**Journal dun Homme**
Il ma abandonné sur la route en disant : « Personne na besoin de toi. » Une heure plus tard, une limousine est venue me chercher une voiture quil navait vue quau cinéma.
« Vends-la. Et épargne-moi tes soupirs tragiques, Aurélie. »
La voix de Thibault, mon mari, me transperçait tandis que je regardais par la fenêtre les vieux tilleuls. Ces mêmes tilleuls sous lesquels, enfant, je cachais des « trésors » avec ma grand-mère.
« Thibault, je tavais demandé Nous avions convenu de ne pas en parler. »
« Nous ? Moi, jai convenu de quoi ? Je tai simplement laissé du temps pour accepter linévitable. »
Il parcourut la pièce, traçant un doût distrait sur le couvercle poussiéreux du piano, comme sil évaluait déjà une marchandise.
« Ce nest pas quun appartement. Cest des souvenirs. »
« On ne vit pas de souvenirs. Jai besoin dun capital de départ. Tu veux que ton mari ait une entreprise prospère, non ? Ou préfères-tu quon vive de salaire en salaire ? »
Chaque mot était pesé. Il frappait toujours là où ça faisait mal ma culpabilité, ma peur de paraître une mauvaise épouse.
« Mais je lavais promis À Grand-mère. »
Thibault eut un rire méprisant.
« Elle a promis. Moi, je me suis promis de réussir, pas de moisir dans ce taudis qui sent la naphtaline et tes rêveries. »
Il sapprocha, son regard mécrasant dans le vieux fauteuil.
« Écoute, je comprends. Cest difficile. Mais cest la meilleure décision pour notre famille. »
« Notre famille ». Il utilisait toujours cette phrase quand il voulait que je plie. Quand « notre famille » exigeait que jannule un dîner entre amies. Quand « notre famille » avait besoin dun crédit pour sa voiture.
« Je ne peux pas, Thibault. »
Un silence. Puis son visage se durcit.
« Je ne peux pas ? Tu réalises que sans moi, tu nes rien ? Personne ne voudra de toi avec tes principes et tes promesses aux morts. »
Il ne criait pas. Cétait pire.
« Réfléchis bien, Aurélie. Tu as une semaine. Après, on fera comme jai décidé. »
Il partit, me laissant seule avec lécho de ses mots.
Les jours suivants, il joua lépoux parfait. Jusquau soir où je tentai une dernière discussion. Il écouta, puis posa sa fourchette.
« Un crédit ? Tu veux mendetter ? Alors quon a de largent dormant sous les yeux ? »
« Ce nest pas de largent dormant, cest ma maison ! »
« Cest notre appartement. Et il doit servir notre famille, pas tes nostalgies. »
Il se pencha, accusateur :
« Tu as peur que je réussisse ? Avoue. »
Le samedi, il arriva avec un homme en costume. Ils inspectèrent chaque pièce. Je me souvins alors des mots de Grand-mère :
« Cette maison est ta forteresse. Les hommes passent, elle reste. »
Le lendemain, je proposai une escapade. Sur la route, il jubilait :
« On achètera un penthouse ! Tu quitteras ton travail, tu iras au spa »
Son téléphone sonna. Son sourire seffaça.
« Quas-tu fait ? » gronda-t-il en raccrochant.
« Ce que jaurais dû faire avant. Lappartement est à moi. Et il ne se vend pas. »
Il me jeta dehors sur lautoroute. Une heure plus tard, une limousine noire sarrêta.
« Aurélie ? Maître Laurent vous envoie chercher. »
Thibault revint en trombe, pâle. Il tambourina à la vitre :
« Cest quoi cette voiture ? Ouvre ! »
Maître Laurent parla à ma place :
« Votre épouse hérite dun fonds créé par sa grand-mère. Il couvrira les frais de divorce. Vos affaires vous attendent chez votre mère. »
Dans lappartement nettoyé, je lus la lettre de Grand-mère. Pas de reproches. Juste une leçon : la vraie richesse, cest de pouvoir dire non.
**Épilogue**
Je rénovai lappartement avec soin. Je quittai mon emploi pour ouvrir un atelier de restauration. Thibault tenta de me contacter dabord des excuses, puis des menaces. Maître Laurent sen occupa.
Un soir, une cliente apporta une vieille chaise.
« On dit que vous faites des miracles. »
Je souris :
« Juste du respect pour lhistoire. »
En polissant le bois, je compris : je navais plus peur dêtre seule. Javais enfin moi.
**Leçon** : Une forteresse na pas besoin dêtre grande. Elle a besoin de portes qui souvrent pour les bons et se ferment pour les autres.







