Je ne suis pas ta cuisinière ni ta domestique pour laver et nourrir ton fils en plus ! Si tu l’amènes vivre chez nous, occupe-toi de lui comme il se doit !

Je ne suis ni ta cuisinière ni ta bonne de ménage pour moccuper de ton fils en plus de toi ! Si tu las amené vivre ici, tu peux bien te charger de lui toi-même !

La voix de Jeanne était ferme, tranchante comme une lame. Elle venait de sarrêter net, son couteau suspendu au-dessus de la planche à découper. Lodeur de loignon et de lail quelle faisait revenir pour son propre dîner sétait dissipée, remplacée par une amertume montant dans sa gorge. Elle tourna lentement la tête vers le fauteuil encombré de vêtements en boule : un jean, des t-shirts froissés, des chaussettes roulées en pelotes dures, le tout imprégné dune odeur aigre de transpiration adolescente et de poussière.

Elle fixa la nuque de Louis, affalé sur le canapé, absorbé par les images de voitures de course à lécran. Il ne daignait même pas la regarder en lui donnant ses ordres, comme sil sadressait à un simple appareil domestique.

Jeanne, il faut préparer quelque chose pour Théo demain. Il ne veut pas de boulettes, fais-lui des côtelettes comme lautre fois, avec des pommes de terre sautées. Et aussi Louis, sans quitter lécran des yeux, désigna négligemment le fauteuil. Prends ses affaires, il na plus rien de propre pour lécole demain.

Jeanne resta immobile. Puis, dune voix glacée, elle répéta :

Je ne suis ni ta cuisinière ni ta bonne de ménage pour moccuper de ton fils. Si tu las amené ici, débrouille-toi.

Louis fronça les sourcils, comme si elle lui parlait dans une langue étrangère.

Quest-ce qui te prend ? Cest trop demander ? Tu fais déjà la lessive, quelle différence que ce soit deux t-shirts ou quatre ? Et tu cuisines pour tout le monde, non ? Pourquoi tu en fais tout un plat ?

Sa voix était si naturelle, si indifférente, que Jeanne sentit une colère froide lenvahir. Elle nétait quun outil pour lui, un appareil ménager. Une machine à laver quon remplissait, une cuisinière quon allumait. Il ne voyait ni sa fatigue, ni ses heures passées aux fourneaux pendant quils se prélassaient. Il consommait simplement son temps, son énergie, sans y penser.

Sans un mot, elle ramassa les vêtements sales entre deux doigts et se dirigea non vers la salle de bain, mais vers le balcon.

Où est-ce que tu vas ? demanda Louis, se redressant enfin.

Jeanne ouvrit la porte-fenêtre. Lair froid de novembre lui fouetta le visage. Elle savança jusquà la rambarde et, sans hésiter, lâcha le tas de tissu. Les vêtements disparurent dans lobscurité, atterrissant quelque part sur la pelouse en contrebas.

Elle revint à lintérieur et referma la porte calmement. Louis la dévisageait, bouche bée, son visage virant à lécarlate.

Tas perdu la tête ?! hurla-t-il.

Non. Je lai retrouvée, répondit-elle en retournant à ses casseroles. Je tai choisi pour toi, pas pour adopter ton fils. À partir de maintenant, occupez-vous de vous-mêmes. Et dis à Théo que son uniforme est sur la pelouse. Quil se dépêche avant que les jardiniers ne passent.

Les cris des moteurs à la télé furent couverts par le grognement furieux de Louis. Théo, attiré par le tumulte, sortit de sa chambre, lair désemparé. Son visage, habituellement blasé ou excité par ses jeux vidéo, reflétait maintenant une perplexité humiliée.

Papa, quest-ce qui se passe ? marmonna-t-il.

Ce qui se passe ? tonna Louis en pointant le balcon. Tes fringues sont en train de décorer le jardin ! Va les chercher avant quun chien ne sen empare !

Théo, le roi de son univers virtuel, dut saventurer dehors, tête basse, pour récupérer ses vêtements souillés sous les regards des voisins. Louis resta planté au milieu du salon, respirant bruyamment, attendant une réaction de Jeanne. Mais elle continuait à cuisiner, indifférente. Son calme lexaspérait plus que toute dispute.

Tu vas le regretter, Jeanne. Gravement, gronda-t-il avant de seffondrer sur le canapé.

Dès ce soir-là, lappartement devint un champ de bataille silencieux. Louis et Théo, de retour avec leurs vêtements humides de rosée, adoptèrent une stratégie de résistance passive. Ils étaient sûrs quelle céderait.

La cuisine fut leur premier front. Le lendemain matin, Jeanne prépara son café, mangea un yaourt, lava sa tasse et partit travailler. Louis et Théo, découvrant le frigo vide, tentèrent de cuisiner. Le résultat ? Du lait renversé, une poêle brûlée collée à la plaque, et une pile de vaisselle sale. Ils laissèrent tout en plan.

Jeanne, de retour le soir, ignora leur désastre. Elle prépara son repas, mangea, rangea, et se retira dans sa chambre.

Les jours suivants, le chaos sétendit. Cartons de pizza, emballages de chips, tasses collées sur la table basse. Lair devint lourd, imprégné de nourriture rance et dentêtement muet. Ils attendaient quelle craque.

Mais Jeanne tint bon. Elle traçait son chemin entre leur désordre, ne nettoyant que son espace. Sa chambre était un havre de paix, un îlot de propreté dans leur océan de négligence.

Au bout dune semaine, Louis comprit quils perdaient. Leur guerre froide ne fonctionnait pas.

Elle se prend pour qui ? gronda Théo en désignant sa porte fermée. Tout est dégoûtant ici. Je nai plus de fringues propres.

Je vois ça, répondit Louis, amer. Il fallait lui rappeler que ce nétait pas son palais.

Il se leva, les yeux brillants dune idée méchante. Sil ne pouvait pas la faire plier par le désordre, il attaquerait son sanctuaire.

Il entra dans sa chambre. Tout était impeccable. Sur le dossier dune chaise pendait son nouveau manteau, beige crème, acheté avec sa prime. Un symbole de son indépendance.

Louis prit une boîte de pizza vide et y versa les miettes et les serviettes grasses sur le manteau. Puis, il aspergea le tissu clair de saumure de cornichons. La tache sétala, hideuse. Théo le regardait, muet.

Quand Jeanne rentra, ils faisaient mine de regarder un film bruyamment. Elle passa devant eux, entra dans sa chambre et vit.

Elle ne cria pas. Elle prit le manteau, le rangea dans larmoire, puis sortit. Ils sattendaient à une explosion. Mais elle ignora leurs regards, prit son téléphone, et composa un numéro.

Allô, bonjour. Jai besoin de faire changer ma serrure en urgence. Aujourdhui.

Le claquement de la porte dentrée résonna comme un coup de feu.

Une heure plus tard, elle revint avec des sacs-poubelle noirs. Elle attendit quils sortent, puis vida méthodiquement leurs affaires : vêtements, objets, tout ce qui les reliait à elle.

Le serrurier arriva, installa une nouvelle serrure.

Le soir, quand ils tentèrent de rentrer, la clé ne tourna plus.

Jeanne ! Ouvre ! Quest-ce que cest que ce cirque ?

Vos affaires sont sur le palier. Ce nest plus chez vous.

Ils hurlèrent, menacèrent. Elle mit de la musique pour couvrir leurs voix.

Finalement, ils partirent, traînant leurs sacs.

Jeanne ouvrit les fenêtres en grand, laissant lair froid balayer les relents de leur présence. Elle nettoya chaque centimètre carré, effaçant leur mémoire.

Une semaine plus tard, Louis revint, lair fatigué.

Jeanne, parlons. On a eu tort. On est chez ma mère, cest invivable

Pour toi, oui, répondit-elle en prenant le sac quil lui tendait. Pour moi, cest le contraire.

Mais on est une famille !

Non. Une famille, ça se construit. Vous nétiez quun poids. Ne reviens plus.

Elle referma la porte.

Les mois suivants, elle apprit à être heureuse. Des cours de céramique, des weekends pour elle. Un appartement immaculé, silencieux.

Elle respirait, enfin libre.

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