**Une décision importante**
En traversant le parc, Élodie monta sur le pont et sarrêta soudainement. Elle sapprocha de la balustrade et se pencha légèrement, regardant en bas. La rivière en contrebas était froide et sombre, peut-être même pas très profonde, mais si jamais on y tombait Élodie eut peur de ses propres pensées et repartit rapidement.
Elle revenait de chez son amie Amélie, où elle avait passé la nuit après avoir fui la maison la veille, lors dune terrible dispute familiale. La mère dAmélie, une femme incroyablement gentille, lavait accueillie avec chaleur.
« Entre, ma chérie, Amélie est dans sa chambre », avait-elle dit sans poser de questions sur létat dagitation de la jeune fille.
La mère dAmélie, madame Dubois, comprenait bien que cela ne venait pas de nulle part. Elle avait préparé un dîner pour les filles, leur avait servi du thé avec des croissants et les avait envoyées se coucher. Le lendemain, jour de repos, Élodie décida de rentrer chez elle, ne voulant pas abuser de lhospitalité de madame Dubois.
« Merci, madame Dubois, je rentre à la maison. Mes parents doivent sinquiéter », dit-elle avant de partir.
Après avoir traversé le pont, Élodie aperçut une petite église. Étrangement, elle ne lavait jamais remarquée auparavant, bien quelle passait souvent par là avec Amélie. Poussée par une impulsion inexplicable, elle entra.
Une messe était en cours, mais il ny avait pas beaucoup de monde. Elle avança et regarda autour delle, cétait sa première fois dans une église. Son regard se posa sur une grande icône représentant une jeune femme tenant tendrement un enfant dans ses bras. Élodie ne pouvait en détacher les yeux. Au bout dun moment, une vieille femme, un foulard sur la tête, lui murmura doucement :
« Ne réfléchis pas trop, ma petite. Garde-le. Tout ira bien. »
Élodie sursauta.
« Comment savez-vous ? » demanda-t-elle à voix basse.
« Ma chérie, jai vécu assez longtemps pour reconnaître certaines choses », répondit la vieille femme avec un sourire apaisant. « Crois-moi, tout ira bien. Tu nes ni la première ni la dernière. Aucune femme na jamais regretté davoir eu un enfant. Jen ai vu beaucoup comme toi ici. Garde-le et nécoute pas les autres. »
Le prêtre lisait une prière, la vieille femme se signa et sinclina. Élodie resta encore un peu puis sortit, décidée à rentrer chez elle.
« Advienne que pourra », se dit-elle. La vieille femme avait raison.
La veille, après les cours, Élodie et Amélie étaient assises sur un banc dans le parc. Élodie, bouleversée, ne voulait pas rentrer.
« Alors, tu as pris une décision, Élodie ? Tu gardes le bébé ? Et Julien ? Tu lui as dit ? » demanda Amélie à toute vitesse. « Et tes parents, ils en pensent quoi ? »
« Amélie, arrête de parler sans mécouter ! » répliqua Élodie.
Son esprit était embrumé. Elle ne savait pas quoi faire. Elle était en deuxième année de fac, et voilà quelle était enceinte. Comment lannoncer à ses parents, surtout à sa mère ? Madame Laurent était stricte et imprévisible. Elle napprouverait sûrement pas sa fille.
« Maman va me tuer », murmura Élodie. « Julien a dit quil ne voulait pas de cet enfant, quil nétait pas prêt à être père. Il ma même dit de ne plus lappeler. Je ne mattendais pas à une telle trahison, après toutes ces années ensemble. »
Amélie sindigna violemment contre Julien, dégoûtée par sa lâcheté.
« Ta mère va râler, cest sûr », dit Amélie avec moins dassurance, se rappelant la sévérité de madame Laurent. « Mais toi, quest-ce que tu veux ? »
« Je ne sais pas, Amélie. Je suis en deuxième année, Julien ma abandonnée. Maman sera contre, cest certain. » Elle essuya une larme.
« Bon, je rentre. Ce soir, je leur annonce. »
Le soir même, une dispute éclata à la maison. Madame Laurent, les yeux exorbités, cria :
« Comment as-tu pu ? Tu es en deuxième année, où avais-tu la tête ? Tu ne savais pas quil fallait se protéger ? Pas question de garder ce bébé ! Tu dois finir tes études. Je ne te laisserai pas gâcher ta vie. »
« Sophie, tu perds la tête », répondit le père dÉlodie, sévère. « Tu veux pousser ta propre fille à quoi ? »
« Georges, tais-toi ! » répliqua madame Laurent. « Elle doit étudier, pas soccuper de couches, surtout sans mari. Julien a disparu comme un lâche Qui voudra delle avec un enfant et sans diplôme ? Alors, hop, à lhôpital ! »
« Sophie, et nous, alors ? Élodie est notre fille, nous laiderons à élever notre petit-enfant. Tu me déçois. »
« Bien sûr, Georges, ce nest pas toi qui vas changer les couches et ten occuper Tu as ton travail. Tout reposera sur moi, et je travaille aussi. Et puis, à quarante ans, je nai pas envie de redevenir une esclave des biberons ! » hurla madame Laurent, hystérique.
Élodie, recroquevillée, comprit lissue de la dispute. Elle se leva, attrapa ses affaires et senfuit de la maison. Ses parents continuaient à se crier dessus, ne remarquant même pas son départ. Elle se rendit chez Amélie, sachant que madame Dubois saurait la réconforter.
Élodie rentra chez elle. Le calme régnait. Son père consultait son téléphone, sa mère saffairait dans la cuisine.
« Ah, te voilà », lança sa mère dun ton sec.
« Ma chérie, tu es revenue, cest bien », dit son père avec douceur. « Tu étais chez Amélie ? »
« Oui, papa. »
Elle se tint au milieu du salon et parla fort pour que sa mère entende :
« Je vais garder mon bébé, quoi quil arrive. Cest ma décision. »
Sa voix était si ferme que même sa mère ne répondit rien.
Le temps passa, la maison retrouva son calme. Un jour, alors quÉlodie et Amélie étaient assises sur un banc après les cours, la mère de Julien sapprocha. Élodie se raidit, bien quelle sache que madame Moreau était une femme calme et respectable.
« Bonjour, les filles. Élodie, puis-je te parler ? »
« Bonjour, madame », répondirent-elles.
Amélie partit, laissant Élodie seule avec madame Moreau.
« Je sais que tu es enceinte. Ne sois pas fâchée, mais Amélie ma appelée pour men parler. Elle a bien fait. Élodie, je ten prie, garde cet enfant. Je te promets de taider. »
Élodie sattendait à tout, sauf à cela.
« Je sais que mon fils est un lâche. Il nest pas prêt à assumer un enfant, encore moins à se marier. Mais moi, je te promets mon soutien, moral et financier. »
« Pourquoi ? » demanda Élodie.
« Ma fille aînée ne peut pas avoir denfant. Et Julien je nai aucune confiance en lui. Cest son enfant, et pour moi, ce sera mon petit-fils. Je veux participer à sa vie. »
Élodie sentit la sincérité dans ses mots.
Théo naquit alors quÉlodie commençait sa troisième année. Joufflu et souriant, il devint la joie de toute la famille. Son grand-père Georges ladorait, tout comme madame Moreau, qui venait souvent le garder.
Tout aurait été parfait sans lattitude de madame Laurent. Peu avant laccouchement, elle fit ses valises et quitta la maison en déclarant :
« Restez ici avec vos couches et vos nuits blanches. Je refuse de devenir grand-mère. »
Elle partit vivre avec un collègue, avec qui elle avait une liaison depuis des années. Une trahison qui laissa Georges sous le choc.
Élodie choisit de ne pas interrompre ses études. Son père et madame Moreau laidèrent à concilier maternité et fac. Théo eut un an, les choses devinrent plus faciles.
« Julien a été appelé sous les drapeaux », annonça un jour sa mère. « Peut-être que larmée le fera grandir. »
Plus tard, elle apprit quil avait signé un contrat, refusant de rentrer. Peut-être avait-il enfin mûri.
Les années passèrent. Théo grandit. Madame Laurent coupa tout contact avec son ex-mari et sa fille.
Un soir, Élodie annonça à son père :
« Papa, je sors avec Olivier. On travaille ensemble, il est génial »
« Je suis content, ma chérie, mais tu dois me le présenter. »
Ce soir-là, Olivier, grand et charmant, entra dans lappartement.
« Bonsoir, monsieur Laurent. »
« Bonsoir », répondit Georges en lui serrant la main.
Les deux hommes sentendirent immédiatement, découvrant des intérêts communs.
« Élodie, je suis pour toi et Olivier. Cest un garçon sérieux, et surtout, il adore Théo. »
Bientôt, Théo eut un nouveau père, et Georges, un gendre formidable. Madame Moreau fut ravie pour Élodie, même si elle craignait de moins voir Théo. Mais rien ne changea.
Un jour, en se promenant dans le parc avec son mari et Théo, Élodie, une main sur son ventre arrondi, pensa :
« Cette vieille femme dans léglise avait raison. Aucune femme ne regrette davoir eu un enfant. »
Élodie était heureuse. Son mari aussi. Il adorait sa femme et attendait avec impatience la naissance de leur petite fille.







