**Journal intime 12 octobre**
*«Ton temps est écoulé»,* a lancé mon mari, désignant la porte dun geste sec.
* Encore cette odeur ! Je tai demandé de ne pas fumer à lintérieur !* Jai ouvert en grand les fenêtres du salon, agitant les rideaux avec irritation. * Mon Dieu, même le canapé est imprégné. Quest-ce que vont penser Élodie et son mari quand ils viendront dîner ?*
* Et alors ?* Pierre a écrasé sa cigarette dans le cendrier avec provocation. * Ils penseront quun homme normal vit ici, un homme qui fume de temps en temps. Quelle tragédie.*
* Les hommes normaux, Pierre, fument sur le balcon ou dans la rue. Ils nempoisonnent pas leur famille avec leur fumée. Jai mal à la tête à cause de toi.*
* Voilà qui commence,* a-t-il rétorqué, roulant les yeux. * Vingt-cinq ans avec un mari fumeur, et soudain, cest un problème. Peut-être est-ce la ménopause, ma chère Margaux ?*
Jai serré les lèvres. Il évoquait de plus en plus souvent mon âge, mes changements, comme sil cherchait à me blesser. Et ça marchait à chaque fois.
* Quel rapport ?* Jai détournié le regard vers la fenêtre pour cacher mes larmes. * Je te demande simplement un peu de respect. Est-ce si difficile daller sur le balcon ?*
* Le respect ?* Il a ri sèchement. * Et le tien envers moi ? Après le travail, je veux masseoir, boire mon thé et fumer tranquillement. Pas jouer au garçon de courses. Après tout, cest chez moi !*
* Chez nous,* ai-je corrigé doucement.
* Daccord, chez nous,* a-t-il concédé à contrecœur. * Mais cest moi qui paie le loyer. Les travaux. Et ton nouveau manteau, aussi.*
Jai respiré profondément. Cet argument, je lavais entendu mille fois. Oui, je navais pas travaillé depuis quinze ans dabord les enfants, puis la belle-mère malade, puis lhabitude dêtre femme au foyer. Et Pierre avait pris lhabitude de me le reprocher.
* Je ne veux pas me disputer,* ai-je soupiré. * Je te demande juste de fumer sur le balcon. Élodie est asthmatique, elle aura du mal à respirer.*
* Daccord,* a-t-il surpris en cédant. * Pour ta précieuse Élodie, je ferai leffort. Mais seulement pour ce soir.*
Il sest levé et a grommelé en direction de la chambre :
* Dailleurs, je ne comprends pas pourquoi tu les as invités. Jai une réunion importante demain, jai besoin de dormir, pas de divertir tes amis ennuyeux.*
* Ce ne sont pas juste des amis,* ai-je répliqué. * Philippe est directeur de la bibliothèque municipale. Il pourrait maider à trouver un travail.*
Pierre sest figé, puis sest retourné lentement :
* Quel travail ?*
Jai hésité. Je voulais lui en parler plus tard, quand tout serait arrangé. Mais il fallait sexpliquer maintenant.
* Je veux travailler à la bibliothèque,* ai-je dit, mefforçant de paraître assurée. * Trois demi-journées par semaine. Les enfants sont grands, tu es toujours au bureau*
* Et qui soccupera de la maison ?* a-t-il coupé sec. * La cuisine, le ménage, le linge ?*
* Je gérerai, ne tinquiète pas,* ai-je tenté de sourire. * Les enfants viennent rarement maintenant, les repas seront simples*
* Oui, mais ta mère, elle, vient chaque semaine,* a-t-il grogné. * Et il lui faut ses plats maison, ses desserts.*
* Elle maide, justement,* ai-je répliqué. * Et elle ne vient pas si souvent.*
* Peu importe.* Il a balayé lair dun geste. * Mais ce travail, cest une lubie, Margaux. Quarante-sept ans, recommencer ? Reste à la maison, occupe-toi de tes broderies, ou de tes livres.*
* Mes livres ?* Une vague de colère ma submergée. * Tu te souviens que jai une licence de lettres ? Que jai enseigné avant les enfants ?*
* Et alors ?* Il sest rassis, méprisant. * Cétait il y a vingt ans. Les temps ont changé. Qui voudrait de ton diplôme aujourdhui ?*
* La bibliothèque, justement,* ai-je insisté. * Je ne veux pas une fortune, Pierre. Juste une occupation. Un sentiment dutilité.*
* Donc, la maison, la famille, ce nest rien ?* a-t-il ricanié. * Trop médiocre pour ton immense intelligence, cest ça ?*
* Tu détournes mes mots,* ai-je murmuré, épuisée. * Parlons-en plus tard. Les invités vont arriver.*
La cuisine ma offert un répit. Chaque discussion avec Pierre tournait désormais à laffrontement. Quand avait-ce commencé ? Nous nous étions rencontrés en fac de lettres, lui écrivait des poèmes, moi les admirais. Puis le mariage, les enfants, son poste dans une maison dédition. Et moi, peu à peu enfermée dans le quotidien, les livres devenant un luxe rare.
Il avait changé, sans que je men aperçoive. Le jeune homme romantique était devenu un homme cynique, absent, indifférent à mes pensées. Et quand javais ouvert les yeux, il était trop tard.
Élodie et Philippe sont arrivés à lheure. Lui, massif et barbu, a engagé Pierre dans un débat politique. Elle, menu et vif, ma aidée en cuisine.
* Alors, tu lui as dit pour le travail ?* a-t-elle demandé en coupant des tomates.
* Il refuse catégoriquement.*
* Évidemment,* a-t-elle haussé les épaules. * Les hommes détestent le changement. Surtout quand ça menace leur confort.*
* Rien ne changerait pourtant,* ai-je soupiré.
* Pour lui, si. Tu ne serais plus à sa disposition.*
Nous avons ri, et jai senti la tension se dissiper.
Le dîne débuta paisiblement. Pierre était charmant, presque jovial. Jai osé espérer.
* À propos,* a lancé Élodie, *tu as parlé à Pierre de ton atelier littéraire ?*
* Quel atelier ?* a-t-il demandé, suspicieux.
* Je* Jai hésité. * Lidée danimer un club de lecture pour enfants. À la bibliothèque.*
* Et ça devait commencer quand ?* Sa voix sétait glacée.
* Le mois prochain,* a répondu Élodie, aveugle à la tension. * Deux heures, deux fois par semaine. Rien de bien fou.*
* Fascinant,* a-t-il posé sa fourchette. * Tu comptais men parler quand ?*
* Jessayais aujourdhui*
* Je nai entendu aucun débat,* a-t-il ricané, sadressant aux invités. * Voyez-vous, Margaux se découvre une passion tardive pour le travail. Mais à son âge, cest un peu naïf, non ?*
* Pourquoi ?* sest étonné Philippe. * Elle a un excellent bagage. Nous aurions besoin delle.*
* Possible,* a concédé Pierre. * Mais elle a des devoirs envers sa famille. Envers son mari.*
* Pierre, pas devant eux* ai-je supplié, rouge de honte.
* Quoi ?* a-t-il souri cruellement. * Nous sommes entre adultes. Je suis contre que ma femme travaille. Point.*
Un silence gêné a suivi. Philippe a tenté de parler météo. La soirée sest traînée, glaciale.
Après leur départ, jai rangé en silence.
* Tu comptais me cacher ça combien de temps ?* Pierre était planté dans lencadrement, bras croisés.
* Je ne cachais rien. Jattendais le bon moment.*
* Lequel ? Après ton premier contrat ?*
* Pourquoi cette colère ?* ai-je demandé. * Ce nest pas une trahison.*
* Si.* Ses yeux étaient durs. * Notre accord : tu toccupes de la maison, moi des finances. Cétait la loi.*
* Il y a vingt ans !* ai-je explosé. * Je veux me sentir utile !*
* Tu les ici.*
* Pas à tes yeux. Je ne suis quune ombre.*
Il a avancé, menaçant :
* Tu veux ta liberté ? Tes petites aventures ?*
* Quoi ?* Jai reculé. * De quoi parles-tu ?*
* Je connais ces «envies de travailler». Dabord un emploi, puis des collègues, puis*
* Mon Dieu,* ai-je murmuré, atterrée. * Tu penses que je cherche un amant entre les rayonnages ?*
Il a ign







