Corriger ses erreurs, mais il est déjà trop tard

À soixante ans, Pierre se mit à regretter les actes de sa jeunesse. Ces derniers temps, les souvenirs de ses erreurs passées lui revenaient sans cesse, comme si lâge les avait ramenés à la surface. Malgré ses efforts pour les chasser, ces pensées simposaient à lui malgré tout.

Dès lenfance, Pierre avait un tempérament fougueux. Son sens aigu de la justice le poussait à réagir violemment face à toute injustice. Il ne pouvait se retenir et nhésitait pas à en venir aux mains. En grandissant, il resta le défenseur des opprimés, si bien que les garçons du village venaient souvent le solliciter pour trancher leurs disputes.

Dis, Pierrot, qui a tort ? demandaient-ils. Si Michel et Vincent ont volé des pommes dans le jardin du vieux Émile, que ce dernier na attrapé que Vincent parce que Michel sest enfui, et que Vincent la dénoncé tout de suite Michel la battu pour ça, et Vincent sest plaint à son père, qui a frappé Michel à son tour.

Pierre arbitrait ce genre de conflits, et les garçons le respectaient pour cela. Les années passèrent. Un jour, alors quil était en quatrième, une nouvelle injustice se présenta. Pierre était un sportif accompli : bon au football, au volley, et surtout, le meilleur skieur de lécole.

Lors des sélections pour les championnats régionaux de ski, lépreuve scolaire désigna Pierre comme premier. Son ami Louis lui dit :

Pierrot, personne ne doute que tu sois le meilleur. Le prof de sport tenverra aux compétitions, cest évident.

Mais le professeur en décida autrement. Il désigna Théo, le fils de son ami, pour représenter lécole.

Cest Théo qui ira cette année, annonça-t-il, tandis que ce dernier souriait avec arrogance en direction de Pierre.

Les élèves protestèrent, mais le professeur les fit taire. Pierre, bouillonnant de colère, sapprocha de lui :

Pourquoi cette injustice ?

Parce que Théo quitte lécole après cette année, tandis que toi, tu auras encore une chance lan prochain. Maintenant, va-ten.

Sur le chemin du retour, Pierre tomba sur Théo. Il ne pensa pas frapper si fort, mais le lendemain, Théo ne put participer aux compétitions. Pierre fut lui aussi exclu, et laffaire fit grand bruit. Pis encore, la mère de Théo enseignait lhistoire dans cette école.

Dès lors, le professeur de sport et lhistorienne lui rendirent la vie impossible. Pierre, excédé, quitta lécole après la quatrième, refusant de poursuivre ses études. Ses parents le grondèrent, mais il trouva du travail.

Maman, arrête de me harceler, dit-il. Si je reste, je crains de ne pas me contrôler

Elle connaissait son caractère et ninsista pas. À la campagne, les emplois étaient rares : il devint aide-vétérinaire auprès du vieux Marcel. Pierre adorait soigner les bêtes et apprenait vite. Marcel voyait en lui un successeur potentiel.

Dommage que tu naies pas continué tes études, lui disait-il souvent. Tu aurais pu me remplacer.

Mais le destin fit que ce fut Théo, diplômé en médecine vétérinaire, qui prit la succession de Marcel. Pierre observait son travail en silence, constatant son manque dexpérience. Il ne sen mêla pas, se disant que le diplôme devait primer.

Un jour, le directeur de la ferme ordonna à Théo de vacciner tout le bétail. Pierre savait le faire, ayant beaucoup appris auprès de Marcel. Théo, conscient de ses limites, alla demander de laide à lancien vétérinaire, alité après une fracture.

Demande à Pierre, conseilla Marcel. Il sy connaît mieux que moi désormais.

À contrecœur, Théo sadressa à Pierre :

Aide-moi, je ny arriverai pas seul.

Mais Pierre gardait rancune pour linjustice scolaire.

Tu es le spécialiste. Cest ton travail, pas le mien.

Le lendemain, le directeur réprimanda Théo devant tous. Ce dernier, ivre de désespoir, revint vers Pierre, les larmes aux yeux.

Pardonne-moi pour ce qui sest passé à lécole. Aide-moi, je ten supplie.

Touché, Pierre accepta. Ils accomplirent la tâche rapidement, et le directeur les félicita. Théo offrit une bouteille de vin en remerciement. Pierre la prit, regarda Théo longuement, puis la brisa contre un rocher. Il ne buvait jamais.

Un simple merci aurait suffi, pensa-t-il en séloignant.

Les années passèrent. Un jour, lorsque les salaires cessèrent dêtre versés, Pierre se mit à élever des veaux pour survivre. Une voisine, la vieille Claudine, lui demanda un service :

Emmène-moi en ville, je ne peux pas prendre le bus.

Il accepta sans vouloir être payé, mais elle glissa de largent sur le siège.

Cest pour lessence, Pierrot.

Elle en parla au village, et bientôt, dautres habitants sollicitèrent son aide. Pierre ne refusait jamais, acceptant ce quon lui donnait, ou rien du tout.

Jusquà ce quun certain Nicolas, jaloux, commence à proposer ses services à prix fixe. Les villageois se plaignirent à Pierre, qui finit par affronter Nicolas.

Pourquoi extorquer tes voisins ? Et pourquoi répandre des mensonges sur moi ?

Je fais ce que je veux. Si tu es jaloux de mes clients, tant pis pour toi.

Pierre le frappa. Nicolas tenta de monter laffaire en épingle, mais personne ne le soutint.

Plus tard, Pierre sassocia avec un certain Sacha pour creuser des fosses septiques. Un jour, malade, il ne put travailler. Sacha garda largent pour lui.

Sacha nous a presque rien donné, avouèrent les ouvriers.

Furieux, Pierre le confronta.

Où est largent ?

On la dépensé en ville balbutia Sacha.

Pierre le frappa à plusieurs reprises. Ils ne se parlèrent plus jamais.

Mais avec lâge, les remords le rongèrent. Il alla même à léglise, où le curé parlait des péchés.

Jai cru défendre la justice, mais jai commis trop derreurs. Frapper les autres nétait pas la solution.

Sacha mourut plus tard, alcoolique, mais Pierre garda ce poids sur la conscience. À soixante ans, les nuits lui semblaient interminables.

Peut-être est-ce pour ça que je ne dors plus Si quelquun frappait mes fils, je ne le supporterais pas. Jai eu tort. Mais il est trop tard pour réparer.

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Corriger ses erreurs, mais il est déjà trop tard
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