**L’Illusion du Mensonge**
Enseignant au conservatoire, Élodie ne vivait que pour la musique. Depuis son enfance, sa vie se résumait à cela : sa mère et son art. À vingt-huit ans, elle était encore célibataire, ayant brièvement fréquenté un collègue, mais leurs chemins sétaient séparés. Trop difficile quand deux talents saffrontent, chacun dans son propre univers.
Depuis trois mois, cependant, elle voyait Antoine, un avocat rencontré par hasard dans un café près du conservatoire. Elle ne voulait pas rentrer chez elle, encore sous le choc du décès de sa mère. Lappartement était trop silencieux, trop vide.
« Mademoiselle, bonjour Pourquoi cet air si triste ? » sétait approché Antoine, observant son expression mélancolique en sirotant son expresso. « Je mappelle Antoine. Et vous ? »
Elle était belle, mais lointaine. Il avait décidé de tenter sa chance.
« Élodie », avait-elle murmuré avec un léger sourire.
Depuis, ils se voyaient régulièrement. Antoine passait souvent la nuit chez elle et lui avait même proposé le mariage, mais elle hésitait encore.
« Je ne peux pas te dire oui, Antoine Ma mère vient de nous quitter. »
Sa mère lavait élevée seule. Elle navait jamais connu son père, ni son nom, ni son histoire. Elle navait jamais osé poser de questions, sentant que le sujet était douloureux. Et maintenant, sa mère nétait plus là. La solitude et le chagrin lécrasaient. Une question la taraudait : devait-elle essayer de retrouver son père ?
« Je narrive pas à me décider, avoua-t-elle à Antoine. Je ne lai jamais vu. Et sil ne veut pas de moi ? »
Élodie avait toujours vécu dans linsouciance, laissant sa mère gérer toutes les formalités. Elle ne savait même pas comment payer les factures. Sa mère lavait pourtant avertie :
« Élodie, tu devrais tintéresser un peu à nos affaires. Quand je ne serai plus là, comment feras-tu ? Tu es trop rêveuse La vie ne sera pas facile pour toi. »
« Maman, tu gères tout si bien, à quoi bon ? » répondait-elle en riant.
Mais la vie est cruelle. Elle lui avait arraché sa mère en quelques semaines. Une maladie foudroyante, un diagnostic trop tardif. Les médecins navaient pu rien faire.
« Elle ne se plaignait jamais », sanglotait Élodie.
« Elle voulait peut-être vous épargner », répondit le médecin.
Antoine, lui, était un jeune homme astucieux. La première fois quil était entré dans lappartement dÉlodie, il avait été frappé par les toiles de maître accrochées aux murs. Elle, qui ne sy intéressait pas, avait grandi avec elles. Mais lui savait reconnaître leur valeur.
Le soir, Élodie répétait pour ses concerts, tandis quAntoine lécoutait ou faisait semblant. Il avait vite compris quelle avait de quoi lenrichir. Il fouillait dans les papiers de la défunte, cherchant des indices. La seule famille restante était une tante, Viviane, qui vivait en Bretagne. Il se pressait donc de lépouser, sachant quelle était lunique héritière.
Ce qui lagaçait, cétait son hésitation. Elle le connaissait à peine et doutait encore. Mais il insistait, patient, jouant la carte du romantisme. Il savait quelle rêvait de retrouver son père.
Un jour, il lui annonça :
« Nous avons des invités ce soir. Passons acheter du champagne. »
« Qui vient ? » sétonna-t-elle.
« Jai retrouvé ton père. »
« Antoine, cest vrai ? Il vit ici ? Je pensais quil était à létranger »
« Si, dans notre ville. »
Une demi-heure plus tard, la sonnette retentit. Antoine ouvrit, et Élodie découvrit un homme grand, aux cheveux foncés.
« Ma fille ! » sexclama-t-il en létreignant. « Je ne tai jamais vue Tu es si belle. Je mappelle Romain. »
Son deuxième prénom était bien Romaine. Les explications suivirent.
« Ta mère et moi nous sommes séparés, mais elle ne ma jamais dit quelle était enceinte. »
Antoine en profita pour lancer :
« Romain, puisque tout se passe si bien Puis-je demander la main dÉlodie ? »
Stupéfaite, elle neut pas le temps de réagir.
« Si Antoine taime, je ny vois pas dinconvénient, sourit Romain. Je vous bénis et attends mon invitation. »
Dès lors, Romain devint un habitué. Mais il restait évasif sur son passé avec la mère dÉlodie. Ils ne sétaient connus que brièvement, disait-il.
Élodie envoya une invitation à sa tante Viviane et à son mari. Ils arrivèrent bien avant la date, souhaitant laider dans les préparatifs. Un soir, la sonnette retentit.
« Enfin ! sexclama Viviane. Le train a eu du retard. »
Antoine, poli, les laissa en famille. Dans la conversation, Élodie confia :
« Tante Viviane, jai retrouvé mon père Enfin, cest Antoine qui la fait. »
« Comment sappelle-t-il ? »
« Romain Doù mon deuxième prénom. »
Viviane échangea un regard inquiet avec son mari.
« Ma pauvre enfant »
« Quy a-t-il ? »
« Ton père ne sappelle pas Romain, mais Julien Julien Lefèvre. Dans tes papiers, la case «père» est vide. Ta mère a inventé ton deuxième prénom. Elle ne voulait pas que tu saches. Ton vrai père est Julien Lefèvre, le directeur du conservatoire où tu as étudié. »
« Julien Lefèvre ? Mon professeur de piano ? Mais alors Qui est Romain ? »
« Cest une question à poser à ton Antoine. Pourquoi cette comédie ? Dailleurs, as-tu déjà hérité ? Six mois après le décès de ta mère, il ne te reste quun mois pour faire les démarches. »
« Non, je dois voir le notaire Mais ce nest quun appartement »
« Mon Dieu, Élodie, tu es si naïve ! Nos parents nétaient pas pauvres. Ta mère avait un compte bien garni, et ces tableaux valent une fortune. Tout cela tappartient. Et nous, sans enfants, comptons aussi te léguer notre héritage. »
Le soir même, Antoine reçut une mauvaise surprise. Élodie annula le mariage et lui demanda de partir. Devant Viviane et son mari, il nosa pas protester. Romain, lui, disparut sans laisser de trace.
« Je me sens libérée, avoua Élodie. Quelque chose me gênait chez Antoine. »
Le lendemain, en rentrant du conservatoire, Viviane lui annonça :
« Nous avons un invité ce soir. »
« Encore qui ? »
« Tu verras. »
À la sonnerie, Viviane ouvrit et revint avec Julien Lefèvre. Élodie resta sans voix.
« Ma fille Comme tu me ressembles ! » sexclama-t-il. « Pardonne-moi, je ne savais pas. Ta tante ma tout révélé. »
Ils passèrent la soirée à parler. Elle apprit quelle avait un demi-frère, militaire en poste à létranger.
« Toi seule as hérité de mon amour pour la musique, dit Julien. Je suis si fier de toi. »
« Moi aussi, papa. Je me demandais toujours doù me venait cette passion Cest toi. »
Dès lors, Julien devint présent dans sa vie. Il lemmena sur la tombe de sa mère, lui présenta sa femme, une femme douce, puis son demi-frère en permission.
Un an plus tard, Élodie épousa Théo, le fils dun ami de Julien, professeur déconomie. Dès leur première rencontre, il en était tombé fou amoureux.
Viviane et son mari assistèrent au mariage, ravis de voir Élodie heureuse avec un homme sérieux et digne de confiance.







