« Et moi ? Suis-je de trop ? »
« Je nen peux plus. Adieu, Nicolas. » Jai écrit ce mot sans point dexclamation, dun calme absolu. Nicolas ne le lira jamais. Après réflexion, je lai brûlé.
…Il y a bien longtemps, entre Kolia et moi, ce fut une passion dévorante. Brûlante, envoûtante, insatiable. Nous courions droit vers labîme sans nous arrêter.
…Nicolas avait une femme et trois jeunes enfants. Moi, deux fils et un mari. Tous nos proches se touchaient la tempe. « Vous êtes fous ? Réveillez-vous. Vos familles souffrent. » Mais Nicolas et moi ne voyions plus rien autour de nous. Sur cette Terre, nous étions seuls. Aucun obstacle, aucune contrainte.
Quand je reprenais mes esprits après nos étreintes, je me surprenais à penser que je naurais jamais voulu denfants avec Nicolas. Jamais.
Il parlait de ses enfants ainsi :
« Je ne suis pas fou deux. Ma femme voulait agrandir la famille. Moi, je men fichais. »
Cette attitude minquiétait, honnêtement. Mais je ne comptais pas lépouser ! Quils fassent des enfants, cétait leur affaire.
…Trois ans plus tard, Nicolas et moi nous sommes mariés. Nous étions bien ensemble, en paix. Mes fils, bien sûr, sont restés avec moi.
Quand ses enfants ont grandi, les ennuis sans fin ont commencé. Appels en pleine nuit, visites à son travail, demandes pressantes dargent. Toujours la même raison : les finances. Ou plutôt, leur absence. Nicolas aidait comme il pouvait, rongé par la culpabilité. Il ne savait rien refuser. Je comprenais. Eux aussi, visiblement. Ils en profitaient sans scrupule. Moi aussi, javais pitié deux, même si, pour leur famille, jétais lennemie numéro un.
…Les années ont filé. Les petits-enfants sont arrivés. Cinq pour linstant. La fille aînée a fui un mari tyrannique, en pantoufles, avec ses trois enfants. Elle a besoin daide. La cadette vit des allocations, mère célibataire, mais adore dépenser sans compter. Quant au fils, un ivrogne sans foi ni loi, toujours saoul, il paie une pension alimentaire… que Nicolas règle à sa place, sur notre budget. Sa petite-fille lui ressemble trait pour trait. Il ladore plus que tout.
Nicolas, lui, croule sous les dettes. Mais ses enfants lignorent. Seuls mes fils et moi le savons. Ils me supplient de quitter ce « mécène malgré lui ». Un jour, jai osé lui demander un parfum. Il a haussé les sourcils :
« Ma chérie, tu sais bien que je ne sens rien. À quoi bon dépenser ? Mais… je ten offrirai un. »
« Oui, dans huit ans », ai-je soupiré.
Je ne demande plus rien. Je devine ses excuses : payer la chambre VIP de Marie à la maternité (pourquoi pas une chambre standard ?), acheter un manteau en cuir à sa petite-fille (un simple doudoune ne suffirait pas ?), remplacer les chaussures trouées de son fils de trente ans…
Nos disputes ne tournent quautour de ses enfants. À chaque crise, je lance : « Si un jour nous divorçons, remercie tes chers petits ! » Pourtant, Nicolas jure ne pas pouvoir vivre sans moi. Et moi ? Je suis épuisée. Je veux vivre ma vie, pas celle de ses enfants. Leurs noms résonnent chez moi comme un glas.
Je me souviens dune héroïne de film qui disait : « Moi non plus, Dieu merci, je ne suis pas orpheline ! » Jai mes enfants, mes petits-enfants, qui ont besoin damour. Mon Dieu, pourquoi nai-je pas su marrêter il y a vingt ans ?
…Le diable est un metteur en scène habile. À chacun son scénario. Je ne souhaite à personne de tomber dans ses filets. Je nai que moi à blâmer. Comme on dit : « On récolte ce que lon sème. » Nos nuits ardentes se sont éteintes. Notre amour était un puits sans fond. Avec les années, jen ai touché le fond… Jai limpression de vivre avec un malheur volé.
Mon fils aîné sest installé dans une autre ville. Il a une famille, un travail. Il me réclame depuis longtemps.
Je pars chez lui, pour de bon. Cest décidé. Jai écrit un mot dadieu à Nicolas. Puis je lai brûlé. Sil ne comprend pas, ce mot ny changera rien.
P.S. Jai rendu visite à mes enfants, à mes petits-enfants. Jai séjourné chez mon second fils, marié à une Allemande de Düsseldorf. Une femme trop rigide. Leur enfant ne parle pas un mot de français. Qua-t-il trouvé chez elle ? On aime parfois sans raison, malgré tout.
Chez eux, tout est calme et tendresse. Et moi, jy ai trouvé un baume pour lâme.
…Un mois plus tard, je suis revenue vers Nicolas. Je crois quil na même pas compris que jétais partie pour toujours. Mais il ma offert un flacon de parfum français, très cher.
La vie nous apprend parfois que partir est facile, mais quoublier lest moins. Et que lamour, même usé, laisse toujours une trace.







