Quand il ne faut pas prêter assistance

**Quand aider ne sert à rien**

Ingrate ! On ta élevée, nourrie, et tu abandonnes ton père à larticle de la mort !
Maman, ça suffit ! Je ne vous enverrai plus un centime tant que vous tout claquerez en alcool. Je ne financerai pas vos beuveries ! Aurélie sefforçait de parler dune voix ferme, bien que ses yeux brillaient de larmes.
Dans ce cas, ne nous appelle plus. Je ne veux plus te parler ! Et je linterdirai aussi à ton père, rétorqua sa mère avant de raccrocher.

Aurélie sassit sur une chaise, posa son téléphone et cacha son visage entre ses mains. Dans la pièce voisine, son petit garçon se mit à pleurnicher. Elle étouffa un sanglot. Il fallait tenir. Être forte pour lui.

Mais comment lêtre quand le passé vous dévore ?

…Des images denfance lui revenaient. Lodeur âcre dalcool et de tabac froid. La chambre aux papiers peints écaillés, la porte cabossée où elle se réfugiait quand ses parents ivres se criaient dessus et brisaient la vaisselle. Petite, elle ne comprenait pas, ce qui rendait tout plus effrayant. Chaque nuit, elle craignait que lun deux ne se réveille plus.

Ses seuls jouets étaient des boîtes vides, des sacs en plastique et des bouchons de bière. Elle y jouait à la famille heureuse, simaginant un jour avoir des parents souriants. Ou devenir une mère normale, elle-même.

Avec sa mère, cétait pire. Aurélie évitait son regard. Même sobre, elle était irritable, prompte à crier pour un rien. Une assiette tombée ? Une gifle. Du sel renversé ? La ceinture.

Aujourdhui, Aurélie savait quelle ny était pour rien. Sa mère déversait sa rage sur elle. Mais enfant, elle croyait mériter cet enfer.

Son père, parfois, émergeait de sa torpeur. Il veillait sur elle, à sa manière, avant de replonger.

Nathalie, tas au moins donné à manger à la gamine ? demandait-il en rentrant du travail.
Elle est grande ! Quelle se débrouille, ronchonnait sa mère.
Elle a sept ans, bon sang ! Fais-lui un vrai repas, insistait-il.

Nathalie grognait mais cuisinait : des pâtes, parfois des saucisses. Souvent, Aurélie se contentait de pain, dune carotte oubliée au frigo ou de lentilles froides.

La peur était son quotidien. Elle sendormait au son des bouteilles, se réveillait aux cris. Et priait pour que ça cesse.

Lécole fut son salut. Dès ses seize ans, Aurélie partit en internat à Lyon. Enfin libérée. Pourtant, la nuit, la culpabilité létouffait : ses parents périraient sans elle. Elle devait rester. Mais elle résistait.

Sa mère cessa tout contact. Son père lappelait parfois :
Ça va, ma puce ?
Elle pensait : *Je respire sans vous. Je cumule les petits boulots. Jai des amis à qui je nai plus honte.* Mais elle répondait :
Tout va bien. Et vous ?

Elle savait que rien ne changeait. Et sen réjouissait presque, car tout changement aurait été pire.

Bof, comme dhab, soupirait-il.

Les silences sallongeaient. Puis les appels sespacèrent, jusquà cesser.

Aurélie enfouit ce secret. Même avec Thomas, son mari.

Mes parents ne viendront pas au mariage, annonça-t-elle calmement, le cœur serré. Ils habitent loin, à la campagne. Impossible de se déplacer.
Mais on pourrait payer leurs billets ? insista-t-il. Tous les parents tiennent à ces moments-là.

*Pas les miens*, pensa-t-elle en mordant sa lèvre pour ne pas pleurer.

Maman a des problèmes cardiaques. Les voyages lui sont interdits. Je leur enverrai des photos.

Thomas haussa les épaules, sans insister.

Elle se rappelait ses dix ans, quand elle avait osé inviter une amie. Ses parents sétaient disputés à table. Pire :

La ferme ! Tu manges ma viande sous mon toit ! avait hurlé Nathalie à la petite fille, qui tentait de les calmer.

Lamie sétait réfugiée aux toilettes en pleurant. Ses parents étaient venus la chercher. Aurélie ninvita plus jamais personne.

Elle ne voulait pas de ce spectacle à son mariage. Elle nen parla même pas à ses parents. Désormais, elle avait une vraie famille. Un mari aimant. Un fils, Émile.

Puis le passé frappa à nouveau.

Aurélie ton père va très mal, appela une voisine. Il est à lhôpital.

Son cœur se serra. Elle savait que ce jour viendrait.

Qua-t-il ?
Le foie, je crois. Il est jaune. Tu connais leur vie Peut-être pourrais-tu venir ?

Sous-entendu : *une dernière fois*.

Jessaierai, mentit-elle.

Ce soir-là, elle tout avoua à Thomas. Son enfance. Lalcool. Les coups.

Et tu appelles ça de lamour ? gronda-t-il. Laisser sa fille avec une ivrogne, se battre pendant des années, la pousser à fuir

Son regard lui fit comprendre : elle les aimait malgré tout. Comme un chien qui revient après un coup de pied.

Je ne te laisserai pas y aller seule avec Émile. Mais on pourrait envoyer de largent pour les médicaments ?
Il le boira, cet argent.
Sil te plaît
À toi de voir. Mais ce sera aux dépens des jouets dÉmile.

Elle envoya plus que convenu, mentant sur des soins de beauté.

Son père guérit du moins le prétendit-il. Le répit fut court. Deux mois plus tard, la voisine rappela, indignée :

Ce sont tes parents ! On ne laisse pas crever les siens comme ça !
Je je leur envoie de largent !
Tout part en bouteilles ! Ta mère dit que tu les as abandonnés. Ton père pleure parce quelle ne lui achète pas ses médicaments !

Aurélie confronta sa mère. *Ne nous appelle plus*. Du chantage. Elle savait que cétait une manipulation. Mais derrière, il y avait son père, peut-être mourant.

Cette nuit-là, elle chercha des centres de désintoxication. Une solution : là-bas, largent irait aux soins. Coûteux, mais Thomas comprendrait.

Le lendemain, elle appela son père, espérant une lueur.

Papa, jai trouvé une clinique spécialisée près de chez toi. On paiera tout.
Jai pas besoin de ça ! cracha-t-il. Je arrêterai seul si je veux. Garde ta pitié !

Alors, elle comprit : il ne *veut* pas.

Mais les médecins peuvent taider
Non. Cest tout.

En raccrochant, un nœud se défit en elle. Plus de culpabilité. Elle avait tout tenté. Le reste détruirait sa famille.

Elle regarda Émile dormir, paisible. Plus dappels. Elle se consacrerait à ceux qui le méritaient : Thomas et leur fils. Le reste ? *À la grâce de Dieu.*

**Leçon** : Parfois, aimer, cest lâcher prise. Même si le cœur saigne.

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