Si le destin veut que nous soyons ensemble

**Journal de Marie 12 novembre 2023**

Aujourdhui, nous sommes rentrés des obsèques, mon mari Michel et moi, le cœur lourd et épuisés. Nous avons enterré sa mère, Anne, ma belle-mère.

« Elle repose enfin près de ton père, comme elle le souhaitait tant », murmura Michel en essuyant une larme.

« Oui Elle savait bien quon ne laurait pas mise ailleurs, mais cétait son obsession », répondis-je. « Elle a souffert, cette maladie était cruelle. »

La soirée sest passée en silence, chacun perdu dans ses pensées. Moi, je repensais à ma vie davant, avant le mariage. Rien de joyeux. Jai perdu mes parents très tôt, dans lincendie de la maison de ma grand-mère, où ils étaient restés après lenterrement de mon grand-père. Cette nuit-là, les flammes ont tout pris.

Jétais restée à la maison avec mon frère aîné, Nicolas. Au matin, la nouvelle nous a brisés. Les voisins nous ont aidés à les enterrer. En un instant, nous sommes devenus orphelins. Certains chuchotaient :

« Le grand-père Louis a emmené sa femme et leurs enfants avec lui »

Nicolas avait dix-sept ans, moi, treize. Nous avons vécu seuls dans la petite maison familiale. Lui travaillait à la ferme, moi, jallais à lécole. La vie réserve des destins difficiles le mien en fut un. Parfois, jai du mal à croire tout ce qui mest arrivé.

Notre village, Saint-Julien-sur-Cher, ne comptait que quarante-deux maisons. Lécole nallait que jusquau CM2. Après, il fallait marcher trois kilomètres jusquà lécole du village voisin. En hiver, on coupait par la rivière gelée. Autrefois, le vieux Marcel emmenait les enfants à cheval le lundi et les ramenait le samedi. La semaine, on dormait à linternat.

Mais certains, surtout les plus âgés, préféraient rentrer à pied. Leur chef était Théo, le fils du maire.

« Ceux qui veulent rentrer ce soir, on se retrouve après les cours. On marche ensemble. »

Trois kilomètres, ce nest rien en groupe. Seul, la forêt fait peur. Les garçons commençaient à sintéresser aux filles, leur glissaient des mots doux, les invitaient à danser le week-end au foyer communal.

Les dimanches soirs, tout le village savait qui avait accompagné qui. À lépoque, la vie était simple, joyeuse. Les films étaient rares, alors même les adultes venaient au foyer.

Moi aussi, jai étudié là-bas. En grandissant, je suis devenue le centre dattention. « Marie, belle comme un ange », disaient-ils. Mon regard faisait battre les cœurs, ma voix douce restait dans les mémoires. Jétais douée en tout : jolie, intelligente, gentille. Une rareté. Mon seul défaut ? Être orpheline.

Je vivais chez Nicolas, qui avait épousé une fille du coin, Élodie. Ils avaient un fils. Mais Élodie ne maimait pas. Jessayais de laider, de me faire accepter, mais je sentais que jétais de trop.

« Après le lycée, je partirai à Lyon, en école hôtelière », rêvais-je. « Élodie me rend la vie impossible. Nicolas a sa famille, je ne veux pas les gêner. »

Je ne me plaignais jamais à mon frère. Les garçons me respectaient, aucun ne ma jamais manqué de respect. Ils espéraient tous que je choisirais lun deux un jour. Mais jétais réservée, distante.

Puis les rumeurs ont commencé : Théo et moi, nous nous fréquentions. Main dans la main le soir, sur le chemin de lécole. Théo était grand, fort, presque un homme. Brillant élève, comme moi. Nous avions tant à partager.

Les autres garçons ladmiraient. Il ne buvait pas, ne se perdait pas en bêtises. Nous formions un couple magnifique, inséparables, follement amoureux.

« Regardez ces tourtereaux », murmuraient les vieilles du village. « Le mariage ne saurait tarder »

Mais nos amours déplaisaient aux parents de Théo. Son père, Louis, était maire, lhomme le plus riche du village. Première voiture, grande ferme, moto Théo en profitait aussi.

Quand Louis a appris que son fils aimait une orpheline sans le sou, il a refusé ce mariage.

« Écoute, Sophie », dit-il à sa femme. « Cette Marie croit pouvoir épouser notre fils ? Belle, certes, mais sans famille, sans argent Son frère vit à peine. »

« Il en est fou, Louis. Il passe toutes ses soirées avec elle. Si seulement elle avait des parents pour la surveiller Mais on dit quelle est sage. »

« Je veux une belle-fille de notre rang. La fille du notaire de Clermont, par exemple. Moins jolie, mais riche. Une alliance utile. »

« Comment lui en parler ? Il ne nous écoutera pas. »

« Laisse-moi faire. »

Louis tenta dabord de raisonner Théo.

« Viens ici, on doit parler. »

« Pas maintenant, papa. Marie mattend. Je ne veux pas la peiner. »

« Ta Marie peut attendre. Les rumeurs disent que vous êtes follement amoureux. »

« Oui. Et nous envisageons un avenir ensemble. »

« Oublie-la. Je te trouverai une femme digne de toi, pas cette pauvre fille. Son frère est un misérable. Cest un ordre. »

« Personne ne me fera changer davis. »

« Ne me contredis pas ! »

Louis comprit que son fils, devenu un homme, ne céderait pas si facilement. Il fallait ruser.

Le lendemain, il se rendit chez Nicolas en son absence.

« Élodie, viens ici. »

Elle le regarda, surprise.

« Jai une proposition. Tu as une tante en Bretagne, nest-ce pas ? »

« Oui Ma tante Jeanne. Pourquoi ? »

« Arrange-toi pour que Nicolas envoie Marie là-bas. »

« Pourquoi faire ? »

« Je te paierai généreusement. Vous avez besoin dargent. »

Élodie, avide, accepta. Elle convainquit Nicolas :

« Envoyons Marie chez tante Jeanne. Ici, elle na pas davenir. Là-bas, à Rennes, elle pourra sen sortir. »

« Tu as raison »

Nicolas emmena Marie de force à la gare, un billet en poche. Après leur séparation, Théo sombra dans le chagrin, refusant de parler à son père. Même Sophie regretta la décision de Louis.

Puis vint le service militaire. Théo, envoyé en Bretagne, écrivait peu. À la fin de son service, il annonça :

« Préparez-vous. Je rentre avec ma fiancée. »

« Tu vois, Sophie ? Il la oubliée. Organisons un grand mariage. »

Quand le taxi sarrêta devant chez eux, tout le village était là. Théo, en uniforme, aida une jeune femme en robe blanche à descendre. Un murmure parcourut la foule : cétait Marie, plus belle que jamais.

Louis et Sophie restèrent pétrifiés.

« Voici ma femme », déclara Théo, triomphant.

Les villageois applaudirent. « Bravo, Théo ! Lamour triomphe toujours ! »

Les parents neurent dautre choix que daccepter. Le pardon vint avec le temps. Nous avons vécu heureux, élevé deux fils. Louis est parti le premier, Sophie la suivi peu après. Jai veillé sur elle jusquà la fin.

Ce soir, dans le silence de la maison, je repense à tout cela. La vie continue et quand deux cœurs sont faits lun pour lautre, rien ne peut les séparer.

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Si le destin veut que nous soyons ensemble
« T’es cinglé ou quoi ? » murmura-t-il en s’avançant d’un pas, envahissant son espace personnel.