Sacha regardait Ludivine avec une vive jalousie. Ludivine allait quitter lorphelinat. Ses nouveaux parents étaient en train de finaliser les papiers, et bientôt, elle aurait une famille. Elle lui racontait ses journées avec eux : le zoo, où Sacha nétait jamais allé, le théâtre de marionnettes, où Ludivine avait vu une véritable sorcière, et la confiture dabricots avec leurs noyaux.
Sacha avait cinq ans. Depuis quil se souvenait, il avait toujours vécu à lorphelinat. Des enfants arrivaient, dautres partaient. Quand Antoine avait disparu, Sacha avait demandé à Marie-Claire :
« Marie-Claire, où est Antoine ? »
« Il est parti en famille, mon chéri », avait-elle répondu.
« Cest quoi, une famille ? » avait insisté Sacha.
« Une famille, cest un endroit où lon tattend toujours et où lon taime très fort », avait murmuré Marie-Claire.
« Et où est ma famille ? »
Marie-Claire navait rien répondu, soupirant en le regardant avec tristesse.
Depuis ce jour, Sacha navait plus jamais posé de questions sur la famille. Il avait compris que cétait quelque chose dimportant, de précieux.
Quand Ludivine disparut à nouveau deux jours, puis revint dans une jolie robe, coiffée et une nouvelle poupée à la main, Sacha éclata en sanglots. Personne ne lavait jamais choisi. Il se dit quil ne servait à rien.
Cest alors que Marie-Claire entra, une veste et un pantalon à la main.
« Habille-toi, Sacha, des invités vont venir te voir. »
« Des invités ? Pour moi ? »
« Ils veulent faire ta connaissance. »
Sacha shabilla et sassit sur le banc, attendant. Marie-Claire le prit par la main et lemmena dans la salle des visiteurs. Un homme et une femme lattendaient. Lhomme était grand, avec une barbe et des moustaches. La femme, petite et mince, lui sembla dune beauté fragile, comme une rose. Ses grands yeux, bordés de cils épais, brillaient.
« Bonjour, murmura-t-elle. Je mappelle Élodie. Et toi ? »
« Sacha. Et vous, qui êtes-vous ? »
« Nous aimerions être tes amis. Et nous avons besoin de ton aide », dit-elle doucement.
« Mon aide ? » demanda Sacha en fixant lhomme.
Ce dernier saccroupit devant lui :
« Je mappelle Julien. On nous a dit que tu dessinais très bien. Tu pourrais nous faire un robot ? »
« Oui », répondit Sacha, solennel. « Quel genre de robot voulez-vous ? Jen dessine plein. »
Julien se releva, prit un sac et en sortit un album de dessin, des crayons et un immense robot dans son emballage. Les détails métalliques scintillaient sous la lumière du soleil filtrant par la fenêtre. Le souffle coupé, Sacha prit la boîte. Jamais il navait vu un joueur aussi imposant.
« Incroyable ! sexclama-t-il. Cest Optimus Prime ! Le chef des Transformers ! »
« Il te plaît ? » demanda Julien.
« Beaucoup », répondit Sacha, émerveillé.
« Prends-le, avec les crayons. Tu nous feras un dessin après ? En attendant, parlons un peu, comme des amis. »
Sacha passa une heure entière avec Julien et Élodie. Ils parlèrent de tout : ses jouets préférés, son lit, ses chaussures trop fines pour lhiver. Élodie ne lâcha pas sa main un instant, tandis que Julien lui caressait les cheveux.
Marie-Claire entra enfin :
« Il est temps, Sacha. Le dîner approche. »
Julien lui serra la main :
« Nous reviendrons dans une semaine. Tu auras fini le dessin ? »
« Oui, mais vous reviendrez vraiment ? »
« Bien sûr », murmura Élodie en létreignant si fort que ses os craquèrent. Des larmes brillaient dans ses yeux.
« Pourquoi tu pleures ? »
« Ce nest rien, mon cœur. Une poussière, cest tout. »
Marie-Claire lemmena à la cantine. Après le repas, Sacha courut vers la chambre où lon avait déposé le sac. Il sortit le robot, fasciné par ses articulations mobiles.
Il attrapa lalbum et commença à dessiner. Soudain, les grands firent irruption.
« Waouh ! lança Théo. Donne-moi ça ! »
Il attrapa le robot et le lança en lair.
« Rends-le ! hurla Sacha. Il nest pas à moi ! »
« Bien sûr que si ! » ricana Théo. « Ici, tout est à tout le monde. »
Sacha se jeta sur lui. Ils se battirent, et dans un craquement sec, le robot se brisa. Une jambe resta dans la main de Sacha. Les larmes aux yeux, il se rua sur Théo, qui lui balança les morceaux au visage. Le sang coula de son nez. Marie-Claire lemmena aux toilettes, le lava et tamponna la blessure.
« Nas-tu pas honte ? Les jouets sont à tous. Maintenant, il est cassé. »
« Ce nétait pas le mien ! sanglota Sacha. Il était à eux ! »
Marie-Claire sourit :
« Va dessiner. »
Mais comment, maintenant ? À la troisième tentative, Sacha réussit à caler le robot contre un mur, en ajustant la jambe avec une boîte, et se mit à copier.
Le soir venu, une esquisse était terminée. Le lendemain, il en fit deux autres, puis encore. Bientôt, lalbum fut rempli de robots.
« Marie-Claire, demanda-t-il, la semaine est-elle passée ? Quand reviendront-ils ? »
Elle le regarda, attristée :
« La semaine est finie, Sacha. Ils ne reviendront probablement pas. »
Sacha pleura toute la nuit. Cétait à cause du robot, il en était sûr.
Le lendemain, Marie-Claire entra, souriante :
« Habille-toi. On tattend. »
« Qui ? »
« Va voir. »
Sacha ouvrit la porte. Julien et Élodie se tenaient là.
« Bonjour, dit-elle. Nous venons te chercher. »
« Me chercher ? Où ? »
« Tu parlais du zoo. Tu veux y aller ? »
« Oui, mais » Sacha éclata en larmes.
Ils sapprochèrent, inquiets :
« Quy a-t-il ? »
Sacha revint avec lalbum et les morceaux du robot.
« Voilà Désolé. »
Julien rit :
« Mais cest ton robot, Sacha ! Nous te lavons offert. »
Alors Sacha tendit lalbum.
« Parfait ! sexclama Julien. Cest exactement ce quil nous fallait. Ne tinquiète pas pour le robot, je le réparerai. »
« Allons au zoo », dit Élodie en lhabillant.
Les singes le firent rire aux éclats.
« Sacha, reprit Élodie, nous aimerions tinviter chez nous. Tu veux ? »
Chez eux, Sacha hésita avant dentrer.
« Ne sois pas timide », dit Julien.
Élodie le guida vers une chambre aux murs couverts détoiles, avec un lit en forme de voiture.
« Qui vit ici ? »
Ils sassirent, lui prirent les mains.
« Sacha, nous voulons que tu restes avec nous, dit Julien. Pour toujours. »
« Pour toujours ? Alors vous me prenez en famille ? »
« Oui », murmura Élodie.
« Mais pourquoi moi ? Je suis un étranger, et jai cassé le robot »
« Tu nes pas un étranger, dit-elle doucement. Tu es notre fils. »
Sacha hocha la tête, les larmes aux yeux. Il ne voulait plus retourner à lorphelinat.
« Tu es daccord ? »
« Oui. Je serai sage. »
Ils létreignirent, riant et lembrassant.
Et Sacha fut heureux. Enfin, il avait une famille, la sienne, la vraie.







