Oh là là, la belle histoire que je vais te raconter…
« Ne tavise pas de thabiller comme ça sous mon toit ! » gronda la belle-mère devant les invités.
« Amélie, tu nas pas vu mes lunettes ? Je crois les avoir laissées sur la table basse », demanda Isabelle Lambert en jetant un œil dans la cuisine où sa belle-fille préparait la salade festive.
« Regardez dans leur étui, Isabelle. Jai rangé le salon et les y ai mises », répondit Amélie sans quitter des yeux les légumes quelle coupait avec précision.
La belle-mère pinça les lèvres mais ne dit rien. Personne ne devait toucher à ses affaires, même avec les meilleures intentions. Mais elle se retint la soirée était importante, et les conflits inutiles navaient pas leur place.
Ce jour marquait les trente ans depuis quIsabelle avait emménagé dans cette grande maison parisienne aux plafonds hauts, meublée dantiquités transmises par sa propre belle-mère. Chaque recoin y était imprégné de sa présence. Bien que la maison appartînt désormais à son fils, Julien, elle sy sentait toujours la maîtresse.
Amélie vivait avec eux depuis deux ans seulement. Pour Isabelle, ce mariage avait été une mauvaise surprise Julien avait présenté cette femme, rencontrée trois mois plus tôt, avec ses idées trop modernes à son goût.
« La salade est presque prête », annonça Amélie en disposant son œuvre sur un grand plat. « Je dois encore me changer avant larrivée des invités. »
« Jespère que tu ne comptes pas mettre cette robe rouge ? » fit remarquer Isabelle en ajustant ses cheveux gris parfaitement coiffés.
Amélie simmobilisa avant de relever lentement les yeux.
« Cest précisément celle que je comptais porter. Julien la choisie pour notre anniversaire. »
« Elle nest pas adaptée à un dîner de famille. Trop décolletée. Tu as cette belle robe bleue à col Claudine que je tai offerte pour Noël. »
Amélie soupira. Cette robe bleue, digne dune collégienne, ne lavait habillée quune fois par politesse. Depuis, elle pendait au fond de larmoire.
« Isabelle, à trente-deux ans, je pense pouvoir choisir mes tenues », répondit-elle avec douceur mais fermeté.
« Bien sûr », sourit la belle-mère avec raideur. « Mais noublie pas que mes amis viennent ce soir. Des gens dune autre génération, avec des valeurs traditionnelles. »
Sans attendre de réponse, elle quitta la cuisine, laissant Amélie bouillir intérieurement.
Dans la chambre, Julien enfilait une chemise repassée.
« Alors, prête à affronter la haute société ? » plaisanta-t-il en la voyant.
« Presque. Ta mère critique encore ma tenue. »
Julien soupira.
« Ignore-la. Elle veut juste faire bonne impression. »
« Nous ou moi ? » rétorqua Amélie en inspectant la robe. Certes, elle était audacieuse décolleté profond, fente discrète mais pas indécente.
« Pas ce soir, chérie. Ce jour compte beaucoup pour elle. »
« Pour moi aussi. Je ne suis plus une adolescente à qui lon dicte sa garde-robe. »
Julien hésita, déchiré entre sa mère et sa femme.
« Porte ce que tu veux. Tu es magnifique dans tout ce que tu mets. »
Amélie lembrassa sur la joue. Pour lui, elle retint sa colère.
Les invités arrivèrent vers dix-huit heures. Dabord, Margaux et son mari, vieux amis dIsabelle. Puis la voisine Colette, petite femme au regard et à la langue acérés. Dautres suivirent des amis de longue date.
Amélie et Julien les accueillirent dans lentrée. Isabelle trônait au salon, racontant ses voyages de jeunesse.
Alors quAmélie apportait les plats chauds, Isabelle la rattrapa dans la cuisine.
« Tu nas vraiment rien trouvé de plus convenable ? » murmura-t-elle en toisant le décolleté.
« Nous en avons déjà parlé. Cette robe est parfaitement appropriée. »
« Pas dans ma maison. »
Amélie rougit mais se contint.
Au salon, Colette déclara :
« Ta belle-fille est ravissante ! Cette robe lui va à merveille comme dans un magazine ! »
Isabelle sourit avec raideur.
« Amélie aime la mode. Mais la modestie sied à une femme. »
« Allons, à notre époque, il faut en profiter ! » rétorqua Colette. « Bravo, ma petite, porte ce qui te plaît ! »
Amélie lui sourit avec reconnaissance.
Plus tard, dans la cuisine, Isabelle la prit à part.
« Comment oses-tu thabiller ainsi chez moi ? Cest vulgaire et insultant ! »
« Ce nest quune robe, Isabelle. »
« Tu fais exprès de mhumilier devant mes amis ! »
Julien apparut, le visage sombre.
« Ça suffit, maman. Amélie est ma femme. Je ne tolérerai pas ce ton. »
« Mais cest ma maison ! »
« Non. La nôtre. Et chacun y a sa place. »
Un silence tomba. Puis Isabelle murmura :
« Peut-être ai-je exagéré. Mais à mon époque »
« Les temps changent, Isabelle, répondit doucement Amélie. Mais le respect reste. Je ne veux pas me battre. Je veux que nous formions une famille. »
Isabelle baissa les yeux.
« Tu es très belle dans cette robe. Colette a raison profite de ta jeunesse. »
Amélie, stupéfaite, murmura :
« Merci. Ça compte pour moi. »
Plus tard, Colette chuchota à Isabelle :
« En cinquante ans, je ne tai jamais vue texcuser. Cest une première. Ta belle-fille est charmante. Ton fils est heureux. Nest-ce pas lessentiel ? »
Le lendemain, alors quAmélie et Julien débarrassaient, Isabelle les arrêta.
« Laissez, nous finirons demain. Parfois, il faut savoir enfreindre les règles. Pas vrai, Amélie ? »
Amélie sourit, sentant quun nouveau chapitre souvrait.
« Tout à fait. Surtout si cela nous rend heureux. »
Julien les serra dans ses bras trois générations, trois visions, mais une seule famille.
« À propos, dit Isabelle avec un sourire malicieux, jai vu une robe similaire à la tienne, mais bleue. Tu crois que ça irait à une vieille dame comme moi ? »
Et pour la première fois depuis longtemps, ils rirent ensemble vraiment ensemble.







