La vie a toujours ses propres mystères.
Chloé, jai une nouvelle à tannoncer, Théo revient demain de larmée. On va bientôt se marier, tu danseras à notre noce, bavardait Élodie avec excitation.
Comment tu le sais ? Vous ne vous écriviez même pas quand il est parti. Vous étiez juste amis. Et puis, comment tu peux être sûre quil arrive demain ?
Ma mère a croisé tante Sophie. Et puis, on verra bien si on est juste amis. Cest ce quil croyait, ce que tout le monde croyait. Moi, je laime depuis longtemps. Cette fois, je ne le laisserai pas filer, senthousiasmait Élodie.
Bon, bon, réjouis-toi, mais je doute que tu arrives à lattraper. Théo a toujours fait à sa tête. Et maintenant, après larmée, il a sûrement mûri. Avant, au lycée, cétait un vrai casse-cou, rétorqua Chloé, ce qui vexa légèrement Élodie.
Élodie avait toujours aimé Théo, même sil était turbulent, vif, mais charmant. En troisième, il avait grandi, dépassant tous les garçons. Pourtant, il ne regardait aucune fille. Elles étaient toutes ses amies, il plaisantait avec chacune, passait ses soirées avec sa bande de copains. Mais il nen distinguait aucune, ne raccompagnait personne après le cinéma.
Élodie se trouvait souvent près de lui, apprenait quil allait voir un film, et courait aussitôt au cinéma du village. Théo lui parlait, la taquinait, lui passait même un bras autour des épaules, mais rien de plus. Les filles étaient secrètement amoureuses de lui, mais chuchotaient entre elles :
Théo est bizarre. Tous les garçons sortent avec des filles, les raccompagnent, mais lui, le soir, il rentre toujours seul.
Quand Théo partit à larmée, certaines commencèrent à attendre son retour. Chacune espérait quaprès son service, il jetterait enfin son dévolu sur lune delles. Après tout, il finirait bien par se marier un jour.
Juliette enseignait dans une école de la région. On lavait mutée là il y a quatre ans, après son arrivée fraîchement diplômée. Elle vivait avec sa mère, Jeanne, son père étant mort jeune. Jeanne était ravie que sa fille quitte la campagne pour la ville, mais elle songeait parfois :
Je suis heureuse que Juliette soit avec moi, mais un jour, elle se mariera
Ce matin-là, Juliette accompagna sa mère à larrêt de bus. Jeanne partait chez sa sœur aînée à la campagne, où commençait la saison estivale. Puis Juliette poursuivit vers lécole. Même en vacances, les enseignants avaient encore des tâches à accomplir.
Dans sa vie personnelle, rien ne changeait pour Juliette. Elle sétait brûlée une fois, trahie par Louis, un camarade de fac. Il lui avait promis de lemmener travailler dans sa ville, lui avait même fait une demande. Mais au dernier moment, il avait lâché :
Jai changé davis, Juliette. Mes parents mattendent seul. Alors, adieu
Elle avait surmonté cette épreuve et était partie enseigner à la campagne. À vingt-huit ans, elle navait plus jamais aimé personne.
Juliette était dans le bureau du directeur, discutant du planning estival, quand la conseillère pédagogique entra :
Juliette, un jeune homme vous demande.
Tiens, qui donc serait venu chercher notre Juliette ? sourit le directeur, tandis quelle haussait les épaules.
Je me le demande. Je vais voir.
En sortant, elle aperçut au bout du couloir un homme en uniforme militaire, tourné vers la fenêtre. Quand il se retourna avec un sourire, elle nota :
Oh là, un para, solide et costaud. Qui peut-ce bien être ?
Ils se rencontrèrent au milieu du couloir.
Bonjour, Juliette.
Bonjour, cest vous qui me cherchiez ?
Bien sûr, qui dautre ?
Excusez-moi, mais nous nous connaissons ?
Si longtemps, répondit-il avec un sourire franc, des fossettes creusant ses joues.
Théo ? reconnut-elle, son ancien élève. Elle joignit les mains devant sa bouche.
Oui, cest moi. Jai tant changé ?
Mon Dieu, cest le moins quon puisse dire. Ils sétreignirent.
Elle lui tapota le dos avant de sécarter, le dévisageant.
Laisse-moi te regarder. Quel homme tu es devenu, épaules larges, visage mature. Si je tavais croisé en ville, je ne taurais pas reconnu. Devant elle se tenait un bel homme, le rêve de nimporte quelle fille.
Ne me fais pas rougir, Juliette. Tiens, des fleurs pour toi. Il lui tendit un bouquet. Je suis ordinaire, comme tout le monde. Mais tu ne serais pas passée sans que je tappelle, rigola-t-il.
Comment mas-tu trouvée ici ?
Je savais avant larmée où tu enseignais. Il prit un air sérieux. Je viens directement de la gare. Service terminé, je suis libre.
Où loges-tu ? Tu dois encore rentrer au village. Oh, tu dois avoir faim ! Attends, je prends mon sac et on va chez moi, cest tout près.
Pendant que Juliette réchauffait le repas, Théo se rafraîchit. Il faisait chaud, il retira son uniforme, ne gardant que son maillot. En arrivant dans la cuisine, il demanda :
Juliette, je peux taider ?
Non, assieds-toi.
Juliette, tournée vers la cuisinière, était sous le choc, le regardant du coin de lœil. En voyant Théo, musclé, son cœur semballa. Rien ne restait du gamin turbulent quelle avait connu. Elle serra une cuillère contre ses lèvres.
Quest-ce qui marrive ? Pourquoi ces sentiments ?
Théo, assis, se retenait à peine. Il brûlait denvie dembrasser Juliette, quil aimait depuis le lycée. Belle et douce, il savait quelle était célibataire. Son ami Mathieu lui avait écrit sa tante était conseillère pédagogique dans cette école.
Allez, mange, Théo, dit Juliette. On prendra le thé après.
Ils évoquèrent lépoque où elle enseignait au village. Elle avait toujours senti son regard, mais ny prêtait pas attention. Tous les lycéens fixaient la jeune prof.
Quoi de neuf là-bas ? Qui me remplace ? Jaimerais revoir beaucoup de monde.
Une jeune prof, Clara. Mon frère aîné la vite épousée. Ils ont déjà un fils. Théo prit son courage à deux mains. Juliette Pour la première fois, il lappelait sans formalité. Je suis venu pour toi. Épouse-moi. Je taime depuis le lycée.
Mépouser ?
Oui. Je te demande en mariage. Tu vois, jai grandi, mais mes sentiments nont pas changé.
Mais, Théo, mon cher Théo, il y a huit ans entre nous.
Oublie ça. Il sapprocha, lui prit les mains. Oublie ces années. Elles ne comptent plus. Avant, cétait quatorze et vingt-deux. Maintenant, cest différent. Je ne suis plus un gamin, mais un homme. Je prendrai soin de ma famille.
Il fit asseoir Juliette, stupéfaite, sur ses genoux.
Tout ira bien. On construira une maison au village. Grande, spacieuse, pour que les enfants aient de la place.
Juliette, muette, hochait la tête.
Je nai même pas dit oui, et tu parles déjà denfants.
Jai tout vu dans tes yeux. Ils mont traversé comme des braises. Jai failli prendre feu.
Quel rêveur ! rit enfin Juliette.
Ouais, cest moi
Ils parlèrent encore, et Théo resta ce soir-là. Le lendemain, ils partirent à la campagne, présenter Théo à Jeanne et annoncer leur départ ensemble.
Arrivés là-bas, Théo prit une pelle, bêcha quelques plates-bandes.
Plantez, semez, sourit-il avant de réparer la porte grinçante.
Les femmes préparaient le repas.
Bravo, Théo, rien à redire.
À table, ils annoncèrent leurs fiançailles. Jeanne et sa sœur furent surprises, mais les félicitèrent. Théo remarqua la tristesse de Jeanne.
Jeanne, ne soyez pas triste de rester seule en ville. On vous emmènera avec nous. Le village est beau, vous aimerez, et ma mère est gentille. Juliette le sait.
Après le repas, ils prirent le train. Théo appela sa mère.
Jarrive à dix-huit heures. Attendez-moi. Je ne suis pas seul.
Avec qui ? sétonna Sophie. Une fille ?
Qui sait ? dit son frère aîné, déjà présent avec sa femme et leur fils.
Cest vrai, approuva sa belle-sœur Clara. Préparons la table.
Sophie guettait par la fenêtre, mais ne les vit quà la grille : son fils, grandi, et Juliette, son ancienne prof.
Maman, Théo est là ! cria son frère en les accueillant.
Sophie les serra dans ses bras.
Bonjour, Juliette. Quelle surprise ! Tu es toujours aimée ici. Comment as-tu retrouvé Théo ?
Maman, pas tout de suite. On vous expliquera.
À table, son frère servit le vin. Théo se leva.
Vous vous demandez pourquoi nous sommes ensemble. Juliette et moi allons nous marier. Il but seul, sous les regards stupéfaits.
Juliette croisa les mains sur ses genoux. Théo posa la sienne dessus. Un silence sinstalla, puis Sophie éclata de rire.
Je suis ravie, Théo, Juliette. Vraiment ravie. Regardant Clara, elle rit plus fort.
Juliette enseignait ici avant toi, Clara. Puis tu partiras en congé maternité, elle te remplacera. Puis toi, elle. Vous alternerez !
Tous rirent. À ce moment, Élodie et Chloé entrèrent.
Bonjour, on a su que Théo était là.
Entrez, dit le frère. Nous fêtons leurs fiançailles.
Les filles échangèrent un regard déçu, sassirent brièvement, puis filèrent.







