Ce matin-là, le réveil fut pénible. Amélie avait passé une nuit blanche dans sa chambre douillette. La dispute de la veille avec son mari, violente et injuste, l’avait complètement démoralisée. Tout était parti de l’insistance de Laurent à vouloir vendre l’appartement pour investir dans une affaire douteuse.
Amélie se leva, avala une tasse de café revigorant et commença à ranger les affaires de son mari dans une grande valise. C’est alors qu’elle remarqua l’absence de son passeport.
« Cest clair, il est parti de son propre chef. Tant mieux », murmura-t-elle, tandis que des larmes brûlantes coulaient sur ses joues.
Laurent avait déjà menacé de la quitter après chaque dispute. Pourtant, les choses finissaient toujours par s’arranger, et ils continuaient à vivre ensemble. Elle était devenue cheffe de rayon dans un grand magasin, tandis que Laurent enchaînait les petits boulots précaires, cherchant toujours la fortune.
Et puis, il avait fini par lui proposer d’investir dans un trafic d’armagnac, censé arriver en citerne depuis lAriège, être mis en bouteille dans une distillerie locale, puis revendu dans des épiceries clandestines. « Jai des contacts », assurait-il.
Malgré ses promesses d’expertises légales et de parts dans laffaire, Amélie s’était fermement opposée à ce projet louche. Sans compter qu’il fallait débourser une somme astronomique, censée ensuite tripler. Bien sûr, ils navaient pas cet argent doù la nécessité de vendre lappartement. Cest sur ce point quavait éclaté la dispute.
L’appartement venait des parents dAmélie. Elle avait catégoriquement refusé de le vendre, ne voulant pas se retrouver à la rue. Laurent lavait traitée de radine misérable, la dispute avait dégénéré, et il était parti. Elle savait d’ailleurs où : chez son ex-femme, Élodie.
Élodie avait divorcé de Laurent avant de réapparaître dans sa vie, riche d’un nouveau mariage, de deux enfants et d’un bel appartement. Elle appelait souvent Laurent, linvitait. Il y allait, soi-disant par nostalgie. Amélie avait toujours senti que, sans ces enfants, il serait parti pour de bon.
Mais maintenant, plus de jalousie, plus de colère. Juste une indifférence morne. Laurent avait échoué comme mari et comme homme. Il se donnait des airs, faisait semblant de se démener, alors quil ne cherchait quà « se faire un max de blé », comme il disait. Bon vent. Que son ex assume ses combines.
Amélie essuya ses larmes, respira profondément et décida de reprendre sa vie en main. Elle ne gaspillerait plus son énergie pour Laurent et ses chimères. L’appartement resterait sien, et son avenir entre ses mains. Elle sortit son téléphone et appela son amie de toujours, Claudine, juriste dans un grand cabinet.
« Claudine, jai besoin daide, déclara-t-elle dune voix ferme. Laurent est parti, et je veux divorcer. Et vérifie sil ne ma pas embarquée dans des dettes ou des arnaques. »
Claudine se mit aussitôt au travail. En deux jours, elle découvrit que Laurent avait bel et bien tenté son coup. Il avait signé des papiers douteux avec des associés ariégeois, essayant dhypothéquer lappartement. Heureusement, sans la signature dAmélie, ces papiers ne valaient rien.
Pire encore, il avait mis en gage la voiture de son père, un homme dur et intraitable, pour obtenir des fonds. Comment avait-il réussi à le convaincre ? Mystère. Son beau-père, ancien militaire, était renfermé. Quant à savoir comment Laurent sétait procuré sa Peugeot, cétait une énigme.
Pendant ce temps, sûr de son « génial plan », Laurent sétait installé chez son ex, Élodie. Flattée, elle avait accepté de financer son projet, y engloutissant même ses économies volées à son ex-mari.
Elle avait confié les enfants à ses parents, débarrassant le plancher. La grand-mère adorait sen occuper tant mieux.
Laurent promit monts et merveilles à cette femme égarée et se lança dans son « business », en réalité une escroquerie censée lenrichir en quelques mois. Il emprunta à droite et à gauche, convainquant des naïfs dinvestir. Il paya une somme conséquente pour la marchandise et attendit la livraison.
Mais la citerne narriva jamais. Les associés disparurent, largent avec eux, et la distillerie nia toute implication. Laurent se retrouva endetté, sans la voiture paternelle et avec des procès aux trousses, y compris celui dÉlodie.
Furieuse, elle le jeta dehors. Il tenta de revenir vers Amélie, mais elle avait déjà changé les serrures et entamé le divorce. Laurent finit ruiné, sans famille, sans argent, et bientôt derrière les barreaux pour escroquerie.
Libérée de ce mariage toxique, Amélie sépanouit. Elle contracta un petit prêt sur lappartement, non pour des combines, mais pour ouvrir une boutique de cosmétiques bio.
Son expérience dans la vente laida à prospérer. Elle remboursa vite et commença à gagner correctement. Claudine laida à régler les formalités, et Amélie se sentit enfin libre et forte.
Une question la hantait : comment avait-elle pu aimer un homme comme Laurent ? Était-ce la jeunesse, linexpérience ? Sans doute.
Ils sétaient rencontrés chez sa mère. Elle avait vingt-cinq ans, ses amis détudes sétaient éloignés, et aucune nouvelle rencontre sérieuse ne se profilait.
Sa mère lavait alors emmenée à une soirée de fin dannée, espérant la voir fréquenter lun de ces jeunes gens brillants et libres du bureau. Mais cest Laurent, sombre et renfermé après son divorce, qui avait capté son attention.
À trente-trois ans, élégant et charmeur, il rêvait de grandeur. « Travailler pour un patron, cest fini », disait-il à linnocente Amélie.
Sa mère lavait mise en garde : « Ne tattache pas à ce Morel. Tu confonds politesse et sincérité. »
Amélie avait rougi. « Il a des projets sérieux. Quil soit plus âgé, cest bien. Je veux du stable. »
« Tu as grandi sans père. Peut-être cherches-tu une figure paternelle. » Sa mère, cultivée et directrice, savait de quoi elle parlait. Mais Amélie, déjà amoureuse, ne lécouta pas.
« Fais en sorte que cela naille pas trop loin. »
« Pourquoi ? Il a fait quelque chose de mal ? »
« Non, mais il a déjà été marié. Je minquiète pour toi. »
Trois mois plus tard, sa mère mourut. Elle savait probablement quelle était malade, mais avait caché cela à sa fille, voulant la protéger jusqu’au bout.
Laurent lavait soutenue, ne la quittant pas dune semelle. Il avait emménagé chez elle, et elle, vulnérable, lavait laissé faire.
Ils se marièrent un an après, alors quil avait déjà quitté son emploi stable, en quête de fortune. Puis vint la fausse couche, un drame pour elle. Lui avait commenté, froid : « Cet enfant nétait pas destiné à vivre. »
Il commença à disparaître le soir. Et puis tout bascula.
Assise dans son bureau, Amélie sourit en repensant à tout cela. Sa mère avait vu juste. Elle nétait plus là, mais Amélie, enfin heureuse, honorait sa mémoire.
Quant à Laurent, en prison, il devait regretter ses choix. Mais cela ne la concernait plus.
Le lendemain, jour de repos, elle acheta un bouquet de roses rouges, les préférées de sa mère, et se rendit au cimetière. Sous le soleil dété, les oiseaux chantaient.
Sur la pierre tombale, le portrait de sa mère, jeune et souriante, la regardait. Cette femme navait pu lempêcher de commettre des erreurs, mais Amélie seule en était responsable.
Elle murmura : « Tout va bien, maman. Ne tinquiète plus. »
Les roses tremblaient dans la brise, comme une réponse. Elle se souvint des derniers mots de sa mère :
« Ma chérie, je serai toujours dans ton cœur. Pose ta main sur ta poitrine, et tu me sentiras. Ne te consume pas de chagrin. »
Amélie le fit. Son cœur battait fort, sa paume devint chaude, et des larmes coulèrent. Elle savait quelle ne trahirait plus jamais cette mémoire et ne commettrait plus derreurs qui auraient pu la peiner, là-haut.







