Écoute bien. Ou tu maides à faire retirer les droits parentaux à Camille, ou je pars, et vous vous débrouillez sans moi.
Solène, pense à ce que tu dis ! Cest ta sœur ! Et ma fille ! La mère leva les mains au ciel avant de se saisir la poitrine, comme si son cœur allait lâcher.
Et moi, je ne suis pas votre fille ? La voix de Solène se brisa sous le poids de la rancœur. Parfois, jai limpression de ne même pas exister pour vous Vous ne voyez pas ce qui se passe ? Je me suis attachée à Lucas, je laime, et vous Aidez-moi, ou je men occupe seule. Mais je ne laisserai pas les choses en létat.
La mère détourna les yeux, déchirée. Le père continuait de pousser sa soupe du bout de sa cuillère, le visage sombre. Solène comprit. Elle se leva et monta dans sa chambre, le cœur lourd.
Cétait clair : ses parents ne lavaient pas choisie. Ni elle, ni Lucas.
Elle commença à faire ses valises. Elle navait pas grand-chose à emporter, mais chaque objet pesait comme du plomb. Une tristesse immense lécrasait, mais elle savait quelle navait pas le choix.
Pourtant, comment tenir bon quand un petit garçon saccroche à vos jambes en pleurant ?
Maman, ne pars pas supplia Lucas, les joues mouillées, en regardant Solène ranger ses affaires.
*Maman.* Ce mot lui transperça le cœur une fois de plus. Elle soupira, sagenouilla et tenta de sourire.
Je ne pars pas de toi, mon chéri, murmura-t-elle en lenlaçant. Je pars pour quun jour, tout soit mieux pour nous. Je reviendrai. Pour toujours.
Lucas sanglotait, incapable de comprendre pourquoi sa tante adorée, celle quil appelait maman, voulait labandonner. Il saccrocha à elle si fort quelle ne put partir avant quil ne sendorme. Ce ne fut que tard dans la nuit quelle sortit en silence, sur la pointe des pieds.
À cet instant, Solène haïssait Camille. Cétait elle qui les avait tous plongés dans ce cauchemar.
…Camille avait commencé à se perdre dès ses seize ans. Dabord, elle rentrait tard, puis elle passait de plus en plus de nuits «chez des amies». Bien sûr, tout le monde savait ce que cachaient ces «amies». Elle revenait souvent ivre, le maquillage brouillé, parfois en larmes. Et les parents la dorlotaient comme une princesse, lécoutant, la consolant.
Une grossesse était inévitable. À dix-sept ans, Camille tomba enceinte. Impossible de savoir qui était le père juste «un mec rencontré en soirée».
Lucas naquit. Très vite, Camille réalisa que soccuper dun enfant nétait pas pour elle. Elle le laissait seul la nuit, puis finit par disparaître complètement.
Je suis trop jeune. Je ne veux pas gâcher ma vie, lança-t-elle à Solène au téléphone quand celle-ci exigea des explications.
Le «fardeau» retomba sur Solène. Le grand-père sintéressait à peine à son petit-fils, lui offrant parfois un jouet, mais rien de plus. La grand-mère aidait, mais travaillait et navait pas assez de temps.
Solène avait dix-huit ans. Elle passa en études à distance pour soccuper du bébé. Elle devint sa seconde mère, presque sa seule, puisquelle fut aussi sa marraine.
Ce fut dur. Très dur. Les nuits écourtées, les biberons, les escaliers avec la poussette, les examens passés les yeux rougis. Elle étudiait le soir, une fois Lucas endormi. Et elle gérait aussi la maison, puisque ses parents travaillaient.
Après six mois, Solène commençait à shabituer. Mais Camille revint, en larmes, se jetant aux pieds de ses parents.
Pardonnez-moi, jai été stupide Tout va changer
Ils crurent tous, même Solène. Pendant un mois, Camille parut sincère, passant du temps avec Lucas. Puis elle disparut à nouveau, emportant cette fois les bijoux de sa mère.
Elle a du mal à sadapter, justifia la mère. Elle reviendra. Elle a juste besoin de temps.
Solène ne croyait plus. Une fois, cétait un accident. Deux fois, une tendance. Mais que faire ? Ses parents vivaient dans un monde où Camille avait toujours droit à une nouvelle chance. Partir avec Lucas, sans rien ?
Elle continua. Elle étudia, soccupa de Lucas, lemmena à la crèche, chez le médecin. Elle espéra que Camille ne reviendrait plus. Mais quatre ans plus tard, elle était de nouveau sur le pas de la porte.
Je Je croyais quil maimait. Je pensais quon vivrait ensemble, que je reprendrais Lucas. Mais il ma utilisée Je me suis retrouvée seule, sans travail, sans amis, dans une ville inconnue
Ça se voit que tu as souffert, ironisa Solène en regardant les kilos en trop de sa sœur.
Un regard noir de sa mère la fit taire. Toute lattention retourna vers la pauvre Camille.
Le pire arriva quand Solène ramena Lucas de la crèche. La grand-mère poussa le garçon vers Camille. Effrayé, il se cacha derrière Solène.
Pourquoi tu pleures ? Cest ta maman.
Cest pas ma maman ! Ma maman, cest elle ! cria-t-il en serrant Solène.
Solène est juste ta tante. Camille, cest ta vraie maman.
Le cœur de Solène se brisa. Devant les larmes de Lucas, les mots de sa mère, elle comprit : lhistoire recommençait.
Et tout recommença.
Camille vécut deux mois aux crochets de sa famille, sans chercher de travail.
Jai Lucas. Qui membaucherait ? Je suis en congé maternité, déclara-t-elle quand Solène lui demanda ses projets.
Puis elle disparut à nouveau. Sans un mot. Tout devint clair quand elle posta des photos avec son nouvel «amoureux» un homme deux fois plus âgé quelle.
*Encore un ivrogne*, pensa Solène.
Elle navait plus despoir que Camille les laisse tranquilles. Mais que faire ?
Elle en parla à son amie, Claire. Elle avait besoin de se confier.
Cest facile pour elle. Une mère qui aime, une mère biologique Fais retirer ses droits, cest tout, conseilla Claire. Les services sociaux vérifieront, constateront son absence, et tu pourras agir.
Solène fut choquée.
Jai peur. Je vis chez mes parents, ils seront furieux. Et si on me prend Lucas ?
Alors attends que Camille revienne et détruise sa santé mentale. Et la tienne. Tu veux ça ? Il faut agir. Sinon, un jour, elle pourra même lui réclamer une pension. Et entre nous Claire baissa la voix. Ta sœur, tes parents, Lucas Et toi, dans tout ça ? Tu vis ta vie ? Il est temps.
Comment ? Jai Lucas
Et alors ? Tu vas vivre pour lui ? Un jour, il partira, et tu resteras seule. Thomas te demande toujours, et tu lévites.
Quand est-ce que je pourrais sortir ? Et puis Il voudrait vraiment ? Jai un enfant.
Sil te le demande, cest que oui.
Solène avait oublié sa vie. Les rares fois où elle sortait, les garçons séloignaient dès quils apprenaient pour Lucas. Elle navait même pas le temps dexpliquer quil était son neveu.
Thomas, lui, savait et insistait. Mais Solène était trop absorbée. Après sa discussion avec Claire, elle accepta enfin un rendez-vous.
Et elle ne regretta pas. Avec Thomas, elle se sentait libre. Il lécoutait, laidait.
Cest chez lui quelle se réfugia après son ultimatum. Elle ne sattendait pas à une solution, juste à se confier. Mais Thomas la surprit.
Je te lai déjà dit, emménageons ensemble. Peut-être que cest le moment ?
Solène le regarda, incrédule.
Je ne peux pas. Lucas Je ne peux pas labandonner.
Quel est le problème ? On vivra à trois.
Elle ouvrit des yeux ronds.
Cest pas ton enfant, tu nas pas à
Écoute, Solène, linterrompit-il. Je ne suis pas stupide. Je savais à quoi je mengageais. Sil est important pour toi, il le sera pour moi.
Quelque chose fondit dans son cœur. Une lueur despoir : sa vie ne serait pas quune lutte contre lirresponsabilité des autres.
Les six premiers mois furent un enfer. Services sociaux, formations, paperasse Mais le pire était de ne pas pouvoir emmener Lucas tout de suite. Il pleurait, lattendait.
Tu as volé lenfant de ta sœur ! laccusa sa mère.
Comme si elle en avait quelque chose à faire
Ses parents lui fermèrent leur porte. Pour eux, elle était devenue une traîtresse. Seuls Claire et Thomas restèrent.
Mais après la pluie vient le beau temps.
…Des années plus tard, Solène était assise sur un banc, regardant Lucas apprendre à sa petite sœur, Élodie, à jouer au foot. Thomas lentoura de son bras. Elle sourit. Tout cela en valait la peine.
De Camille, elle navait plus de nouvelles. Et elle sen passait. Rien ne changeait pour sa sœur : hommes, fêtes La perte de ses droits navait été quun prétexte pour apitoyer leurs parents.
Eux ne lui avaient jamais pardonné. Tant pis. *Quils soccupent de Camille, pensa Solène. Moi, je prends soin de ceux qui en ont vraiment besoin.*







