« Ton temps est écoulé », dit le mari en désignant la porte.
« Encore cette odeur ! Je tai demandé de ne pas fumer à lintérieur ! » Élodie ouvrit grand les fenêtres du salon, agitant les rideaux avec agacement. « Mon Dieu, même le canapé sent le tabac. Quest-ce que vont penser Isabelle et son mari quand ils viendront dîner ? »
« Et alors ? » Théo écrasa sa cigarette dans le cendrier avec provocation. « Ils penseront quun homme normal vit ici, un homme qui fume de temps en temps. Ce nest pas la fin du monde. »
« Les hommes normaux, Théo, fument sur le balcon ou dans la rue. Ils nempoisonnent pas leur famille avec la fumée. Jai mal à la tête à cause de toi. »
« Ça commence », soupira Théo en roulant des yeux. « Vingt-cinq ans avec un mari qui fume, et tout allait bien. Et soudain, tu as mal à la tête. Cest peut-être la ménopause, ma chérie ? »
Élodie se figea, les lèvres serrées. Ce sujet son âge et tout ce qui allait avec revenait de plus en plus souvent, comme une petite piqûre volontaire. Et ça la touchait à chaque fois.
« Quel rapport ? » Elle se détourna vers la fenêtre pour cacher ses larmes. « Je te demande juste un peu de respect. Cest si difficile daller sur le balcon ? »
« Le respect ? » Théo ricana. « Et le tien envers moi ? Après le travail, je veux masseoir tranquillement, boire un thé et fumer. Pas courir partout comme un gamin. Après tout, cest chez moi ! »
« Chez nous », corrigea Élodie doucement.
« Daccord, chez nous », admit-il à contrecœur. « Sauf que cest moi qui paie le loyer. Et les travaux. Et ton nouveau manteau. »
Élodie inspira profondément. Cet argument, elle lavait entendu mille fois. Oui, elle navait pas travaillé depuis quinze ans dabord pour les enfants, puis pour soccuper de sa belle-mère, puis elle sétait simplement habituée à être femme au foyer. Et Théo sétait habitué à le lui reprocher.
« Je ne veux pas me disputer », dit-elle, épuisée. « Je te demande juste de fumer sur le balcon. Isabelle est asthmatique, elle aura du mal à respirer. »
« Daccord », concéda Théo, à sa grande surprise. « Pour ta précieuse Isabelle, je vais bien vouloir sortir. Mais juste pour ce soir. »
Il se leva et se dirigea vers la chambre en lançant :
« Au fait, je ne comprends pas pourquoi tu les as invités. Jai une réunion importante demain, jai besoin de dormir, pas de divertir tes amis stupides. »
« Ce ne sont pas juste des amis », répliqua Élodie. « Philippe est directeur de la bibliothèque municipale. Il pourrait maider à trouver un travail. »
Théo sarrêta net et se retourna lentement :
« Quel travail ? »
Élodie hésita. Elle voulait lui en parler plus tard, quand tout serait sûr. Mais maintenant, il fallait sexpliquer.
« Je veux travailler à la bibliothèque », dit-elle, en essayant de garder une voix ferme. « Trois demi-journées par semaine. Les enfants sont grands, tu es toujours au bureau »
« Qui soccupera de la maison ? » linterrompit Théo. « Qui fera la cuisine, le ménage, le linge ? »
« Je gérerai, ne tinquiète pas », essaya-t-elle de sourire. « Ce nest pas toute la journée. Et les enfants viennent rarement maintenant »
« Les enfants, non, mais ta mère, si », grogna Théo. « Et elle exige toujours des tartes et des pot-au-feu. »
« Elle maide, justement. Et puis, elle ne vient pas si souvent. »
« Peu importe. Mais ce travail, cest une lubie, Élodie. Tu as quarante-sept ans, quelle carrière ? Occupe-toi de tes broderies ou de tes livres. »
« Mes livres ? » Une vague de colère monta en elle. « Théo, tu te souviens que jai une licence de lettres ? Que jai enseigné avant les enfants ? »
« Et alors ? Cétait il y a vingt ans. Aujourdhui, les exigences ont changé. Tu crois vraiment quon veut de ton diplôme poussiéreux ? »
« À la bibliothèque, si. Je ne veux pas une fortune, Théo. Juste une occupation. Des contacts. Le sentiment dêtre utile à autre chose quà repasser tes chemises. »
« Merci beaucoup », ironisa-t-il. « Donc, la maison et la famille, cest rien ? Indigne dune femme intelligente comme toi ? »
« Ce nest pas ce que jai dit, et tu le sais très bien », soupira Élodie, fatiguée. « On en reparlera plus tard. Il faut préparer le dîner. »
Elle partit dans la cuisine, le cœur battant. Chaque discussion avec Théo tournait désormais en dispute. Elle ne savait pas quand ça avait commencé un jour, elle avait juste réalisé quils ne se comprenaient plus.
Avant, cétait différent. Ils sétaient rencontrés à la fac tous deux amoureux des livres. Théo écrivait des poèmes, Élodie ladmirait. Puis le mariage, les enfants. Théo avait trouvé un bon poste dans une maison dédition. Et Élodie était restée à la maison avec les enfants, le quotidien, les livres qui devenaient un luxe.
Elle navait pas vu Théo changer. Le jeune homme romantique était devenu un homme cynique, fatigué, qui rentrait tard et sintéressait de moins en moins à elle. Et quand elle lavait remarqué, il était trop tard. Ils étaient devenus des étrangers sous le même toit.
Isabelle et Philippe arrivèrent à lheure. Philippe, un homme imposant à la barbe bien taillée, engagea aussitôt une discussion politique avec Théo. Isabelle, mince et vive, vint aider Élodie en cuisine.
« Alors, Théo est au courant pour le travail ? » demanda-t-elle en coupant des tomates.
« Non. Il est contre. »
« Évidemment. Les hommes détestent le changement. Surtout quand ça menace leur confort. »
« Mais rien ne changera. Je moccuperai toujours de tout. »
« Pour lui, si. Il rentrera et tu ne seras pas là. Horreur ! »
Elles rirent, et Élodie se sentit un peu soulagée. Isabelle avait toujours su la réconforter.
Le dîner commença calmement. Théo était cordial, plaisantait même. Élodie se détendit peut-être que les choses sarrangeraient.
« À propos de livres », dit Isabelle en se tournant vers Élodie. « Tu as parlé à Théo de notre projet ? »
« Quel projet ? » releva Théo.
« Euh », hésita Élodie. « On a évoqué lidée dun club de lecture pour enfants. À la bibliothèque. »
« Et ça devait commencer quand ? » La voix de Théo se durcit.
« Le mois prochain », répondit Isabelle, ignorant la tension. « Deux heures, deux fois par semaine. Rien de fou. »
« Fascinant. Et tu comptais men parler quand ? »
« Jai essayé aujourdhui », murmura Élodie.
« Je nai pas souvenir dune discussion », rétorqua Théo en sadressant aux invités. « Voyez-vous, Élodie a soudain envie de travailler. Moi, je pense quà son âge, cest peu judicieux. »
« Pourquoi ? » sétonna Philippe. « Élodie a une excellente formation. Nous aurions besoin delle. »
« Possible. Mais elle a des devoirs envers sa famille. Envers son mari. »
« Théo », rougit Élodie. « Pas devant eux. »
« Pourquoi ? Nous sommes entre adultes. Je veux juste clarifier les choses : je refuse que ma femme







