Ma Petite-Fille Bien-aimée

Ma petite-fille
Un peu sale, des nattes mal attachées, une blouse mal repassée avec un col et des manches cousus de travers.

La fillette avait un air négligé, comme perdue dans ses pensées.

Raymonde Dubois fronça les sourcils. Pourquoi avait-elle repensé à cette enfant mal tenue ? Elle posa son éclair préféré. Où était donc Théo ? Il avait promis de rentrer tôt, aujourdhui était lanniversaire de la mort dAlexandre…

Elle crut entendre frapper à la porte.

«Qui est là ? Théo, cest toi ? Tu as oublié tes clés ?»

«Raymonde Dubois, vous avez laissé vos clés sur la chaise.»

«Quoi ? Quelles clés ?»

Raymonde ouvrit la porte et vit… cette même fillette. Quest-ce que cétait ?

«Leroy ? Quelles clés ? Comment sais-tu où jhabite ? Tu me suis ?»

La petite secoua la tête. Elle portait une vieille casquette, un manteau usé avec une tache sur la poche, des guêtres délavées aux genoux et des chaussures presque en lambeaux.

Raymonde remarqua alors ses magnifiques yeux, bleus comme le ciel, encadrés de cils noirs et épais.

Elle venait darriver dans cette école, appelée pour enseigner le français et la littérature. Après une carrière au lycée technique, elle avait pris sa retraite, mais un an sans travail lui avait semblé trop long… Cette enfant était étrange. Personne ne semblait lapprocher. Comment sappelait-elle déjà ? Élodie ? Non… Élise, cétait ça. Élise Leroy.

«Raymonde Dubois, vous avez oublié vos clés sur la chaise. Je vous ai appelée, mais vous navez pas entendu.»

«Quelles clés ? Ah, merci… cest incroyable. Je les avais oubliées dans mon sac. La vieillesse, sans doute,» dit-elle, essayant de plaisanter.

«Non, vous nêtes pas vieille,» répondit sérieusement la fillette. «Vous étiez juste pressée.»

«Merci… Élise.»

«De rien. Au revoir, Raymonde Dubois.»

«Au revoir…»

Raymonde referma la porte, pensive, puis se ravisa. Elle rouvrit et entendit des pas légers. La petite descendait lescalier.

«Élise,» appela Raymonde, regardant vers le bas tandis que lenfant levait les yeux. «Comment as-tu su où jhabite ?»

«Je vis dans limmeuble dà côté. Je vous vois souvent aller ou revenir du travail. Parfois, je marche derrière vous. Il y a un chien au coin de la rue… Je reste près de vous, il ne grogne pas alors. Je sens les chats, je les nourris dans la cave… Mais lui, je lappelle Rex, il est errant.»

«Et ladresse ?»

«Je lai demandé aux vieilles dames sur le banc. Je leur ai dit que vous enseigniez dans mon école. On prend le même bus…»

Quelle drôle de petite, pensa Raymonde. Elle mépie ?

«Tu veux un thé ?» demanda-t-elle brusquement. La fillette accepta aussitôt.

Étrange et mal élevée. Elle aurait dû refuser.

Raymonde versa le thé.

«Tu as peut-être… faim ?»

La petite fit non de la tête, mais Raymonde comprit quelle mentait. Pourquoi sembêter avec elle ?

«Tu sais quoi ? Mangeons ensemble. Je déteste manger seule, et Théo… mon fils est en retard. Attends.»

Soudain agitée, elle sortit tout du frigo. La fillette mangeait avec soin, mais on voyait quelle avait faim.

«Cétait bon,» murmura Élise en regardant les restes. «Il faut que je parte.»

Un enfant si affamé quil complimente ma cuisine…

Elle emballa des côtelettes, des pâtes, des bonbons, et les lui donna.

«Merci,» souffla Élise en prenant le paquet.

Une fois seule, Raymonde se reprocha son manque de professionnalisme. Demain, à lécole, cette gamine viendra membrasser devant tout le monde…

Théo rentra au matin, lair coupable.

«Quel jour était-ce hier ?» demanda-t-elle sévèrement.

«Jeudi, maman. Aujourdhui, vendredi…»

«Ne te moque pas, Théodore.»

«Oh, ça se gâte… Jai trente ans, tu sais.»

«Cétait lanniversaire de ton père. Il ne méritait pas ça.»

«Maman… il sen fiche. On peut faire ça aujourdhui. Bon, je dors. Cest mon jour de repos.»

«Tu as veillé toute la nuit ? À quoi ?»

«Tu veux vraiment savoir ?»

Raymonde partit travailler de mauvaise humeur.

Elle attendit… quÉlise fasse un signe. Mais la fillette passa comme dhabitude, un simple «bonjour» distrait.

Quelle effrontée !

Toute la journée, elle tenta de la croiser. Lévitait-elle ?

En rentrant, elle traîna exprès. Rien.

Trois jours plus tard, près de larrêt de bus, un cri la fit sursauter.

Cétait Élise.

Elle courut. Un gros chien tenait la manche du manteau familier, déchirant le tissu.

«Va-ten !» chassa Raymonde. «Élise, ça va ?»

Les yeux terrifiés de la petite lui serrèrent le cœur.

«Il voulait… déchirer le chaton…» sanglota-t-elle.

«Tout va bien. Rentrons.»

«Non.»

«Les enfants de ton âge…»

Raymonde se tut. Drôle de gamine.

«Je ne peux pas. Ils ne veulent pas. Je le cacherai sous lescalier.»

«Qui ?»

«Eux…»

À lécole, elle questionna sur Élise. On haussa les épaules. Seule la vieille prof de maths, Agathe Lefèvre, tremblotante, savait quelque chose.

«Une famille difficile. La mère et le beau-père boivent. Ou la grand-mère…»

«Comment lont-ils inscrite ?»

«Je ne sais pas,» répondit Agathe en tremblant davantage.

Raymonde guetta Élise. Son cœur se serra en la voyant dans son manteau rapiécé.

La petite évita le chien, puis sassit près de son immeuble… et sortit un cahier. Elle faisait ses devoirs dehors ?

Chez elle, elle se disputa encore avec Théo. Divorcé depuis deux ans, sans enfants, il errait… Nathalie était une bonne fille. Pourquoi lavait-il quittée ?

«Trop ennuyeuse,» avait-il dit. Il devait avoir trouvé mieux.

Elle sortit marcher.

«Éliiise !» Une voix rauque linterpella.

Une femme ivre se tenait devant limmeuble. Ses yeux… ceux dÉlise.

«Excusez-moi…»

«Quoi ?»

«Vous êtes de la famille dÉlise Leroy ?»

«Tes qui, toi ? Dégage.»

«Je suis sa prof. Où est-elle ?»

«À la maison. Elle dort.»

La femme disparut dans lescalier.

«Élise ? Sors, naie pas peur.»

La fillette émergea de lombre.

«Viens chez moi.»

«Elle me battra.»

«Elle nosera pas.»

«On menverra à lorphelinat si on lui retire ma garde.»

«Elle est quoi pour toi ?»

«Ma grand-mère…»

«Et ta mère ?»

«Elle nest plus là.»

«Partie ?»

«Non. Elle est morte. Il y a quatre ans…»

«Elle buvait aussi ?»

«Non. On vivait bien, toutes les deux. Mais elle est tombée malade… On ma donnée à eux. Ma grand-mère touche largent pour moi…»

«Je vois. Viens. On verra plus tard.»

«Je ne veux pas aller à lorphelinat.»

«Jai dit quon verrait.»

Théo était là, prêt à sortir. Il regarda sa mère, puis la fillette.

«Cest qui ?»

«Élise.»

La petite fixait Théo.

«Elle reste jusquà demain ?»

«Je ne sais pas…»

Le lendemain, elle la laissa dormir, puis lui fit un bon petit-déjeuner.

«On y va.»

«Où ? À lorphelinat ?»

«Non. Faire des courses.»

Théo se réveilla, les observant.

«Où las-tu trouvée ?»

«Une élève.»

«Ah.»

Au magasin, Raymonde choisit des vêtements à son goût.

La fillette rayonnait dans ses habits neufs.

«Quelle jolie petite-fille !» sexclama la vendeuse. «Elle vous ressemble.»

Raymonde sourit, le cœur léger.

«On jette ces vieilleries.»

«Non !» sécria Élise. «Ils les vendront pour boire… Et moi, ils me battront.»

«Que faire, alors ?»

«Je ne sais pas.»

«Allons… prendre un goûter ?»

«Avec vous ?»

«Bien sûr. Tu veux ?»

«Vous savez faire des gâteaux ?»

«Euh… pas vraiment.»

«Venez, je vous apprends.»

«Toi ? Moi ?»

«Maman et moi, on en faisait souvent. Avant quelle ne tombe malade.»

«Allons-y. Il faut acheter des ingrédients ?»

Raymonde navait pas été aussi heureuse depuis longtemps. Elles rirent en cuisinant, si bien que lorsque Théo rentra, elle regretta presque sa présence.

«Il faut que jy aille,» murmura Élise.

«Je taccompagne.»

«Comment tu tappelles ?» demanda Théo, la fixant.

«Élise… Je te lai dit,» répliqua Raymonde, nerveuse.

«Cest elle qui ta envoyée ?»

La petite secoua la tête.

«Elle nest plus là. Depuis quatre ans… Papa.»

«Théo ? Quest-ce que ça veut dire ? Élise, attends.»

La fillette sarrêta sur le seuil.

«Expliquez-moi !»

Lhistoire était vieille comme le monde.

«Maman, tu te souviens de Diane Leroy ? Cest sa mère.»

«Non.»

«Diane avait deux ans de moins. Sa mère buvait, elles habitaient près dici… On était… enfin, je laimais. Une histoire de jeunesse.»

«Et Élise ?»

«Elle ne ma pas parlé du bébé. Jétais déjà avec Nathalie. Tu laimais bien, elle…»

«Quand las-tu su ?»

«En la voyant… Elle te ressemble tellement.»

«Jétais avec Nathalie. Jai rencontré Diane, elle ma parlé de notre fille. Je ne lai pas crue. Puis elle est morte, maman… Je naurais pas abandonné mon enfant. Je ne suis pas un monstre.»

«Pourtant, tu las fait.»

«Je ne savais pas. Trois ans ont passé. Élise, tu me connais ?»

«Oui. Jai une photo de vous. Quand je suis venue avec les clés, jai vu le portrait et jai compris…»

«Je ne la rendrai pas à ces gens, entends-tu ? Quoi que tu décides, elle reste avec nous. Élise, viens ici. Elle est… ma petite-fille.»

Les tests confirmèrent la filiation. Aline, la compagne de Théo, le soutint au tribunal.

Raymonde tenait la main dÉlise, comme si on pouvait la lui arracher.

«Papa, je peux vivre avec mamie ?»

«Si elle est daccord…»

«Elle dira oui. Elle est si seule.»

«Et moi ?»

«Toi, tu as Aline…»

Raymonde marchait main dans la main avec sa petite-fille. Peu lui importait ce quon disait. Elle avait trouvé son bonheur.

Théo et Élise devinrent proches. Avec Aline, les choses ne marchèrent plus.

«Papa, cest à cause de moi ?»

«Non… Je ne téchangerais pour rien au monde. Dommage que ton grand-père ne te voie pas.»

Lors dune réunion parents-professeurs, Théo rencontra la maîtresse dÉlise…

Maintenant, la petite va à lécole avec sa grand-mère et sa belle-mère.

«Cest dur, non ?» demandent ses amies.

«Non, cest génial !» rit Élise.

«Comment ai-je pu vivre sans elle ? Diane, pardonne-moi…»

Parfois, Élise rend visite à sa grand-mère elle nettoie, cuisine, leur ordonne darrêter de boire.

La vieille femme pleure, lui baise les mains…

«Ma petite-fille, mon sang,» sanglote-t-elle, promettant de se soigner.

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Ma Petite-Fille Bien-aimée
Une Surprise Inattendue pour les Flambeurs Cachés de la Vieille Dame