L’Itinéraire de l’Étranger

L’Itinéraire Inconnu

Quand la notification dune amende apparut sur lécran de son smartphone, Antoine ne comprit pas immédiatement. Assis à la table de la cuisine, les coudes posés sur le plastique froid, il fixait lappareil avec perplexité. Lappartement senfonçait dans la pénombre du soir, tandis quau-dehors, les dernières neiges fondaient, laissant des traces humides sur lasphalte devant limmeuble. Routine habituelle : vérifier les messages, parcourir les actualités. Mais ce soir, un courriel du service dautopartage saffichait en haut de la liste. Objet : « Amende pour excès de vitesse ».

Dabord, il crut à une erreur. La dernière fois quil avait utilisé une voiture en location, cétait début du mois, pour aller à lhypermarché en périphérie. Il avait soigneusement clôturé la session dans lapplication. Depuis, pas un trajet, pas même lidée de reprendre le volant : il travaillait à distance, et pour ses déplacements, il préférait la marche ou le bus. Son manteau, encore humide dune averse récente, pendait près de la porte. Il navait pas approché une voiture depuis des semaines.

Il relut la notification trois fois. Lamende lui était bien adressée, avec une date et une heure précises : la veille au soir. Le message mentionnait une plaque dimmatriculation et un tronçon près de la gare, un quartier où il ne sétait pas rendu depuis des jours.

Lirritation remplaça la suspicion. Il ouvrit lapplication dautopartage. Lécran clignota, le logo chargeant lentement la connexion était souvent capricieuse le soir. Lhistorique affichait une location la veille : début vers vingt heures, fin quarante minutes plus tard, à lautre bout de Paris.

Antoine examina les détails. Lheure de départ coïncidait exactement avec son dîner devant le journal télévisé, où il avait vu un reportage sur un salon international de technologie. Il appuya sur « Détails » le trajet se dessina sur la carte, les rues familières défilaient en gris sous la ligne rouge du parcours.

Les hypothèses se bousculaient : un bug ? Un piratage ? Mais son mot de passe était complexe, et son téléphone toujours à portée de main, ou en charge près du lit la nuit.

Il revint au courriel et remarqua un lien pour contester lamende le support promettait une réponse sous quarante-huit heures, sous réserve de preuves.

Ses doigts tremblaient légèrement de colère. Il écrivit un message dans le chat du support :

« Bonsoir. Jai reçu une amende pour excès de vitesse lors dune location que je nai pas effectuée. Jétais chez moi hier soir. Merci de vérifier. »

La réponse fut automatique : requête enregistrée, attente de lanalyse des données.

Une pensée leffleura : si lerreur persistait, il paierait de sa poche les règles du service engageaient lutilisateur. Cela lui revint en mémoire, souvenir flou des mises à jour de lan passé.

Dans la pièce voisine, une latte de parquet craqua. Le chauffage avait été coupé la semaine précédente, mais les nuits restaient fraîches. Antoine écouta machinalement les bruits de limmeuble : le ronron du frigo, des voix étouffées dans lescalier.

Lattente devenait angoissante. Pour soccuper, il parcourut à nouveau lhistorique et remarqua une anomalie : la location sétait terminée sans les photos habituelles de lintérieur du véhicule, normalement obligatoires.

Un sentiment dimpuissance grandissait face à ces algorithmes opaques. Aucun contact humain, seulement des formulaires et des réponses standardisées.

Il nota les détails suspects sur un bout de papier : lheure de départ coïncidait avec les infos, le point de départ était un centre commercial à trois stations de métro de chez lui.

Lidée dappeler un ancien collègue avocat lui traversa lesprit. Mais il préféra dabord rassembler des preuves solides avant dengager des démarches plus lourdes.

Le lendemain, il se réveilla tôt, la nervosité layant tenu éveillé une partie de la nuit. Pas de nouvelles du support. Il vérifia ses relevés bancaires : un paiement pour un repas vers dix-neuf heures, puis des échanges professionnels entre vingt heures trente et vingt et une heures pile pendant la prétendue location.

Il captura des captures décran et les envoya au support.

Lattente devint plus supportable, mais il se sentait désormais en train de se défendre contre une accusation invisible.

À vingt heures, le support répondit : « Merci pour votre diligence. Nous vous conseillons de déposer une plainte au commissariat et de nous transmettre une copie. »

Nouvelle étape bureaucratique.

Le soir même, Antoine se rendit au commissariat du quartier. Peu dattente. Lagent écouta son récit et laida à rédiger une déclaration pour usage frauduleux de son compte. Il joignit les preuves.

De retour chez lui, il envoya copie de la plainte au support.

Le lendemain matin, un responsable du service de sécurité le contacta enfin : « Nous avons une vidéo du début de la location. »

Lenregistrement souvrit dans lapplication. Une caméra de surveillance près du centre commercial avait capturé une silhouette moyenne, capuche relevée, déverrouillant la voiture avec un téléphone avant de partir précipitamment. Le visage était caché, mais une chose était sûre : ce nétait pas Antoine.

Lattente reprit, pesante.

À midi, un courriel arriva : « Votre dossier est en cours dexamen. » Les formules semblaient toujours aussi impersonnelles.

Enfin, à quatorze heures, la réponse tomba : « Suite à notre vérification, lamende est annulée. Nous vous remercions pour votre vigilance. » Une note sur la sécurité numérique était jointe.

Antoine relut le message deux fois. Le soulagement se mêlait à une irritation persistante.

Un agent du support lappela peu après : « Nous vous recommandons dactiver la double authentification. »

Il modifia ses paramètres sans tarder.

Le soir, il en parla à des collègues autour dun verre.

« Jai failli payer pour un inconnu. Heureusement, les caméras ont tout prouvé. »

Lun deux sourcilla : « Je vais vérifier mes propres réglages. »

La conversation prit une tournure plus grave. Personne ne prenait plus ces risques à la légère.

En rentrant sous une pluie fine, Antoine vérifia une dernière fois son téléphone. Rien danormal.

Plus tard, près de la fenêtre de la cuisine, il médita sur lincident. Moins de peur, désormais, que de prudence.

Le lendemain, il partagea les conseils de sécurité avec quelques proches.

« Mieux vaut prévenir. »

Les réponses fusèrent rapidement.

La semaine sacheva dans le calme. Mais chaque soir, avant de se coucher, Antoine vérifiait ses paramètres de sécurité. Une nouvelle routine, aussi banale que nécessaire.

Оцените статью