– C’est toi qui l’as gâté – m’a accusée l’ex-femme de mon nouveau mari

Cest toi qui las corrompu maccusa lex-femme de mon nouveau mari.

Maman, pourquoi est-ce quArthur a un nom de famille différent ? demanda Lucas en feuilletant le carnet de correspondance de son demi-frère.

Nathalie se figea au-dessus de la marmite de pot-au-feu, la louche suspendue dans sa main. La question resta en suspens, comme une corde trop tendue. Lucas, assis à la table de la cuisine pour faire ses devoirs, ne leva même pas les yeux, attendant une réponse.

Parce quil a un autre papa répondit-elle doucement, en continuant à remuer la soupe.

Et où est son papa ?

Il vit ailleurs.

Lucas leva enfin les yeux de son cahier et regarda sa mère avec attention. À onze ans, il comprenait déjà beaucoup de choses, bien plus que Nathalie ne laurait souhaité.

Pourquoi Arthur pleure-t-il parfois la nuit ?

Le cœur de Nathalie se serra. Elle le savait, bien sûr. Arthur, sept ans, sanglotait souvent dans son sommeil, le visage enfoui dans loreiller. Le psychologue pour enfants lexpliquait par la difficulté dadaptation, le stress du divorce et larrivée dun nouveau père à la maison.

Il a du mal à shabituer à notre nouvelle famille dit-elle en éteignant la plaque chauffante.

Moi, je me suis habitué à Pierre tout de suite fit remarquer Lucas. Il est génial, non ?

Nathalie sourit. Oui, Pierre était un mari et un père merveilleux. Après son divorce, elle avait élevé Lucas seule pendant trois ans, travaillant deux emplois, sendormant de fatigue sur les manuels de son fils. Puis elle avait rencontré Pierre lors dune réunion parents-professeurs lui aussi divorcé, élevant son fils Arthur.

Leur relation avait évolué lentement, avec prudence. Tous deux craignaient de se tromper à nouveau, de faire souffrir leurs enfants. Mais lamour avait été plus fort que la peur.

Nathalie, je suis rentré ! cria Pierre depuis lentrée.

Papa est là ! sexclama Lucas en courant vers son beau-père.

Nathalie suivit son fils du regard. Comme il avait été facile pour Lucas daccepter Pierre ! Mais avec Arthur, tout était bien plus compliqué.

Pierre entra dans la cuisine, embrassa sa femme sur la tempe.

Tout va bien ? Où est Arthur ?

Dans sa chambre. Pierre, il faut quon parle murmura Nathalie. Sophie a appelé.

Le visage de son mari changea aussitôt. Sophie, son ex-femme, la mère dArthur. Chaque appel delle était une épreuve pour toute la famille.

Quest-ce quelle voulait cette fois ?

Elle veut prendre Arthur ce week-end. Elle dit quil a changé, quil est renfermé, quil travaille mal à lécole.

Et tu as répondu quoi ?

Quest-ce que je pouvais dire ? Bien sûr, quelle vienne le chercher. Mais elle sous-entendait Nathalie hésita.

Quoi ?

Que cétait ma faute. Que je ne moccupais pas bien de lui.

Pierre soupira lourdement et sassit à table.

Nathalie, tu sais bien que ce nest pas vrai. Depuis le premier jour, tu fais tout pour être une bonne mère pour lui.

Jessaie, mais est-ce que jy arrive ? Des larmes perlèrent dans sa voix. Lucas ta accepté tout de suite, mais Arthur sursaute encore quand je mapproche, comme si jétais une étrangère.

Donne-lui du temps. Sa situation est différente. Lucas se souvient de ta solitude, il est heureux davoir un protecteur. Arthur a vécu avec ses deux parents, son monde sest effondré dun coup. Et Sophie ne cesse de le monter contre toi.

Nathalie le savait. Après leur mariage, lex-femme de Pierre avait déclaré la guerre. Elle ne supportait pas que son ex ait trouvé le bonheur avec une autre.

Tu te souviens quand elle est venue à notre mariage ?

Pierre grimça. Bien sûr. Sophie avait fait irruption dans la salle pendant la cérémonie, exigeant quon lui rende son fils. Elle avait fait un scandale devant tous les invités, hurlant que Nathalie avait détruit leur famille alors que Pierre était divorcé depuis six mois quand ils sétaient rencontrés.

Elle ne lâchera jamais dit-il, épuisé. Mais on sen sortira. Le principal, cest de ne pas la laisser influencer les enfants.

Arthur apparut dans lencadrement de la porte. Un petit garçon mince, aux cheveux blonds et aux grands yeux tristes. Il restait sur le seuil, nosant pas entrer.

Arthur, viens dîner appela Nathalie avec douceur.

Lenfant sapprocha lentement de la table et sassit loin delle. Nathalie sentit une douleur familière lui transpercer le cœur. Que faisait-elle de mal ?

Ça va, lécole ? demanda Pierre.

Ça va grogna Arthur, les yeux rivés sur son assiette.

La maîtresse a dit que tu étais distrait en classe.

Arthur haussa les épaules.

Quelque chose te tracasse ? intervint prudemment Nathalie.

Le garçon lui jeta un regard furtif puis détourna la tête.

Ça va.

Arthur, Nathalie veut taider dit Pierre avec patience.

Cest pas ma mère ! explosa-t-il. Jai une mère ! La vraie !

Nathalie pâlit. Pierre serra les poings.

Arthur, demande pardon immédiatement !

Non ! Elle est pas de la famille ! Je veux pas vivre ici ! Je veux aller chez maman !

Il sauta de sa chaise et courut hors de la cuisine. Sa porte claqua.

Nathalie cacha son visage dans ses mains. Pierre sapprocha et lentoura de ses bras.

Pardonne-lui. Il ne comprend pas ce quil dit.

Si, il comprend. Et il a raison. Je suis une étrangère pour lui. Peu importe mes efforts, jai brisé sa famille.

Nathalie, ne dis pas de bêtises. Sophie et moi étions divorcés bien avant notre rencontre. Tu connais les raisons.

Nathalie les connaissait. Sophie avait trompé Pierre, sans même cacher ses aventures. Elle disait étouffer dans leur mariage, quelle nétait pas faite pour la vie de famille. Mais quand Pierre avait demandé le divorce, elle sétait soudain réveillée. Elle avait lutté pour sauver leur couple, promis de changer. Trop tard.

Mais Arthur ne le sait pas. Pour lui, tout a commencé avec mon arrivée.

Il connaîtra la vérité quand il sera plus grand.

Et dici là, je serai la méchante qui lui a volé son père.

Lucas passa prudemment la tête dans la cuisine.

Maman, quest-ce quil a, Arthur ? Il pleure.

Nathalie regarda Pierre. Dans ses yeux, elle lut la même détresse.

Je vais lui parler dit-il.

Non, laisse-moi faire.

Elle se dirigea vers la chambre dArthur et frappa à la porte.

Arthur, je peux entrer ?

Je veux pas vous parler !

Arthur, sil te plaît. Jai quelque chose à te dire.

Un long silence. Puis un faible « entrez ».

Elle ouvrit la porte. Le garçon était allongé sur son lit, tourné vers le mur. Elle sassit au bord.

Tu veux que je te parle de mon père ?

Arthur ne répondit pas, mais elle sentit quil écoutait.

Mes parents ont divorcé quand javais huit ans. Un peu plus que toi. Mon père est parti avec une autre femme. Ma mère sest remariée avec tonton Jacques. Tu sais ce que je faisais ?

Arthur tourna légèrement la tête.

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– C’est toi qui l’as gâté – m’a accusée l’ex-femme de mon nouveau mari
On murmurait sur elle Dans leur cour, tout était à vue : le banc devant le premier immeuble où l’on commentait le prix des courses et la météo, le carré de sable avec son champignon penché, les balançoires qui grinçaient même sans vent. Une allée étroite séparait les bâtiments, et les voitures, en reculant, klaxonnaient toujours comme pour s’excuser. Certains laissaient leurs sacs-poubelle juste avant la benne, le gardien râlait mais ramassait quand même. Et puis, il y avait elle — la femme du troisième immeuble, autour de soixante ans, coupe courte et démarche pressée, comme si elle voulait toujours arriver avant qu’on ne l’appelle. Elle s’appelait Valentine Dupuis. Mais dans la cour, on citait rarement son nom complet. On disait juste « celle du troisième », « la voilà qui passe », « encore avec ses sacs ». Toujours en mouvement, un filet de pommes de terre à la main, un paquet de la pharmacie ou une boîte à croquettes. Elle saluait d’un signe de tête, jamais longtemps, sans jamais s’asseoir sur le banc. Alors on l’avait rangée parmi les « étranges », comme on note sans y penser ce qu’on ne veut pas analyser. Valentine savait qu’on parlait d’elle. Pas parce que quelqu’un le disait en face, mais parce que la cour chuchotait, même en silence. Ces mots flottaient des fenêtres ouvertes : « elle parle à personne », « toujours à l’écart », « le regard ailleurs ». Sur le groupe WhatsApp de l’immeuble, où l’on parlait d’interphones et de fuites, son nom revenait quand le paillasson d’un voisin disparaissait ou qu’on trouvait des cartons dans le hall. Jamais accusée, jamais défendue non plus. Valentine lisait, sans répondre. Non par fierté — par prudence : elle avait compris que la moindre parole posée là devenait vite étrangère. Elle vivait seule dans son deux-pièces au troisième étage, fenêtres sur la cour. Le soir, dans le silence, elle entendait chaque interrupteur dans l’immeuble, les chaises qui bougeaient, la porte d’en bas qui claquait. Ces bruits la relièrent au présent, une corde mince. Les voisins savaient peu de choses d’elle. Quelqu’un pensait qu’elle avait été secrétaire à la sécu. D’autres se souvenaient d’un mari « qui avait des problèmes ». D’autres encore : « toujours avec des chats ». En réalité, elle avait été infirmière en salle de soins, puis retraitée, puis aide à domicile. Elle n’aimait pas parler de son mari ; les souvenirs lui restaient en travers de la gorge. Pour les chats, c’était vrai : une, puis deux, recueillies sous l’immeuble. Elle les nourrissait, soignait, les plaçait parfois. Sinon, elle faisait ce qu’elle pouvait. Le matin, elle sortait tôt, avant que le banc ne se remplisse. Elle jetait un œil à la cour, vérifiait qu’aucun éclat de verre ne traînait dans le sable. Près des poubelles, un chat roux l’attendait parfois : elle lui déposait un peu de croquettes dans un vieux Tupperware, qu’elle reprenait pour ne pas créer d’embrouilles. Un jour, début mai, alors que la cour sentait la terre et la peinture fraîche, elle aperçut un petit garçon d’environ quatre ans devant la porte, en chaussettes, tenant une voiture miniature et fixant la porte, comme si elle devait s’ouvrir toute seule. Il ne pleurait pas, mais sa lèvre tremblait. — T’es à qui ? demanda Valentine en s’accroupissant. Il haussa les épaules. — Maman est là, dit-il en pointant vaguement la cour. Personne sur le banc, ni près du bac à sable. La porte de l’immeuble était close. Valentine ne paniqua pas : elle savait que la panique était un luxe où l’on avait d’autres pour rattraper. Elle prit le garçon dans les bras. Il était léger, tiède, il sentait la crème Nivea. — Viens, on va chercher maman. Ils firent le tour. Dans l’aire de parking, une femme en blouson courait entre les voitures, scrutant dessous en appelant d’une voix rauque. La voyant, elle s’arrêta, jambes coupées. — Oh mon dieu… lâcha-t-elle en serrant son fils contre elle. — Il attendait devant la porte, dit Valentine calmement. Vous aviez fermé ? — Je… Je sortais la poubelle… Il était là, puis… j’ai cru qu’il me suivait. Valentine hocha la tête, sans sermonner. Elle voyait les mains tremblantes de la mère. — Vérifiez bien la serrure à la maison, dit-elle. Et gardez la porte fermée. Les enfants vont vite. La femme la regarda comme si Valentine venait d’un autre monde, plus fiable. — Merci… Comment vous appelez-vous ? — Valentine Dupuis. — J’écrirai un mot sur le groupe, dit la femme, tenant toujours son fils. — Ce n’est pas nécessaire, répondit Valentine, s’éloignant déjà. Elle ne voulait pas que son nom circule. Toute discussion dans la cour finissait vite par coller des étiquettes. Quelques jours plus tard, un message apparut tout de même : « Merci à la voisine du troisième, elle nous a aidés pour le petit. » Pas de nom. Immédiatement, quelqu’un ajouta : « Elle sert enfin à quelque chose. » Valentine lut puis éteignit son téléphone. Pas vexée, mais vide. Elle savait : ce n’étaient pas la méchanceté, juste la pudeur déguisée en plaisanterie. Une autre fois, revenant de la pharmacie, elle trouva, devant le deuxième immeuble, une fille d’environ dix ans assise sur les marches, mouchant son nez, un chat gris haletant à ses pieds, la bouche entrouverte. — Que s’est-il passé ? demanda Valentine. — Une voiture l’a tapé… sous la roue… Je l’ai retiré… Maman travaille, mamie ne sait pas quoi faire. Valentine s’accroupit, examina le chat. Respiration rapide, gencives pâles. Ce n’était pas un vétérinaire, mais elle savait l’urgence. — Tu as une caisse ? — Non. — On va trouver un carton et une serviette. Elle monta chez elle, attrapa une vieille boîte, la garnit d’une serviette, retourna. La fillette la regardait comme on regarde les adultes qui agissent. — Tiens-le doucement, dit-elle. J’appelle un taxi. Elle connaissait la clinique de garde du quartier. Le chauffeur protesta, elle montra le chat bien emballé, rassura. Le chauffeur céda. À la clinique, elle fit la paperasse, la fillette appela sa mamie, parlant de « tante Valérie ». Entendant ce « tante Valérie », Valentine sentit une chaleur étrange, son nom devenait plus proche, moins lourd. Le diagnostic était grave, il fallait des radios, une opération possible. La fillette triturait son sac. — On n’a pas d’argent… — Vous verrez plus tard. L’important, c’est qu’il vive. Elle paya l’avance. Ce n’était pas rien, mais elle avait l’habitude de mettre de côté « au cas où ». Ben voilà, c’était le cas où. Au retour, la cour était déjà dans l’ombre. Deux voisines discutaient du landau laissé à l’entrée. Elles regardèrent Valentine et la fillette avec la boîte vide. — Vous revenez d’où ? — De la clinique. — Pour le chat ? — Oui. Surprise, regards en coin. Mais Valentine entra, sentant les regards derrière elle, plus hésitants qu’accusateurs. Peu à peu, d’autres petits riens revinrent en mémoire : des médicaments disparus puis retrouvés devant la porte avec une note « vérifiez la date ». Une poignée réparée sur la porte d’entrée alors que la régie l’annonçait « sous huit jours ». Une vieille du premier immeuble trouvait soudain un filet de courses sur sa porte, alors qu’elle ne sortait plus. Beaucoup pensaient : assistante sociale, famille, jamais Valentine. L’aide, pour eux, devait toujours être visible. Il y avait aussi Pierre Nicolin, du quatrième immeuble, costaud, la quarantaine passée, le verbe haut, toujours à vouloir avoir raison. Il travaillait à l’entrepôt, rentrait tard, fumait au pied de son immeuble en riant fort. Il se moquait à propos de Valentine : « Encore l’autre qui tourne comme une ombre ». Il râlait sur le groupe : « Gardez vos chats, sinon on aura des puces ! » Pas méchant, mais attaché à son idée d’ordre — qu’elle bousculait rien qu’en existant. À la mi-juin, un de ces jours qu’on n’oublie pas eut lieu. Grosse chaleur, asphalte brûlant, enfants en ballon, musique d’une voiture. Valentine remontait du marché quand un cri jaillit : — À l’aide ! — côté du quatrième. Elle pressa le pas. Sur les marches, Pierre Nicolin, blême, lèvres crispées, sa femme désemparée, téléphone à la main. — Il… Il n’arrive plus à respirer… Valentine posa ses sacs, s’agenouilla. Les doigts de Pierre tremblaient, il voulait parler, impossible. — Le Samu arrive ? — Ils ont dit d’attendre… Valentine posa la main sur son épaule. — Regardez-moi. On respire ensemble. Doucement. Inspirez par le nez, soufflez par la bouche. Il essayait, en vain. — Douleur dans la poitrine ? Il hocha la tête. Elle se tourna vers la femme. — De la nitroglycérine ? Un voisin ? Vite, à la voisine du premier, elle en prend pour son cœur ! Et de l’eau, mais pas froide. La femme courut. Valentine appela elle-même le Samu à nouveau, calmement, comme au cabinet : adresse, symptômes, urgence. Le ton fit réagir : le régulateur précisa que l’équipe arrivait. Des gens se rassemblèrent. Les enfants se taisaient. Valentine continua, sans se laisser distraire. — Ne vous allongez pas. Restez assis, appuyez-vous. Elle glissa son sac sous le dos de Pierre. Son regard était embué, pour la première fois sans raillerie, juste la peur. La voisine arriva, essoufflée, avec de l’eau et des cachets. Valentine vérifia, donna le médicament : — Sous la langue, ne pas avaler. En attendant, les chuchotements reprenaient : — C’est elle qui a retrouvé le petit… — Et amené le chat… — Elle m’a rapporté mes médicaments cet hiver, dit tout bas la vieille du premier. Je ne l’ai même pas remerciée. Les liens se faisaient, presque visibles. Cela gênait Valentine, pas envie d’être « le sujet » de la cour. Le Samu arriva enfin, dix minutes qui parurent une éternité. Le médecin l’interrogea : — Vous êtes du métier ? — Retraitée, oui. — Vous avez bien fait. On emmena Pierre. Sa femme sauta dans la voiture. Silence dans la cour. Valentine reprit ses courses, les mains tremblantes, énervée contre ce tremblement — non de peur, mais d’avoir dû tenir. — Madame Dupuis… attendez, dit la voisine du banc. On… On a beaucoup parlé sur vous. — Oui, appuya une voix derrière, pleine de gêne. Valentine sentit la fatigue la peser, l’envie de dire « c’est rien », sachant que ce serait trop facile. — Je sais, murmura-t-elle. J’ai pas besoin qu’on m’aime. Juste qu’on s’abandonne pas entre nous. Cela lui sortit tout seul, plus fort qu’elle. Le lendemain, un message parut sur le groupe : « Pierre Nicolin est à l’hôpital, besoin d’aide pour garder ses enfants ce soir. » Tout de suite, des offres affluèrent. Produits, courses, récupérer les enfants. Valentine observa, sans intervenir, notant l’évolution du ton : on ne parlait plus seulement d’interphone. Deux jours après, on frappa chez elle : la fillette au chat, un sachet à la main. — C’est pour vous… Mamie dit qu’il faut rendre. C’est… l’argent pour le chat, et… il vit. Il est chez nous, opéré. Valentine prit le sachet sans regarder. — Merci. — On pourrait… Si jamais on avait besoin, on pourrait venir ? Valentine allait répondre : « appelez les secours », mais lut dans les yeux de la fillette l’envie d’avoir un adulte fiable. — Oui, pour les vraies urgences. La fillette descendit, rassurée. Valentine referma, adossée à la porte. Odeur de peinture neuve dans la cage, quelqu’un avait rafraîchi la rampe. Peut-être l’un des voisins… Elle s’en serait auparavant fichue. À la fin de la semaine, la cour décida un coup de propre, un samedi commun, non par ordre, mais parce qu’il fallait. Un message proposa : « 10h, amenez des gants, on achète des sacs. » Et même : « On se fait un thé après ? » Valentine songea à ne pas venir, détestant les grands rassemblements. Trop de paroles, de regards. Mais samedi, elle sortit quand même. Chaussée de gants usés, sac-poubelle à la main, elle trouva déjà de l’agitation, enfants jouant à bâtir des cabanes, table pliante dressée. Pierre Nicolin était encore à l’hôpital, sa femme remercia brièvement avant de s’activer. Elle reconnut Valentine. — Je ne sais comment vous remercier… Valentine regarda sa balayette. — Pas besoin. Mais qu’il fasse vérifier son cœur. Qu’il prenne des médicaments, cette fois. Un hochement de tête, des mots économisés. Pendant le nettoyage, Valentine travailla sans bruit, dégageant branches, ramassant bouchons et sacs en plastique sous les haies. Les regards s’effacèrent peu à peu, la tension fondit. La cour apprenait à l’accepter sans distance. Quand tout fut propre, le thé fut servi, biscuits, citron, même des tartes maison. Valentine voulut partir, mais on l’invita : — Venez, madame Dupuis, venez, dit la vieille du premier. Asseyez-vous, même un peu. Valentine s’installa sur le banc, le bois chaud sous les doigts, un verre de thé offert. Les conversations étaient banales : les vacances, les enfants, les factures. Mais on s’écoutait vraiment. Moins de ricanements, moins de jugements. Valentine observa la cour : les enfants calmes, les discussions de voisins, le repas partagé… Elle se sentait encore un peu à part, habituée à la marge, mais ce n’était plus un mur glacé — plutôt une habitude. Elle but une gorgée de thé. Quelqu’un souffla : — Au moins on sait maintenant vers qui se tourner. Valentine ne répondit pas. Elle serra un peu plus sa tasse, pour calmer ses mains, et regarda les gens autour. Ils la voyaient enfin comme une voisine — plus une « étrange ». Ce n’était pas du bonheur, non, mais une base solide qui s’était construite, silencieuse, sans promesse.