**Salut, papa, je suis venue chercher mon cadeau**
Jean et Thérèse dînaient tranquillement lorsque la porte dentrée souvrit brusquement. Une femme débraillée fit irruption, lançant négligemment un vieux sac à dos dans un coin avant de déclarer :
Eh bien, salut, papa ! en ouvrant les bras pour un étreinte.
Jean sétrangla, saisi dune quinte de toux. Thérèse, furieuse, demanda :
Qui êtes-vous ? Et quel « papa » ?
La femme plissa les yeux :
Ferme ton clapet, la tante. Je ne suis pas venue pour toi, mais pour mon père. Papa, tu mas oubliée ? Cest moi, ta petite fille, Margaux. Tant dannées ont passé, et je narrive toujours pas à tourner la page. Comment va mon papa ? Pas malade, jespère ? fit-elle en feignant un sanglot théâtral.
Jean parvint enfin à articuler :
Pourquoi la toux le reprit Pourquoi es-tu venue ?
Pour mon cadeau, papa. La poupée que tu mavais promise il y a vingt ans, ricana Margaux.
Sa mère était morte quand elle avait sept ans. Jean avait tenu seul six mois avant de ramener une nouvelle épouse, Thérèse, et ses deux fils. La première chose que fit Thérèse fut dévincer Margaux de sa chambre pour la reléguer dans la pièce commune. *»Les garçons en ont plus besoin»*, avait balbutié Jean, fuyant son regard. Les garçons, plus âgés, samusaient à déchirer les cahiers de la fillette, qui, la nuit, à la lueur de la lune, recopiant ses devoirs en étouffant ses larmes. Thérèse interdisait de gaspiller lélectricité.
Le jour de ses huit ans, son père la conduisit à lorphelinat. *»Ce nest pas pour longtemps, ma chérie. Je viendrai te chercher bientôt. Je te rendrai visite le week-end et tapporterai une grande poupée. Tu te souviens, celle de la vitrine du magasin ? Je te la promets.»*
Margaux avait attendu. En vain.
Elle sinstalla sans gêne à table et ordonna :
Allez, tante, sers-moi de la soupe. Je crève la dalle, jai même pas où dormir. Elle éclata de rire. Thérèse, silencieuse, lui servit une louche. Margaux secoua la tête :
Les années passent, mais toi, tante, tu nas pas changé. Tu radines encore ? Allez, plus que ça !
Puis, se tournant vers son père :
Alors, papa, sors ton trésor. Buvons un coup pour fêter ça ! lança-t-elle joyeusement. Jean regarda Thérèse, qui gronda entre ses dents :
Nous ne buvons pas.
Margaux se frappa les genoux :
Je men doutais. Mais contrairement à toi, papa, je ne viens pas les mains vides. Tante, va me chercher mon sac.
Thérèse rougit :
Si tu le veux, va le chercher toi-même !
Margaux haussa un sourcil et murmura :
Tu nas pas compris, tante. Je ne suis pas juste venue en visite. Je viens vivre ici. Et oui ! Toi, tu mas chassée pour installer tes mioches. Maintenant, cest à ton tour. Dégage, ou si tu te tiens bien, je te laisserai peut-être rester.
Thérèse éclata :
Jean, tu ne dis rien ? Ta fille se moque de moi !
Il sagita sur sa chaise et bredouilla :
Margaux, ne sois pas méchante avec tante Thérèse. Cest elle qui commande ici.
Margaux soupira :
Oh, comme cest triste. Bravo, tante, tu las bien dompté, mon père. Et solidement. Mais ne ten fais pas, papa. On va régler son compte à cette tante. On lenverra ailleurs, elle aussi !
Thérèse glapit :
Jappelle mon fils ! Il te jettera dehors, espèce de traînée !
Margaux ricana :
Ah, Jérôme ? Il te jettera plutôt toi, pour une bouteille. Pas de chance, tante. Ton aîné a disparu, hein ? Trop amateur de bouteilles, à ce quon dit. Et le petit suivra le même chemin.
Thérèse hurla, hystérique :
Ne touche pas à mes enfants ! Regarde-toi ! On voit bien que tu ne viens pas dun château !
Margaux rétorqua brutalement :
Grâce à toi, tante. Toi, tu tes bien installée dans la vie. Tu as trouvé un veuf et pris sa maison. Tu as chassé sa fille pour tes garnements. Tu as dû bien vivre, tous ces ans. Tu ne mas même pas







