Vous avez vécu, maintenant c’est à notre tour

Écoute, maman, beaucoup de mes amis ont eu de l’aide de leurs parents pour se loger, dit le fils, maintenant adulte. Je vais bientôt me marier, alors aide-moi à trouver un appartement ! Tu veux vraiment quon se retrouve à la rue ? Pas besoin de lacheter, on pourrait faire plus simple : on pourrait vivre dans le studio que tu loues. Il faudrait juste le mettre à mon nom pour que tout soit régulier !

Marie-Claire était assise dans la cuisine, triant des factures. Son mari, Pierre, était parti travailler depuis longtemps, mais elle narrivait pas à se motiver pour ranger. Ses pensées allaient et venaient comme des abeilles agitées. Ces derniers temps, la paix familiale avait disparu : leur fils cadet, Théo, leur mettait régulièrement les nerfs à lépreuve.

Marie-Claire rêvait enfin de vivre pour elle : amener une touche personnelle à leur chambre, acheter un meuble moderne pour le salon. Théo allait se marier et partir avec sa femme, laissant lappartement à elle et Pierre. Mais tout avait basculé : le divorce de leur fille aînée, Élodie, avec son bon-à-rien de mari, avait tout chamboulé. Les projets de rénovation étaient abandonnés la plus grande pièce avait été cédée à Élodie et ses enfants, Lucas et Chloé.

Dans un mois, Théo devait épouser sa fiancée, Aurélie. Depuis plusieurs semaines, celle-ci avait élu domicile chez eux, et désormais, sept personnes sentassaient dans un trois-pièces, littéralement les uns sur les autres.

Aurélie entra dans la cuisine. Marie-Claire la vit et fronça aussitôt les sourcils.

Bonjour, Marie-Claire, dit-elle en ajustant sa queue-de-cheval impeccable. Vous déjeunez ? Ou je reste seule ici ? Je ne veux pas vous déranger.

Aurélie tutoyait sa future belle-mère, lappelant par son prénom sans jamais la vouvoyer. Cette familiarité agaçait profondément Marie-Claire, qui nappréciait guère la future épouse de son fils. Mais Théo ladorait, alors elle et Pierre devaient faire avec.

Bonjour, Aurélie. Jai déjà mangé, répondit-elle sèchement. Attends cinq minutes, je finis de ranger et tu pourras prendre ton petit-déjeuner.

Aurélie prit un verre et remplit deau.

Marie-Claire, je voulais vous demander quelque chose. Théo et moi, on a parlé de notre logement après le mariage Quest-ce que vous en pensez ?

Marie-Claire posa les factures. Voilà, le sujet revenait sur le tapis.

On en a déjà parlé, Aurélie. Il y a une chambre libre ici. Vous pouvez y rester.

Aurélie reposa son verre. Son visage prit immédiatement une expression que Marie-Claire avait surnommée « mépris condescendant ».

Marie-Claire, soyons honnêtes. Vous avez fait de belles rénovations. Votre appartement est cosy, lumineux. Mais cest le vôtre. Vous et Pierre y vivez depuis trente ans. Et, soyons francs, avec Élodie et ses deux enfants on est déjà cinq. Théo et moi, on ne veut pas vivre sous surveillance constante.

Et comment imaginez-vous votre vie après le mariage ? demanda Marie-Claire, irritée. Vous navez pas de logement. Tout ce que vous pouvez vous offrir, cest une location.

Justement, cest de ça quon parle, rétorqua Aurélie en sasseyant. On a pensé à votre studio. Celui que vous louez.

Je le loue, oui. Et alors ?

Eh bien On pourrait y vivre. Ce serait parfait. On paierait le loyer, bien sûr Mais ce serait bien si vous pouviez nous en faire cadeau.

Marie-Claire eut un sourire ironique.

Jai deux enfants, ne loublie pas. Tu veux que je vous donne mon studio et que je lèse ma fille ?

Élodie peut rester avec vous, haussa les épaules Aurélie. Vous avez trois pièces. Vous et Pierre dans une, Élodie et les enfants dans une autre. Il y a de la place pour tout le monde.

Élodie ne peut pas vivre ici indéfiniment, serra les poings Marie-Claire. Elle est divorcée. Elle a besoin de sa propre vie. Et puis, je te le redis : je ne vous donnerai pas ce studio. Vous ne pouvez pas compter sur moi pour résoudre vos problèmes. Vous êtes jeunes, vous travaillez. Cest à vous de vous débrouiller.

Mais ça prendra des années ! sexclama Aurélie. Théo vient davoir une promotion, mais pour acheter, il faudra cinq ou six ans minimum ! Et nous, on veut vivre maintenant !

Alors pourquoi une telle noce ? coupa Marie-Claire, sur un ton sans réplique. Pourquoi des limousines, des colombes, un banquet pour cent personnes si vous ne pouvez même pas vous payer un toit ? Un simple mariage civil et votre apport serait bouclé. Ce ne serait pas plus raisonnable ?

Marie-Claire, cest votre point de vue, répliqua Aurélie avec un calme forcé. Nous, on veut célébrer notre jour comme on la rêvé. Je veux une belle robe, je veux que mes amies voient quon nest pas des miséreux. Vous ne comprenez pas ?

Si, je comprends, acquiesça Marie-Claire. Je comprends que tu veux frimer. Mais je sais aussi quun couple sans logement propre, cest la voie directe vers le divorce. Les gens intelligents achètent dabord, puis se marient.

Aurélie lui lança un regard noir et quitta la cuisine. Elle navait rien à répondre

***

Le soir, ce même débat revint avec Théo Marie-Claire comprit aussitôt quAurélie lavait manipulé. Cette fois, il critiqua lanniversaire de mariage récent de ses parents :

Vous et papa avez fêté vos trente ans de mariage au restaurant parce que vous pouvez vous le permettre. On a vécu dix ans en serrant les boulons, on a remboursé le crédit de la voiture que vous mavez offerte, au fait ! Et oui, on a fait la fête parce quon lavait mérité !

Vous auriez pu faire ça à la maison ! Un barbecue à la campagne, ça aurait coûté moins cher. Tu sais à quel point cet argent maurait été utile maintenant ! Combien avez-vous dépensé ? Deux cents ? Trois cents mille euros ?

Marie-Claire se tourna vers lui.

Cest toi qui me dis ça ? toi qui nas même pas pu économiser pour un costume décent ? On ta payé celui du mariage ! On a couvert 70 % des frais de votre noce, on a dû faire un prêt pour satisfaire vos caprices. Et maintenant, tu me fais des reproches ?

Ne me crie pas dessus, sénerva Théo. Je ne te reproche rien. Je réclame juste ce qui me revient. Où est-ce que je vais emmener ma femme ? Ici ? Dans une piaule minable ? Maman, je te le demande sérieusement !

Et moi, je te demande pourquoi ses parents ne peuvent pas vous loger ! Tu exiges que je te donne mon seul filet de sécurité, celui que jai gardé pour ma retraite ! Ce studio, on continue à le louer, un point cest tout !

Mais pourquoi ? Vous avez déjà vécu, laissez-nous notre chance, maman !

Tu oublies que tu as une sœur, Théo. Élodie a des enfants, elle a plus besoin daide que vous, jeunes et en forme !

Leurs échanges furent interrompus par des pas Aurélie fit irruption dans le salon.

Élodie peut compter sur son ex-mari, linterrompit-elle. Ou sur lappartement que vous lui laisserez. Donnez-nous le studio, on ne réclamera pas le trois-pièces. Nest-ce pas, Théo ?

La dispute senvena. Chacun croyait avoir raison. Théo et sa fiancée avaient depuis longtemps cessé dêtre polis ils exigeaient carrément lappartement, sans y avoir aucun droit

***

Il ne restait plus quune semaine avant le mariage. Le week-end fut étrangement calme Théo et Aurélie étaient partis chez des amis à la campagne, Élodie et ses enfants étaient allés voir une cousine dans une autre ville. Marie-Claire et Pierre regardaient la télé quand on sonna à la porte. Ils échangèrent un regard ils nattendaient personne.

Pierre alla ouvrir. Dès que la porte souvrit, la voix perçante de la mère dAurélie, Brigitte, résonna dans lentrée.

Pierre, salut. Marie-Claire est là ? Laisse-moi entrer !

Marie-Claire sentit un frisson. Elle ne lavait rencontrée que trois fois, mais ça avait suffi pour comprendre le personnage. Aurélie était bien sa fille.

Elle se précipita dans lentrée. À temps Brigitte avait déjà enlevé ses chaussures.

Quest-ce qui nous vaut le plaisir ? lança Marie-Claire, sans saluer.

Brigitte sourit largement :

Salut, Marie-Claire. Je suis venue te parler. Il y a quelque chose quon doit régler. Le mariage approche, et ma petite Aurélie est dans un état Hier, elle est venue en pleurs, elle sest plainte de toi !

Marie-Claire haussa un sourcil.

Ah oui ? Et quest-ce que je lui ai fait ?

Arrête de jouer linnocente ! Je ne comprends pas pourquoi tu refuses de les mettre dans ton studio ? Il est libre, non ? Tu ne veux même pas aider ton propre fils ?

Pierre souffla bruyamment ; Marie-Claire lui serra la main, lui demandant de se contenir.

Brigitte, pourquoi ne leur achetez-vous pas un appartement, vous ? Pourquoi cest à moi de régler ça ?

Brigitte eut lair sincèrement surprise.

Mais je ne suis pas faite dargent ! On vit modestement. Si javais un logement vide, je le leur aurait donné avec plaisir Bref, Marie-Claire, arrête tes manières et donne-leur le studio. Pas de dispute, hein ?

Pierre ny tint plus. Poussa

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L’Anneau d’un Autre