**L’Enterrement de Vie de Garçon**
Quand Thibault divorça de sa femme, il se jura de ne plus jamais se remarier. Après sept ans de vie commune, il en avait conclu une chose : le mariage, cétait surtout des disputes, des cris et des scènes à répétition.
Tibo, tu exagères, lui disait son ami Stéphane en souriant comme un chat repu. La vie de couple, cest le confort : tu manges bien, tu es soigné, choyé
Mouais, Stéph, répondait Thibault en haussant les épaules. Je cuisinais souvent, je passais laspirateur mon devoir sacré et pour ce qui est dêtre « choyé » ma Chloé savait moffrir des caresses dont je me serais bien passé !
Chloé, son ex, était du genre à râler pour un oui ou pour un non. Un cadeau ? « Tu aurais pu prendre plus cher. » Des vacances ? Elle le surveillait comme le lait sur le feu, au cas où il oserait regarder une autre femme. Elle lhumiliait même en public.
La goutte deau fut une gifle en plein anniversaire de sa copine, parce quil avait osé boire un cognac de trop. Ce soir-là, il quitta la fête seul, résolu à divorcer.
La séparation fut houleuse. Chloé lui rendit la vie impossible, mais il lui laissa lappartement et la voiture après tout, leur fille y vivait. Il repartit à zéro, sans rien réclamer.
Les années passèrent. Thibault racheta un appartement, une voiture, remboursa son crédit heureusement, son salaire était confortable. Il fréquentait des femmes, certaines lui proposaient même de se marier, mais il restait inflexible.
Plus jamais. Jai donné.
Tout changea à trente-huit ans, quand il rencontra Élodie. Par hasard, dans un café. Il était là avec ses amis pour férer la promotion de Stéphane. Deux jeunes femmes sinstallèrent à la table voisine. Lune delles croisa son regard des yeux dun bleu profond, presque hypnotiques sous la lumière tamisée.
Bon sang, voilà deux pièges à cœur, pensa-t-il, mais il garda ça pour lui.
Il ne la quitta pas des yeux. Elle le sentait et baissait les paupières dès que leurs regards se rencontraient.
Tibo, on dirait que la demoiselle dà côté ta mis KO, rigola Stéphane, toujours observateur.
Franchement, oui, admit Thibault, décidé à faire le premier pas.
Alors bouge-toi ! lança Antoine en lui faisant un clin dœil.
Thibault sapprocha des jeunes femmes.
Bonsoir, jaimerais faire votre connaissance. Je mappelle Thibault. Je ne vous dérange pas ?
Bonsoir, répondirent-elles en chœur. Moi, cest Élodie, dit celle qui lavait intrigué. Et voici Justine.
Ravis de vous rencontrer. Puis-je me joindre à vous ?
Bien sûr, dit Justine.
Elles ne buvaient pas de vin, seulement du jus. Il proposa une bouteille, mais Élodie refusa poliment.
Merci, mais nous ne sommes pas adeptes dalcool.
Ce soir-là, Thibault raccompagna Élodie. Il ne but rien il conduisait. Peu à peu, ils se découvrirent des affinités. Elle avait été mariée brièvement.
On ne sentendait pas, dit-elle simplement, sans sétendre. Thibault non plus naimait pas revenir sur son passé conjugal.
Élodie avait trente-cinq ans, pas denfant, et travaillait comme comptable dans une entreprise de BTP. Sérieuse, mais passionnée de peinture. Elle dessinait pour le plaisir, et cétait plutôt réussi. Elle traînait Thibault dans les expositions lui qui ny connaissait rien se surprit à aimer ça.
Ses amis le taquinaient, mais il la défendait : elle avait un vrai talent. Rare quelle sy adonne, mais ils partaient même en pleine nature pour quelle peigne.
Un soir, devant la télé, son chat Félix sur les genoux, une pensée lui traversa lesprit :
Je crois que je vais demander Élodie en mariage.
Il caressait Félix en lui parlant, comme si le matou pouvait répondre.
On vivra à trois, tu verras. Elle est si douce, si calme et toi, tu ne la lâches plus quand elle vient.
Félix, un gros matou gris flegmatique, avait été recueilli chaton dans la rue. Il suivait Thibault en miaulant, et ce dernier navait pas pu résister. Six ans plus tard, Félix régnait sur lappartement. Quand Élodie le rencontra, elle déclara :
Ce chat est malin. Il ne parle pas juste par flemme.
Thibault fit sa demande. Elle accepta. Ils voulurent une simple mairie, mais famille et amis protestèrent :
Un mariage, cest sacré ! Vous allez pas faire les radins !
Ils cédèrent. La liste des invités sallongea, les cartes partirent puis vint la seconde vague de revendications :
Un enterrement de vie de garçon, Thibault ! Cest obligé !
Les gars, on a bientôt quarante ans, on est plus des gamins !
Lâge na rien à voir ! Il faut faire tes adieux au célibat ! insista Stéphane.
Le mariage était prévu un vendredi. LEVG fut fixé au mercredi.
Comme ça, je me remettrai avant le grand jour, et vous pourrez vous lâcher sans vos femmes. Une strip-teaseuse, peut-être ?
Thibault prit une semaine de congé. Le mardi, il fit des stocks de vin et de champagne. Pour la nourriture, il commanda chez un traiteur : sushis, salades, viandes
Le mercredi, il mit une heure à dresser la table. Félix, intrigué par lodeur des crevettes, sautilla autour.
Ny compte pas, gourmand. Cest *mon* jour.
Les amis arrivèrent en fanfare.
À table ! annonça Thibault en débouchant les bouteilles. On commence léger ou on attaque direct ?
Désolé, je suis sobre ce soir, avoua Antoine. Ma femme a dit : « Un pas de plus ivre, et je te quitte. » Et puis je conduis.
Les femmes soupira Stéphane. Moi non plus, je ne bois pas. Belle-mère arrive à quatre heures du mat.
Toi qui voulais un EVG à tout prix ! rit Thibault, compréhensif.
Tu verras quand tu auras une belle-mère, dit Antoine.
La mienne habite à Bordeaux, rétorqua Thibault. Elle viendra pour le mariage et repartira.
Chanceux grommela Paul, qui vivait avec la sienne depuis vingt-cinq ans.
Ils burent, mangèrent, parlèrent boulot, politique, voitures Paul se vanta des exploits sportifs de sa fille. À dix heures, tout le monde partit.
Cest tout ? sétonna Thibault.
On aurait bien prolongé, mais demain, boulot
Une fois seul, Thibault poussa une assiette de crevettes vers Félix, qui en fit son festin. Lui-même sendormit sur le canapé avec une bière.
Au réveil, Félix trônait au milieu de la table, lair satisfait.
Quel culot
LEVG était terminé. Puis vint le mariage, joyeux et animé. La vie à deux commença. Thibault ne regretta rien : ce second mariage fut bien plus heureux que le premier.
