Écharpe faite à partir de chutes de tissu

**L’écharpe aux souvenirs**

Maman ne restait jamais sans rien faire.
Dès quelle avait un instant de libre, elle prenait ses aiguilles et tricotait.
Tricoter, pour elle, cétait comme discuter avec elle-même, avec grand-mère, avec le passé.
Cela avait toujours été ainsi.
Elle tricotait tout ce qui, selon elle, nous irait à ma sœur et moi : bonnets, gilets, cardigans, écharpes, châles, bérets.
Parfois cétait à la mode, parfois simplement pratique, mais dans chaque maille, il y avait de lamour.
Sa mère, notre grand-mère, faisait de même.
À lépoque, les temps étaient plus durs : si lon voulait quelque chose de spécial, il fallait le coudre ou le tricoter soi-même.
Grand-mère savait tout faire. Elle transformait de vieux vêtements, suivait les patrons de *Femme Actuelle*, inventait ses propres modèles, et quand elle voyait une robe élégante à la télévision, elle courait chercher un crayon pour esquisser un patron.
Une vraie touche-à-tout.
Maman avait hérité de ce savoir-faire et de cette force discrète, celle dune femme qui sait créer du réconfort.

Quand grand-mère nous a quittés, maman a pris le relais sans bruit elle sest assise à la machine à coudre, a ressorti ses aiguilles
Mais ce quelle préférait, cétait tricoter.
Le soir, sous la lampe, la maison sentait la laine, le thé aux fruits et les pommes rôties.
Nous, bien sûr, nous nen mesurions pas la valeur.
Enfants, nous portions ses créations sans rechigner, juste pour ne pas la peiner.
Plus tard, en partant étudier, nous emportions un ou deux tricots « pour faire plaisir ».
Tout nous semblait démodé, « pas comme chez les autres ».

Quand maman est partie à son tour, ma sœur et moi sommes restées quelques jours dans sa maison.
Nous avons tout trié : armoires, tiroirs, boîtes
Presque tout a été donné vêtements, vaisselle, même cette boîte de pelotes de laine rangée sous le lit.
Tante Élodie, la voisine, sest réjouie :
Tout servira, les filles, ne vous inquiétez pas.
Et nous ne nous inquiétions pas.
Nous ne comprenions pas encore quavec ces pelotes, nous avions donné tout un monde celui de maman, doux et familier.

Une semaine plus tard, je suis rentrée chez moi.
Le cœur vide, les mains ne sachant que faire.
Et soudain, je me suis souvenue lécharpe.
Celle-là même, multicolore, duveteuse, un peu ridicule, que maman mavait tricotée lannée dernière.
Je lai trouvée sur létagère du haut et lai enroulée autour de mon cou une chaleur ma envahie.
Comme si maman mavait serrée dans ses bras.
Pas en rêve, pas en souvenir pour de vrai.
Jai pleuré.
Cétait le seul tricot de ses mains que javais gardé.
Pas beau vivant.
Chaque couleur racontait une histoire :
Le bleu son vieux gilet quelle portait lors de ma première rentrée ;
Le jaune mon pull avec lequel javais monté sur scène pour la première fois ;
Le rose le cardigan de ma sœur, offert pour son anniversaire ;
Le vert un morceau de lancien châle de grand-mère ;
Le bleu clair simplement son fil préféré, sans histoire précise, mais avec cette douceur quon sentait dans chaque maille.

Chaque couleur était comme une soirée, un petit instant quelle avait cousu dans cette écharpe.
Elle était devenue un monde entier le sien, le nôtre, tissé de souvenirs, de tendresse et damour.

Maintenant, cest moi qui tricote.
Parfois, tard le soir, quand la maison sendort, je prends mes aiguilles et je me surprends à faire les mêmes gestes quelle.
Ma fille rit :
Maman, pour qui tu tricotes tout ça ? Personne ne porte ça aujourdhui. Il faut se moderniser : les vêtements, les meubles, la coiffure Tu es dépassée !
Je souris.
Dans sa voix, jentends la mienne, jeune et insouciante.
Et je me dis : rien ne change.
Les gens parlent et vivent selon leur époque.
Mais le fil, lui, reste le même.
De main en main. De cœur à cœur.
Et tant quil y aura une femme, quelque part, qui sort ses aiguilles le soir, la chaleur ne disparaîtra pas.
Elle prendra juste de nouvelles formes.

Оцените статью
Écharpe faite à partir de chutes de tissu
Natasha et son mari quittaient le restaurant où ils avaient fêté son anniversaire.