**Journal intime dAurélie**
Dès mon enfance, on me répétait que jétais belle. Ma mère, rayonnante, ne manquait jamais une occasion de le rappeler à ses collègues : « Notre Aurélie est une vraie petite merveille, bien plus jolie que les autres fillettes ! » Les gens acquiesçaient, bien sûr. Seule la voisine tempérait parfois : « Tous les enfants sont mignons, mais en grandissant, certains perdent leur éclat Enfin, pas tous, bien sûr. »
Le temps passa. Au lycée, jétais devenue une jeune femme élancée, fière et capricieuse. Les garçons me couvaient des yeux, et je savais quils plieraient devant mes désirs. Après le bac, luniversité ma échappé. Jai dû me contenter dun BTS en commerce.
« Ma chérie, laisse-moi te trouver un poste à lusine, dans le laboratoire », me souffla ma mère. « Cest un travail tranquille, pas trop physique Et puis, tu es trop délicate pour autre chose. »
« Et mon diplôme ? »
« Bah, qui travaille encore dans son domaine ? Et puis, le commerce, ce nest pas pour toi. »
Ainsi, je devins laborantine. Je grandis en beauté et en assurance. Puis je rencontrais Vadim, ingénieur dans latelier voisin. Notre histoire fut brûlante, intense. Il ma demandé ma main : « Épouse-moi avant quun autre ne te vole. » Jai accepté.
Notre mariage fut modeste, comme ceux de lépoque, célébré dans la cantine de lusine. Peu après, jappris que jattendais un enfant. « Vadim, nous allons agrandir la famille. » Il ma serrée dans ses bras, ravi.
Notre fille, Sophie, naquit, aussi jolie que moi. Le temps passa. Elle grandit, Vadim soccupait delle pendant que je méloignais. Je rentrais tard, prétextant le travail, bien quil sache que le labo ne retenait personne. Il se taisait, craignant les scènes.
« Vadim, on a vu ta femme avec le directeur au restaurant », murmuraient les collègues. Il baissait les yeux.
« Pourquoi épouser une belle femme ? » raillaient ses amis. « Un gâteau trop appétissant attire toujours les gourmands. »
Ils avaient raison. Je fréquentais Anton, un haut fonctionnaire, qui me couvrait de bijoux et de cadeaux. Vadim, lui, seffaçait, soccupant de Sophie tandis que je dictais mes ordres : les courses, le ménage, les devoirs. Il ne parlait jamais de divorce, par peur de blesser notre fille.
Puis vint la crise. Anton fut emporté dans un scandale. On minterrogea, on me retint. Jai pleuré, supplié : je ne savais rien. Finalement libérée, je rentrai humiliée, ruinée. Vadim avait tout vendu pour me soutenir. Licenciée, abandonnée, je me retrouvai seule.
Je me relevai pourtant. Des prêts, un kiosque à souvenirs dans un quartier touristique, puis un magasin, puis deux. « Vadim, viens me chercher à laéroport. Laisse ton travail, aide-moi. »
« Je ne suis pas commerçant. »
« Jai besoin dun homme. »
« Il y a assez de chômeurs. »
Alors, je trouvais Arthur, jeune et ambitieux. Vadim le savait, mais nous restâmes sous le même toit, étrangers lun à lautre.
« Si tu mavais accordé plus dattention »
« Tu me dégoûtes. »
Les années filèrent. Sophie partit vivre en Savoie avec son mari. Un Nouvel An, je partis en Chine ; Vadim, en Suisse. À notre retour, il me dévisagea : « Aurélie Quas-tu fait ? »
Javais rajeuni, affiné mes formes.
« Combien ça ta coûté ? »
Jéclatai dun rire amer. « Tout. Absolument tout. » Je tendis mes mains nues, vidai mon sac. « Des massages, de lacupuncture très chers. »
Je refusais de vieillir, pas auprès dArthur. Vadim, lui, déclina. Un infarctus, lhôpital. Il vieillissait à vue dœil.
« Assieds-toi avec moi. »
« Je nai pas le temps. »
Un jour, Arthur mattendait au magasin, un dossier à la main. « Lis ça. »
« Quest-ce que cest ? »
« Maintenant, cest moi le patron. Tu peux partir. »
Lavocat ne put rien faire. « Tout est légal. Vous avez signé. »
Je rentrai, battue.
« Aurélie, et le business ? » murmura Vadim.
« Plus rien. Il me faut de largent. »
« Nous navons plus rien. »
« Et lappartement ? »
« Pas ça »
« On vendra. On achètera en banlieue. »
« Et je ferai quoi ? »
« Je tachèterai un ordinateur. Tu vivras dans le virtuel. »
Je riais, mais je savais : comme le phénix, je renaîtrais. Toujours.







