**Es-tu mon bonheur ?**
À vrai dire, je navais jamais envisagé de me marier. Sans les assiduités de mon futur époux, je serais encore une free bird, insouciante et légère. Étienne, tel un papillon fou, voltigeait autour de moi, ne me lâchait pas des yeux, comblait mes moindres désirs Bref, jai cédé. Nous nous sommes mariés.
Dès le début, Étienne est devenu ce compagnon familier, doux et rassurant. Avec lui, tout était simple et naturel, comme une paire de pantoufles bien aimées.
Un an plus tard, notre fils Thibault naquit. Mon mari travaillait dans une autre ville et ne rentrait quune fois par semaine. Il rapportait toujours des gourmandises pour Thibault et moi. Un jour, alors que je préparais son linge sale comme à mon habitude, je fouillai soigneusement ses pochesune routine depuis que javais accidentellement lavé son permis de conduire. Cette fois, un papier plié en quatre glissa de son pantalon. Je le dépliai et lus : une longue liste de fournitures scolaires (cétait en août). À la fin, dune écriture enfantine : *« Papa, reviens vite. »*
Ah, voilà donc comment mon mari samusait en mon absence ! Un bigame !
Pas de scène, pas de cris. Je pris mon sac, saisis la main de Thibaultil navait pas encore trois anset partis chez ma mère. Pour longtemps. Elle nous offrit une petite chambre : *« Restez, le temps de vous réconcilier. »*
Lidée de me venger germa. Je pensai à Romain, un ancien camarade de classe qui mavait toujours courtisée. Je lappelai.
Salut, Romain ! Tu nes toujours pas marié ? demandai-je, jouant linnocente.
Nadine ? Quelle surprise ! Marié, divorcé On se voit ? répondit-il, enthousiaste.
Cette aventure dura six mois. Pendant ce temps, Étienne versait une pension alimentaire à Thibault. Il la remettait à ma mère en silence, puis repartait.
Je savais quil vivait avec Catherine Lemoine, une veuve avec une petite fille. Catherine lidolâtrait : tricotages, repas copieux, enfant lappelant « papa ». Dès quelle apprit mon départ, elle sinstalla chez lui. Je lappris plus tard. Pendant des années, je lui en fis le reproche. À lépoque, je croyais notre mariage définitivement brisé.
Pourtant, lors dun café pour discuter du divorce, une vague de tendres souvenirs nous submergea. Étienne avoua son amour, son remords. Il ne savait comment se débarrasser de Catherine.
Le cœur serré, je lui pardonnai. Nous nous réconciliâmes. Il ignora tout de Romain. Catherine quitta notre ville pour de bon.
Sept années heureuses sécoulèrent. Puis, un accident de voiture. Opérations, béquilles, deux ans de convalescence. La douleur physique et morale plongea Étienne dans lalcool. Il devint méconnaissable, enfermé dans son silence. Mes supplications ne servirent à rien.
Au travail, je trouvai un confident : Paul. Marié, père de deux enfants, il mécoutait, me consolait. Je ne sais comment nous en sommes arrivés là. Il nétait même pas mon type !
Pourtant, ce fut une passion éphémère. Il memmena au théâtre, aux concerts. Puis, sa femme accoucha, et il disparut. Je ne lui en voulus pasil nétait quun baume temporaire.
Pendant ce temps, Étienne sombrait. Ses amis le ramenaient ivre mort. Je le cherchais dans les rues, le trouvais endormi sur un banc, les poches vides.
Un matin de printemps, je patientais à larrêt de bus, indifférente aux oiseaux chantant. Une voix murmura à mon oreille :
Puis-je soulager votre peine ?
Je me retournai. Mon Dieu, quel bel homme ! À 45 ans, me retrouver désirable Je rougis comme une jeune fille. Le bus arriva, je montai précipitamment.
Mais Grégoirecétait son nomne lâcha pas prise. Chaque matin, il mattendait. Un jour, il moffrit des tulipes.
Je ne peux pas les emporter au travail ! On va jaser, protestai-je.
Il sourit, les offrit à une vieille dame qui nous observait.
Merci, mon beau ! Puisses-tu trouver une maîtresse passionnée ! sexclama-t-elle.
Grégoire se tourna vers moi :
Soyons coupables ensemble, Nadine. Vous ne le regretterez pas.
Loffre était tentante. Étienne nétait plus quun fantôme ivre. Grégoire, 57 ans, sportif, sobre, charmeur. Divorcé.
Je my noyai. Trois ans de passion brûlante, de déchirement. Mon fils nous surprit un jour. Il ne me jugea pas, mais me supplia de ne pas quitter son père.
Une amie divorcée mavertit :
Laisse tomber ces amants de pacotille.
Mais je ne marrêtai que lorsque Grégoire leva la main sur moi. La vérité mapparut enfin.
Il tenta de revenir, supplia. Je restai inflexible.
Étienne, lui, savait tout. Grégoire lavait appelé.
Jai tout perdu à cause de la bouteille, avoua-t-il. Cest de ma faute.
Aujourdhui, dix ans ont passé. Deux petites-filles nous comblent. Un matin, attablés, il me regarde :
Nadine, ne cherche plus. Je suis ton bonheur. Tu me crois ?
Bien sûr, mon amour.







