Le Bonheur Tardif de Catherine

**Le Bonheur Tardif de Catherine**

Les ombres s’étiraient, longues et épaisses, lorsque le bus, après sa route quotidienne depuis la ville bruyante et poussiéreuse vers la tranquillité des campagnes, s’arrêta avec un sifflement pneumatique devant le poteau familier, sa plaque bleue écaillée. La porte souvrit, et elle en descendit. Catherine. La fatigue de ses vingt heures de service comme aide-soignante à lhôpital pesait sur ses épaules comme du plomb, lui tiraillant le dos. Lair, chargé du parfum des foins coupés et de la fumée des cheminées, fut le premier baume pour son âme épuisée.

Et il en fut le second.

Il était là, comme toujours, jour après jour, année après année. Sa silhouette imposante semblait faire partie du paysage, un repère vivant. Éric. En la voyant, son visage, dordinaire strict et concentré, sillumina dune lumière intérieure, si chaleureuse et sincère que même les ombres du soir semblaient reculer.

Silencieux, avec une tendresse presque chevaleresque, il lui prit sa sacoche usée des mains. Leurs doigts se frôlèrent, et ce contact fugace suffit à effacer une partie de sa fatigue. Ils marchèrent lentement sur le chemin de terre menant à leur maison, leurs pas en parfaite harmonie, comme une mélodie tranquille de complicité.

« Quel beau couple », murmura lune des commères assises sur le banc, le regard empreint dune pointe denvie. « Lui, un vrai gaillard, solide comme un chêne. Et elle une beauté, même si les années ont passé. Doù tire-t-elle cette énergie, après de telles journées ? Elle en rayonne. »

« Elle a dû lui jeter un sort, cest sûr », renchérit une autre en plissant les yeux. « Regardez-moi ça : il est plus jeune quelle de dix ans, peut-être plus, et pourtant, il la regarde comme si elle venait de tomber du ciel. »

Valérie, la voisine et amie de Catherine, une femme au franc-parler et au grand cœur, ne put se taire. « Olga, Marie, quand allez-vous cesser vos ragots ? Dix ans quils vivent heureux ! Dix ans ! Et chaque jour, Catherine rajeunit à ses côtés, tandis que vous, vous vous aigrissez de jalousie. »

Catherine et Éric étaient déjà loin, sourds à ces murmures. Sa main reposait dans la sienne, ferme et rassurante, son épaule une forteresse où se reposer.

Quinze ans plus tôt, sa vie nétait quun sentier boueux où elle senlisait. On ne lappelait plus « Catherine », mais « Cathy, la femme de livrogne ». Son premier mari, un homme autrefois vaillant, sétait noyé dans lalcool. Elle avait lutté : vidé les bouteilles, supplié, pleuré, caché largent. En réponse, des coups, des insultes, la honte.

La dernière goutte fut le soir où il brisa le vase de sa mère et leva la main sur leur fils. Cette nuit-là, elle le mit dehors. « Va chez ta mère. Tu nes pas un homme, tu es un poids. » Il disparut dans la ville, comme tant dautres avant lui.

Il lui restait ses enfants : Paul, quinze ans, dont les yeux dadolescent sétaient remplis dune maturité précoce, et Manon, onze ans, fragile et craintive. Ils ne méritaient pas son mauvais choix. Elle jura quils vivraient, dignement.

Paysanne dans lâme, elle savait que la terre ne trahit jamais ceux qui la travaillent. Elle prit la hache de son mari, apprit à fendre le bois, ses mains se couvrant dampoules. Elle agrandit le potager, acheta une truie, puis une vache. Petit à petit, la ferme devint son royaume.

Paul grandit trop vite, laidant sans relâche. Leur maison, autrefois décrépie, retrouva vie. Un vieux pick-up fut acheté, et Catherine apprit à conduire, sous les regards étonnés des voisins.

Trois ans plus tard, Paul partit à larmée. Son absence fut un vide immense. À son retour, il trouva un travail dans une coopérante agricole.

Puis un soir dété, un ami de Paul vint : Éric. Grand, mince, avec des yeux clairs empreints de mélancolie.

« Pauvre garçon, il doit manquer de nourriture chez lui », pensa Catherine en préparant le repas.

« Elle est si belle et ses yeux sont si doux », songea Éric, le cœur battant.

Il devint un visiteur régulier, aidant aux travaux. Catherine le trouvait fiable, jusquà ce que ses sentiments changent. Elle rougissait sous son regard, son cœur battant comme à seize ans.

Leur attirance devint évidente pour tous. Le village était un aquarium : tout se savait.

La mère et les sœurs dÉric furent outrées. « Elle pourrait être ta mère ! Tu nous déshonores ! »

La confrontation avec Paul fut rude. Les deux hommes se battirent près de la rivière, puis éclatèrent de rire, la colère envolée.

« Assez de vous cacher », dit Paul en se relevant. « Mais si tu la fais pleurer, je te tue. Et ne compte pas sur moi pour tappeler papa. »

Éric emménagea avec Catherine. Le village fut en émoi. Seize ans, Manon se rebella, le voyant comme un usurpateur. Ils patientèrent. Elle finit par comprendre en tombant amoureuse à son tour.

Paul se maria aussi.

Puis limpensable arriva : à quarante-trois ans, Catherine fut enceinte. Sa belle-fille létait aussi. Elles rirent ensemble à la maternité, sous les regards attendris des médecins.

Catherine accoucha la première : un petit garçon, Michel. Deux jours plus tard, sa belle-fille lui donna un petit-fils, Étienne.

Le village en parla pendant des mois, mais cette fois, avec admiration.

Ils se marièrent enfin, discrètement. « Pourquoi des papiers ? Tu ne me quitteras pas », disait-elle.

« Je veux être ton mari, officiellement », insista-t-il.

Sur le chemin du retour, il la serra contre lui : « Pour toujours, Cathy. »

Elle sourit. Peu importaient les ragots. Ils étaient deux. Ensemble.

Avec Éric, sa vie fut une renaissance. Chaque jour avait un sens. Michel grandissait, vif et curieux. Manon, devenue adulte, les accepta. Paul, malgré ses réserves, voyait leur bonheur.

Un soir dautomne, sous un ciel étoilé, ils sassirent sur le perron.

« Je naurais jamais cru avoir une seconde chance », murmura Catherine.

Éric sourit : « Le bonheur narrive jamais trop tard. Il faut juste oser le saisir. »

Elle devint un exemple dans le village, prouvant quon peut recommencer, peu importe lâge.

Chaque matin, en voyant ses enfants et son mari, elle savait : le bonheur na pas dheure. Il suffit de lui ouvrir son cœur.

Leur chemin avait été dur, mais leur maison était enfin en paix. Et cela, cétait tout ce qui comptait.

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