Un Lien Exceptionnel

**Journal intime : Un lien unique**

Je savais que jallais en prendre pour mon grade, et pas à cause de laffreux Sébastien, mais de ma propre mère.

Je marchais vers la maison en sifflotant, mais mon cœur se serrait. Ça allait barder pour Victor, et pas quun peu.

Tante Élodie, lamie de maman, mavait vu avec une cigarette. Jaurais pu mentir, dire quon me lavait juste donnée à tenir, mais Tante Élodie mavait vu la cigarette à la bouche. Quallais-je dire à maman ? Quon me lavait fourrée dans la bouche de force ? « Tiens, fume un peu » ?

Je nai pas laissé paraître que je lavais vue, et elle, merci à elle, na pas crié, ne ma pas mis une claque. Elle ma juste regardé longuement avant de repartir.

Mais je ne suis pas dupe. Je sais que tante Élodie a déjà tout raconté à maman, et que cette dernière mattend avec une ceinture. Je faisais mon troisième tour autour de limmeuble quand jai aperçu mamie.

Ah, voilà lartillerie lourde. Coup interdit. Mamie allait se lancer dans son discours habituel : comment elle, institutrice méritante, avait élevé des centaines denfants, mais avait raté son propre petit-fils. Comme elle avait honte comme grand-père devait se retourner dans sa tombe, et tous nos ancêtres avec lui.

Petit, ça me terrifiait. Jimaginais la terre remuer sous leurs tombes. Puis un jour, jai eu une révélation. La dernière fois quelle en a parlé, jai rétorqué que cétait bien quils bougent, comme ça, ils nauraient pas descarres, comme la grand-mère de Mathieu

Mamie sest prise la tête dans les mains, maman a éclaté de rire, oubliant de me donner la fessée, et elle a pris un torchon en pleine figure.

Aujourdhui, je regarde mamie sapprocher.

« Quest-ce que tu fais là ? Pourquoi tu nes pas à la maison ? » demande-t-elle, nerveuse, comme si cétait elle quon avait prise en flagrant délit. « Tu tes disputé avec ta mère ? »

« Non Je ne suis même pas rentré encore. »

« Comment ça ? Où étais-tu, alors ? »

« Lécole, puis lentraînement, et après je rentrais. »

« Ah oui ? » Ça y est, me voilà. Elle va me dire de souffler, puis linterrogatoire commencera. « Quest-ce que cest que ça ? Tes mains sont toutes rouges ! Pourquoi tu nas pas de gants ? Où sont-ils ? »

« Je les ai oubliés à la maison. »

« Comment ça, à la maison ? Et ta mère, elle ne surveille rien ? Montre-moi tes pieds. »

Elle a relevé mon jean et a poussé des cris dorfraie.

« Mais quest-ce que cest que ça ? »

« Quoi, mamie ? » Jai eu peur.

« Tes chevilles sont rouges ! Pourquoi tu nas pas de collants ? Et ton écharpe ? »

Jai eu honte. Surtout quand jai vu Sébastien, son bonnet rouge dépassant de larche, qui observait la scène. Mais mamie, qui lui avait demandé quoi que ce soit ? Quest-ce qui lui prenait ? Peut-être quelle avait comment on dit déjà ? Une sénilité précoce ? Dhabitude, elle est si raisonnable

« Mamie cinq fois cinq ? »

« Vingt-cinq, » a-t-elle répondu, surprise.

« Combien vaut lhypoténuse au carré ? »

« La somme des carrés des côtés Victor ? Quest-ce qui tarrive ? Tu nas pas appris tes leçons ? Elle ne vérifie même plus ? Ça ne va pas se passer comme ça. Viens, on y va. Regardez-moi ça, elle laisse tout aller. »

Attends mamie est de mon côté ? Peut-être que jéchapperai aux sermons. Peut-être que je suis tombé dans une dimension parallèle, ou que des robots ont envahi notre monde. Et si mamie nétait plus vraiment mamie ?

« Mamie de quel côté est ma cicatrice de lappendicite ? »

« À droite. Quelle cicatrice ? On ne ta jamais opéré. »

Non, cest bien elle

Elle ma traîné à la maison, essoufflée, tandis que je résistais.

Maman était là, une bonne odeur venait de la cuisine. Elle portait sa belle robe, des boucles doreilles neuves, et des talons. Quest-ce qui se passait ?

« Mon Victor » Elle ma serré contre elle. « Déshabille-toi, va te laver les mains, on dîne bientôt. Maman, tu restes ? »

« Pourquoi cet enfant traîne dans la rue ? Il ne veut pas rentrer, cest ça ? Tu as réussi, hein ? Tu as tout sacrifié pour Où sont ses gants ? Ses collants ? Il gèle dehors ! Bien sûr, tu ten moques à quoi ça te sert, un enfant, de toute façon ? Avec ton »

« Maman, je ten prie, arrête. Tu manges avec nous ? »

« Non ! Je ne remettrai plus les pieds ici, compris ? Et tu sais quoi ? »

Elle sest tournée vers moi. « Victor, mon petit, fais tes affaires. Tu viens chez moi. »

« Pourquoi, mamie ? »

« Pour vivre, mon chéri. Viens. »

« Mais je ne veux pas »

Lidée de lavoir sur le dos tous les jours non merci.

« Maman, Victor reste ici, dans son appartement, avec sa famille. »

« Quel appartement ? Tu as tout sacrifié, tout Victor, prépare-toi. »

« Maman, si tu ne te calmes pas, je je vais être obligée de »

« De quoi ? De me mettre à la porte ? »

« Oui ! »

« Ah, tu es vraiment Je tai élevée, et voilà comment tu me remercies ? »

Maman la interrompue. Jai vu quelque chose dincroyable.

Elle a attrapé mamie par le bras et la poussée sur le palier en claquant la porte. Mamie a hurlé quelle appellerait la police, quelle voulait me récupérer, quelle allait parler dun certain geôlier

Maman ma attrapé par la manche et ma entraîné dans le salon. Et là un homme que je ne connaissais pas me fixait, méfiant.

« Victor je ne vais pas mentir. Cest ton père. »

Mamie hurlait derrière la porte. Maman était immobile, les bras ballants. Lhomme sest levé, grand et mince, avec mes yeux. Il a tendu la main, mal à laise.

« Bonjour mon fils. »

Jai reculé, me cognant contre la porte.

« Mais vous mavez dit quil était mort »

« Antoinette » a-t-il murmuré, désolé.

« Ce nest pas moi, Gérard, cest maman. Elle a dit que cétait mieux pour toi, que que tu ne saches pas »

On a frappé à la porte. « Police, ouvrez ! »

« Antoinette, je devrais peut-être »

« Non, assez de mensonges. Victor, on va tout texpliquer, attends ne sois pas effrayé. »

Maman est allée ouvrir.

Mamie est entrée en trombe, suivie dun policier et des voisines.

« Que se passe-t-il ici ? Une plainte a été déposée »

« Rien. Nous dînons en famille. Mon mari rentre du Canada. Notre fils. »

« Mais votre mère »

« Cest un criminel ! Arrêtez-le ! Victor, viens ici ! Il ne ta rien fait ? »

« Maman, arrête cette comédie. »

« Vos papiers ? » a demandé le policier.

« Bien sûr. »

« Casier judiciaire ? »

« Non. Je travaille au Canada depuis des années, après le lycée »

« Désolé »

« Arrêtez-le ! Il a ruiné la vie de ma fille, alors quelle avait des prétendants bien mieux »

« Maman, assez, tu me ridiculises »

Maman a refermé la porte.

Mon père ? Jai vécu onze ans sans lui. À quoi bon maintenant ? Jai maman, mamie, et un père vivant. Mais mamie mavait dit quil était

Jai toujours eu honte de mon père, ce repris de justice mort dans une rixe. Cest ce que mamie mavait chuchoté, pour que personne ne sache.

Et en fait on ma menti toute ma vie. Maman, mamie mon père, qui est vivant.

« Victor » Maman a compris ce que jallais faire, mais trop tard. Jai attrapé ma veste et mes chaussures, et je me suis enfui.

Je courais en pleurant. À qui faire confiance ? Si même ma famille me trahit

« Victor ! » criait maman derrière moi. Je nentendais rien. Je courais, serrant mes affaires contre moi, pieds nus.

« Hé, gamin ! » Jai reconnu la voix de Sébastien. Peu importe, ça ne pouvait pas être pire. « Attends qui te court après ? »

Il ma attrapé par le bras.

« Qui te fait peur ? »

« Personne, lâche-moi. »

« Il fait froid, tu vas tomber malade. Moi, lannée dernière, jai bien mangé à lhôpital mais toi, tu es un enfant sage. »

« Et toi ? Un sauvageon ? »

« Si tu veux. Allez, viens chez moi. Non, ne tinquiète pas, tu me plais, Victor. Jaimerais avoir un frère comme toi Ma mère est en voyage. »

« Comment ça ? »

« Elle est hôtesse de lair. Allez, viens. »

« Tu tu vis seul ? »

« Ouais. »

Sa porte dentrée, en bois éraflé, contrastait avec lintérieur propre.

« Garde tes chaussures, viens dans ma chambre. »

Des posters couvraient les murs : Noir Désir, Téléphone, Indochine Je ne connaissais pas les autres.

Chez moi, maman interdit les posters. Jen ai un de Jean Moulin et un autre de Dorothée, échangé contre six calendriers scintillants. Je les collectionne.

Une guitare, waouh

« Cest à toi ? »

« Ouais. »

« Tu veux du thé ? »

Jai hoché la tête. Je navais pas mangé. Jaurais dû dîner avant de menfuir.

« Écoute, jai faim on mange quelque chose ? Des coquillettes au thon, ça te dit ? »

Jai haussé les épaules. Je ne connaissais pas.

« Oh, cest trop bon. »

Il a fait cuire les pâtes, égoutté, fait revenir des oignons et mélangé le tout avec une boîte de thon. Je navais jamais rien mangé daussi bon.

On a bu du thé dans des tasses en verre, avec des morceaux de sucre emballés deux par deux, estampillés dun train bleu.

« Dis, je suis gêné comment tu tappelles ? »

Sébastien a ri.

« Sébastien. Sébastien Lefèvre. »

« Pourquoi »

« Sébastien ? Je ne sais pas, ça mest resté. Tu veux que je joue ? »

« Vas-y. »

Il a joué et chanté Cétait beau.

« Tu es un vrai artiste. Cest qui, ça ? »

« Ça, cest Indochine, et ça, Noir Désir. Tu connais ? »

« Non, des clowns ? »

« Cest toi le clown ! Ça, cest les Stones. »

« Ils ne sont pas français ? »

« Non »

« Moi, je connais Jean-Jacques Goldman. » Jai entonné une chanson, et Sébastien ma accompagné à la guitare.

« Tu dois rentrer. On doit déjà te chercher avec la police. »

Jai froncé les sourcils.

« Quoi ? »

« Alors jai tout raconté. »

« Ne sois pas idiot cest génial, davoir un père. Moi, je nen ai pas. »

« Il est où ? »

« Je ne sais pas. Ma mère dit quil est pilote. »

« Ah »

« Elle ment. Elle ma ramené dun voyage Je nai ni grands-parents ni oncles. Elle a grandi en orphelinat. Mais elle ma gardé, tu vois ? Un jour, je travaillerai, et elle naura plus besoin de voyager. Allez, Victor, ne fais pas lenfant ce sont leurs histoires dadultes. »

« Merci, Sébastien. »

« Pourquoi ? »

« Pour tout. » Je lai soudain serré dans mes bras.

Il avait raison. Il ma raccompagné.

Tout le monde me cherchait : maman, mamie, les voisins, le policier, et cet homme. Mon père.

Ils mont tout expliqué. Comment maman était tombée enceinte, comment mamie ne voulait pas quelle sengage avec lui. Mais ils sétaient quand même aimés.

Papa était parti travailler au Canada, maman était restée avec moi. Et mamie elle lui avait écrit une lettre, prétendant que maman se mariait avec un autre, et lui demandant de ne plus écrire.

Papa avait répondu une lettre pleine de colère.

Puis il avait rencontré une femme, vécu avec elle Maman la découvert et a demandé le divorce.

Ils ont recommencé à sécrire il y a trois ans. Papa était seul maintenant. Il navait pas pu mentir plus longtemps à cette femme.

« Pourquoi ? » ai-je demandé à mamie.

« Je voulais le bonheur de ma fille et le tien. »

« Et celui de mon père ? »

« Pardonne-moi pardonnez-moi. »

Plus tard, pour mon anniversaire, jai invité Sébastien. Il ma offert un poster de Noir Désir, et maman ma permis de laccrocher au mur.

Pas Sébastien, mais le poster.

Je leur ai pardonné, à tous. Comme la dit Sébastien, ce sont leurs histoires.

Et quand mamie a su que Sébastien vivait seul, elle la pris sous son aile : tartes, soupe il a même eu 20 en maths.

Depuis, nous sommes comme des frères.

Quand on se retrouve à la campagne, on chante à la guitare, on mange des coquillettes au thon comme si on était pauvres

Et mon père ? Je laime. Il a dautres enfants, nous nous entendons tous bien. Mais entre nous, cest différent. Une connexion unique.

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