ans, penchant la tête. Les autres, indifférents, continuaient à transporter leurs affaires.

Achetée ? À qui ? Cest quoi, cette histoire ? Le vieil homme claqua la porte au nez des intrus.

Mais ils la réouvrirent, parlant de courants dair. Quels courants dair ? Les fenêtres étaient fermées.

Jappelle la police ! cria-t-il, essayant de senfermer dans la maison. Mais il nétait plus de force. La porte céda.

Il faudrait graisser les gonds, ils grincent, remarqua un homme imposant.

Nathalie Nathalie, murmura-t-il. Elle na pas pu attendre. Elle a tout vendu. Où irait-il maintenant ?

Papi, tu vas vivre avec nous ?

Non. Et vous ne vivrez pas ici non plus. Mais quest-ce que vous prenez ? Nathalie Quas-tu fait ?

Il se précipita pour arracher de leurs mains les albums de photos, les dessins denfant.

Il faut appeler lancienne propriétaire. André, ferme la porte, tout senvole !

Maman, est-ce que papi va rester avec nous ? Le garçon montrait un portrait.

Chut, Michel, assieds-toi. Il faut enlever ce tableau. Cest sûrement lancien propriétaire.

Quoi ? Je suis le propriétaire !

Il fit claquer la porte de la chambre et sassit sur le lit.

Papi, prends un bonbon.

Merci, petit. Pourquoi ne mécoutent-ils pas ?

Je ne sais pas, haussa les épaules lenfant. Ils ne mécoutent pas et me disent toujours de ne pas les déranger.

Ils téléphonaient. À Nathalie ? Tant mieux. Elle allait venir, et il lui dirait quelle avait eu tort, quil ne lui en voulait pas, mais quelle devait rendre largent à ces gens. Ce nétait pas humain

Ils triaient les photos, les dessins de sa fille. Il en attrapa un et lexamina : Nathalie, à la Fête Nationale, lui avait dessiné un soldat Et maintenant ? Elle vendait la maison de son vivant.

Sa maison. Leur maison. Son foyer, celui dAntoinette et de leur Nathalie.

Elle arriva enfin. Il courut vers elle.

Nathalie, ma fille

Elle passa devant lui, aussi élégante que sa mère.

Nathalie, il la suivit, je suis là.

Elle ne tentend pas, papi. Elle ne te voit pas. Comme les autres.

Comment ça ? Toi, tu me vois.

Oui, moi. Mais eux, non. Ils me grondent quand je leur parle de toi.

Vraiment ?

Regarde Maman ! Tu vois ce papi ?

Michel, arrête, ou tu seras punie.

Tu vois ? dit lenfant, sérieux.

Mais Nathalie ne me voit pas non plus ?

Nathalie ?

Oui, ma fille. Là, dans son manteau rouge Elle ne me voit pas ?

Je vais lui demander.

Nathalie, vous voyez le papi ?

Quel papi ?

Michel, cest assez ! Va dans ta chambre.

Je suis son père ! Dis-lui que je suis là, que je ne comprends pas pourquoi elle a vendu la maison Dis-lui quelle ne ma même pas laissé le temps

Attendez Vous le voyez vraiment ?

Lenfant hocha la tête.

Comment est-il ?

Michel décrivit lhomme devant eux.

Cest un enfant, il a trop dimagination

Peux-tu lui répéter mes mots ?

Lenfant acquiesça.

Nathalie, tu te souviens quand nous avons pris lavion et que tu as vu les nuages pour la première fois ? Tu criais : «Je les vois par en dessous !»

Michel transmit chaque phrase.

La femme blêmit.

Tu avais peur des oies, tu te rappelles ? Et quand tu tasseyais sous le pommier, espérant quune pomme te tombe sur la tête pour faire une découverte ? En CM2, tu étais amoureuse dÉtienne, et tu le frappais tout le temps Sa mère est venue, et jai reconnu en elle mon premier amour

Papa ? Cest toi ?

Dis-lui que je laime. Que je serai toujours là.

La famille écoutait, bouleversée. Les femmes pleuraient, les hommes essuyaient furtivement leurs larmes.

Cest un miracle

La femme au manteau rouge sassit sur le banc, lenfant à ses côtés. Ils chuchotèrent longtemps.

Ma fille, dit lenfant enfin. Il faut que je parte.

Papa

Ne sois pas triste. Je suis toujours là.

Elle étreignit lenfant en sanglotant.

Il est parti. Mais il a dit quil ne nous quitterait pas. Et aussi que le bébé dAriane serait un garçon.

Quoi ? On nous avait dit que cétait une fille

Le téléphone sonna.

Allô ? Oui Un garçon ? Mais

La femme leva les yeux vers le ciel, pensive.

Merci, papa et adieu.

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Merci, papa… et adieu
Le désir de vivre…