– La voisine m’est plus proche que toi – a dit maman avant de raccrocher

**Journal intime 15 octobre**

*« La voisine mest plus proche que toi »*, a déclaré maman avant de raccrocher.

Je suis restée plantée dans la cuisine de mon appartement lyonnais, le téléphone glacé dans ma main, comme si je venais de saisir un serpent. Javais appelé maman à Bordeaux pour lui annoncer ma promotion, partager ma joie. Et voilà ce que jai reçu en retour.

*« Quest-ce qui se passe ? »* a demandé Théo, mon mari, en entrant. *« Tu es toute pâle. »*

*« Maman vient de me dire que sa voisine lui est plus proche que moi »*, ai-je murmuré en reposant lentement le téléphone sur la table. *« Juste comme ça, sans raison. »*

*« Vous vous êtes disputées ? »*

*« Non ! Je lui parlais de mon avancement, et elle ma coupée : «Élodie, tu es dans ton monde, pendant que Madame Lefèvre, elle, maide tous les jours elle fait mes courses, achète mes médicaments. Elle est plus famille que toi maintenant.» »*

Théo a froncé les sourcils et sest assis en face de moi.

*« Écoute, peut-être quelle ne va pas bien ? Une confusion ? »*

*« Quelle confusion ! »* ai-je explosé. *« Elle sait parfaitement ce quelle dit. Elle veut me faire mal. Et tu sais pourquoi ? Je lui ai proposé de venir cet été, de louer une maison en Provence. Sa réponse ? «Pourquoi jirais ? Jai Madame Lefèvre ici, on jardine ensemble.» »*

Je me suis tue avant de rire, un rire amer.

*« Et pendant ce temps, je lui envoyais 200 euros chaque mois. Pour quelle ait de largent de côté. Je croyais bien faire. »*

*« Arrête les virements »*, a dit Théo sèchement. *« Si la voisine est si proche, quelle laide. »*

*« Théo, ne dis pas ça ! Cest ma mère. »*

*« Ta mère, qui vient de thumilier ? Réveille-toi, Élodie. Une mère normale ne parle pas ainsi à sa fille. »*

Je me suis levée, me suis approchée de la fenêtre. Dans la cour, des enfants jouaient, leurs rires montaient jusquà moi, mais cela semblait lointain, étranger.

Madame Lefèvre était une bonne voisine, certes. Veuve, ses enfants vivaient en Alsace et ne passaient quune fois par an. Je me souvenais delle, sévère, nous grondant lorsque nous faisions du bruit dans lescalier. Maintenant, elle était devenue *« plus famille »* que moi.

Le téléphone a sonné. Maman.

*« Ne réponds pas »*, a dit Théo.

*« Et si quelque chose nallait pas ? »*

*« Dans ce cas, quelle appelle sa «famille» du troisième étage. »*

Jai décroché malgré tout.

*« Oui ? »*

*« Élodie, pourquoi tu as raccroché tout à lheure ? »*

*« Cest toi qui as raccroché, maman. Après mavoir parlé de ta voisine. »*

*« Ah, ça »* Une pointe dagacement dans sa voix. *« Mais cest la vérité. Madame Lefèvre est là, tous les jours. Quand jai eu ma crise dhypertension, qui a appelé le médecin ? Elle. Et toi, tu étais où ? »*

*« Au travail, maman ! Tu ne mas même pas prévenue ! »*

*« À quoi bon ? De toute façon, tu ne serais pas venue. Ton travail passe avant tout. »*

Les larmes mont brûlé les yeux. Dans sa voix, les vieux reproches resurgissaient.

*« Maman, veux-tu que je vienne demain ? Je prends un jour et jarrive. »*

*« Non ! Je nai pas besoin de toi. Madame Lefèvre maccompagne chez le médecin demain. Toi, tu serais sur ton téléphone ou à parler boulot. »*

Jai eu limpression de recevoir un coup.

*« Daccord, maman. Comme tu veux. »*

*« Ah, et puis »*, sa voix est devenue soudain pratique, *« arrête les virements. Madame Lefèvre dit que cest mal, que les enfants achètent leur conscience avec de largent. Je me débrouillerai. »*

Un silence. Puis sa voix, lointaine, comme si elle sétait détournée : *« Madame Lefèvre, ces cachets, cest pour lestomac ? Merci, ma chérie »*

*« Cest bon, jai raccroché »*, ai-je chuchoté dans le vide avant déteindre lécran.

Théo ma serrée contre lui.

*« Elle ne réalise pas ce quelle dit. Peut-être un problème cognitif ? »*

*« Si. Elle réalise. »* Je me suis dégagée. *« Je suis devenue une étrangère pour elle. À la fac, elle me disait déjà : «Pourquoi tant détudes ? Marie-toi, fais des enfants.» Et quand jai eu mon poste : «Carriériste, tu oublies ta famille.» »*

*« Mais tu lappelais toutes les semaines ! »*

*« Et à chaque fois, jentendais que jétais une mauvaise fille. Trop rare, les mauvais cadeaux, pas assez de temps avec ses petits-enfants Et maintenant, il y a Madame Lefèvre. »*

Je me suis effondrée sur une chaise, épuisée.

*« Le pire ? Je voulais vraiment quelle vienne vivre avec nous. Lui aménager une chambre. Je pensais que ce serait bien. Et elle La voisine est plus proche. »*

Les jumeaux, Raphaël et Manon, dix ans, ont fait irruption dans lappartement, leurs cartables claquant contre la porte.

*« Maman, cest quand quon va chez mamie ? »* a demandé Manon. *« Tu avais dit pendant les vacances. »*

Je les ai regardés, le cœur serré.

*« Je ne sais pas, ma puce. Peut-être pas cette fois. »*

*« Pourquoi ? »* sest insurgé Raphaël. *« Et le cadeau quon a préparé ? »*

Ils avaient confectionné un album photo, rassemblé leurs dessins ; Manon avait même brodé un mouchoir en cours de couture. Tout attendait dans une boîte à chaussures, prêt pour le voyage à Bordeaux.

*« On lui donnera plus tard »*, ai-je murmuré.

*« Maman, tu es malade ? »* Manon sest approchée, inquiète. *« Tu as les yeux rouges. »*

*« Non, juste fatiguée. »*

Théo les a emmenés dans leur chambre, leur expliquant à voix basse que *« mamie ne se sent pas très bien »*, que *« maman est triste »*, et que *« ce sera pour plus tard »*.

Ce soir-là, après avoir couché les enfants, jai feuilleté de vieux albums. Moi, petite, sur la plage landaise avec maman elle était jeune, belle, me serrait contre elle. Nous faisions des crêpes dans la cuisine, je trempais les doigts dans la pâte en riant. Mon bac, elle si fière, à côté de moi et de ma mention.

Quand cela a-t-il changé ? Après la mort de papa ? Ou avant ?

Il est parti il y a six ans. Depuis, maman sest repliée, aigrie. Je pensais que le chagrin passerait. Mais le temps a coulé, et elle est devenue une inconnue.

*« À quoi tu penses ? »* a demandé Théo en sasseyant près de moi.

*« Que je suis sans doute une mauvaise fille. »*

*« Absurde ! Tu lappelles, tu lui envoies de largent, tu viens quand tu peux. Que veut-elle de plus ? »*

*« Que je sois là. Tout le temps. Comme Madame Lefèvre. »*

*« Et ton travail ? Les enfants ? Notre vie ? »*

Jai haussé les épaules.

*« Pour elle, ça ne compte pas. Seule la distance compte. »*

Le téléphone a sonné à nouveau. Un numéro inconnu.

*« Allô ? »*

*« Bonjour, cest Madame Lefèvre, la voisine de votre mère. Vous êtes bien Élodie ? »*

*« Oui. »*

*« Il faut venir. Votre mère Elle ne va pas bien. Après votre appel, elle narrête pas de pleurer. Je ne sais plus quoi faire. »*

Ma gorge sest nouée.

*« Quest-ce qui quest-ce quelle a ? »*

*« Elle sanglote, répète sans cesse : «Jai blessé ma fille, jai blessé ma fille.» Jai essayé de la calmer, lui ai fait une tisane Elle dit que vous ne lui parlerez plus jamais. »*

*« Madame Lefèvre, est-ce quelle elle a des problèmes de mémoire ? »*

*« Mais non ! Elle est lucide. Juste désespérée. Elle regrette ses mots. Elle vous aime, elle ne sait pas lexprimer. »*

La colère en moi sest dissoute.

*« Dites-lui que jarrive demain. Sans faute. »*

*« Je lui dirai. Merci. Jallais appeler le médecin. »*

Après avoir raccroché, je suis restée immobile, le téléphone à la main.

*« Tu y vas ? »* a demandé Théo.

*« Oui. Avec les enfants. Quils lui donnent leurs cadeaux. Peut-être quelle ne sait juste pas dire quelle me manque. »*

*« Et si elle reparle de la voisine ? »*

*« Elle ne le fera pas. Madame Lefèvre est gentille, mais elle nest pas sa famille. Moi, je suis sa fille. Et je le resterai, quoi quelle dise. »*

Le lendemain, jai pris un jour de congé. Dans le TGV, Raphaël et Manon parlaient de la joie de mamie en découvrant leurs cadeaux. Moi, je regardais défiler les vignobles par la fenêtre, songeant que parfois, les mots trahissent le cœur.

Maman nous attendait sur le pas de la porte, les yeux rougis. En me voyant, elle ma serrée dans ses bras, sans lâcher prise.

*« Pardonne-moi, ma fille. Pardonne cette vieille folle. Je ne pensais pas ce que jai dit »*

*« Tout va bien, maman. Tout va bien. »* Je caressais ses cheveux gris. *« Je suis là. Nous sommes tous là. »*

Madame Lefèvre, discrète sur son palier, a souri avant de rentrer chez elle. Elle comprenait : les voisins, cest bien. Mais la famille, cest autre chose.

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