Famille par Hasard : Une Histoire d’Amour et de Destin

La Famille Improbable

Quelles belles demeures ! sexclama Camille, son ancienne camarade de fac, en inspectant les quatre pièces. Alors comme ça, tu es une riche héritière ? Léa saffaissa dans son fauteuil, épuisée. Quest-ce que tu fais là ? La fac sait bien que jétais malade

Camille seffondra sur le vieux canapé en cuir, qui gémit pitoyablement. Léa grimça. La maison regorgeait dantiquités accumulées par sa famille depuis des décennies. Alors ? demanda-t-elle, pressante. Elle avait hâte de se coucher, tant elle se sentait faible.

Ben fit Camille en traînant les mots. Cest Constantin, le délégué, qui ma demandé. Il a appris que jhabitais pas loin. Tu le connais, ce rabat-joie. Il voulait savoir si tu avais besoin de quelque chose. Tu es toute seule maintenant, après tout. Même si, avec un tel appart ajouta-t-elle, incapable de cacher sa jalousie.

Léa se leva péniblement. Merci, Camille, pour la visite. Dis à Constantin que tout va bien, je nai besoin de rien. Camille se leva à contrecœur et suivit son hôtesse vers la porte. Mais sur le seuil, elle ne put sempêcher de lâcher : Moi, je vivrais bien dans un appart comme celui-ci. Jorganiserais des soirées. Vous avez vraiment de la chance. Léa, sans réel intérêt, demanda : Nous ? Qui ça, nous ? Les bienheureux, lança Camille avant de disparaître. Ceux qui ne sont pas de ce monde. Léa referma la porte avec un sec « Bonne journée ».

Elle se coucha, mais le sommeil salvateur ne venait pas. Elle avait passé toute sa vie ici, avec sa grand-mère Antoinette, une femme sévère. Dès lenfance, Léa avait appris les bonnes manières, le français, langlais, lallemand. Sa grand-mère pouvait à tout moment lui parler dans lune de ces langues, et Léa devait répondre.

Elle ne se souvenait pas de ses parents. Sa grand-mère en parlait à contrecœur, évoquant sa « fille ingrate ». Elle avait eu Léa avec un certain Alexis, qui lavait finalement entraînée dans une communauté mystérieuse. Trois ans plus tard, une terrible nouvelle était arrivée : ils étaient morts dans un incendie, lors dun rituel ou dune simple soirée. Les détails restèrent flous, et Léa ne chercha pas à en savoir plus. Elle ne les avait jamais connus et nen éprouva pas de chagrin.

Peu de gens franchissaient leur porte. Il y avait Zoé, la couturière qui habillait la grand-mère et la petite-fille. Un médecin âgé, Élie Ygorovitch. Les amies de la grand-mère, Élisabeth et Arcadie. Et enfin, Pierre-Nicolas, un ancien bijoutier renommé et soupirant de longue date.

Cest dans ce petit monde que Léa avait grandi. Quand vint le temps daller à lécole, elle fut effrayée par le bruit et lagitation. Mais elle sy fit, apprenant à vivre entre deux univers : celui de sa grand-mère et celui, ordinaire, qui se cachait derrière les murs de leur vieil appartement.

Le drame arriva sans prévenir. Sa grand-mère, qui nachetait jamais rien à des inconnus dans la rue, rapporta un jour des champignons. Tu sais, je suis passée devant, et leur odeur ma rappelé la soupe que nous préparait Séraphine, notre cuisinière, à la campagne. Jai eu envie den refaire.

La soupe était délicieuse, divine. Léa en reprit une deuxième assiette. Ce fut sa grand-mère qui se sentit mal en premier. Puis ce fut son tour. Elles appelèrent Élie Ygorovitch, mais son téléphone était coupé. Il était à sa maison de campagne, apprit-elle plus tard.

Sa grand-mère refusa longtemps dappeler les secours, parce quelle ne faisait confiance quà son médecin. Mais quand elle perdit connaissance et que Léa vit des cercles noirs devant ses yeux, elle composa le 15. Elle ouvrit péniblement la porte avant de seffondrer.

Maintenant, tout était derrière elle, sauf la perte de sa grand-mère. Restait la question de largent. La bourse, même majorée, ne suffirait pas. Il y avait lappartement à payer, et son retour à la fac était incertain. Après avoir frôlé la mort, elle avait besoin de temps et de moyens.

Pierre-Nicolas laida un temps en lui achetant quelques antiquités. Il larnaqua un peu, mais Léa reprit des forces. Le problème demeurait : lappartement coûtait trop cher, malgré ses économies.

Un jour, elle se souvint de ce que lui avait raconté sa grand-mère : autrefois, cétait un logement communautaire. Puis il avait été attribué entièrement à son arrière-grand-père, en reconnaissance de ses services à la nation.

Léa décida de prendre des locataires. Elle garderait sa chambre et louerait les trois autres. Il fallait juste trouver des gens honnêtes, de préférence des femmes.

Elle posta une annonce en ligne. Les appels affluèrent, mais rien ne convenait. Des travailleurs immigrés, des familles avec enfants, des étudiantes qui riaient au téléphone en demandant si elles pouvaient recevoir des invités.

Quand les visites cessèrent, Léa songea à une agence. Là, ce serait organisé, et personne ne lui proposerait nimporte qui.

Mais elle ny alla pas. En traversant le quartier nord, elle vit une jeune femme avec deux enfants. Une fillette de cinq ans mordait dans un biscuit rassis, tandis quun petit garçon pleurait silencieusement sur les genoux de sa mère. Celle-ci parlait fort au téléphone : Micha, pourquoi tu nous fais ça ? Les enfants ont faim, et moi Je nai plus de lait. Réfléchis, où est-ce quon va aller ? Je nai personne pour nous accueillir. Surtout pas tes amis, pas les miens. Si ta Vera veut vivre avec nous, donne-nous juste une chambre, on ne vous dérangera pas. Comment ça, non ? Micha, ne raccroche pas. Micha ! Elle éclata en sanglots.

Léa ne put passer son chemin. Le cœur serré, elle sassit à côté de la femme. Pardon, jai entendu votre conversation. Vous avez besoin daide ? demanda-t-elle en tendant un mouchoir. Pas moi les enfants, hoqueta la femme. Mon mari nous a mises à la porte. On na nulle part où dormir, rien à manger, pas dargent. Je ne sais plus quoi faire. Et mon lait a tari

Une heure plus tard, les enfants, rassasiés, dormaient. Léa et Nadège cétait son nom discutaient. Je suis devenue orpheline à douze ans. Mes parents sont morts à cause de lalcool. Jai grandi en foyer. À ma majorité, jai récupéré notre appartement, mais il était dans un état horrible. On ma conseillé de le vendre pour acheter plus petit. Mais jétais jeune et naïve. Je me suis fait avoir. Je me suis retrouvée à la rue, avec à peine de quoi acheter un lit.

Jai trouvé une chambre chez une vieille dame. Une femme adorable. Elle disait que ce nétait pas largent qui comptait, mais la compagnie. Jaurais pu rester longtemps, mais son petit-fils, Micha, est arrivé.

En soi, il nétait pas mauvais. Juste faible surtout avec les femmes. Pas spécialement beau, mais quand il se mettait à faire la cour, avec ses yeux qui pétillaient et ses compliments à foison Moi, jétais jeune, je navais jamais embrassé personne. Ça a dû lattirer.

On a vécu ensemble. Sa grand-mère mavait prévenue : « Cest un loup-garou. » Elle appelait comme ça les gens à double face. Mais jétais amoureuse. Si javais su Ses parents lui avaient offert un deux-pièces. On sy est installés. Je suis tombée enceinte de Marie tout de suite. On vivait bien, il prenait soin de nous. Puis Sébastien est né il y a neuf mois.

Et là, tout a basculé. « Tu mennuies. Les enfants crient trop. » Je nai pas compris tout de suite quil y avait une autre femme. Et cette Vera a voulu récupérer Micha et lappartement. Résultat : il nous a mises à la porte.

Léa écouta cette histoire, hélas trop banale, et déclara : Je vis seule ici. Prenez une chambre, on verra plus tard. Et je louerai les deux autres.

Mais rien ne se passa comme prévu. Le suivant fut Antoine-Michel, un vieil homme chassé par la femme de son fils, mort dune maladie grave. Elle lui avait fait signer une donation en échange de soins, avant de se remarier et de le jeter dehors. Il dormait dans lentrée de limmeuble de Léa, jusquà ce quun voisin le traîne dehors par le col. Elle le recueillit.

La dernière chambre revint à Paul, un jeune homme aveugle. Son tuteur lavait dépouillé avant de le jeter à la rue.

Léa le croisa en allant à la fac. Quatre voyous se moquaient de lui : Tiens, du pain ! criait lun. Paul se dirigeait vers la voix, mais le plaisantin lançait le morceau à un autre. Les lèvres de Paul tremblaient, mais la faim était plus forte.

Désormais, Léa avait une grande famille. Nadège travaillait comme femme de ménage dans un magasin. Paul gardait les enfants meilleur nounou impossible. Aveugle, il avait louïe fine et inventait des histoires merveilleuses. Antoine-Michel, ancien cuisinier, transformait les ingrédients simples en plats de restaurant.

Et ainsi, Léa vivait désormais. Sans un regret. Elle savait quon lattendait. Quand elle ouvrait la porte, toute sa famille improbable lui faisait fête.

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Famille par Hasard : Une Histoire d’Amour et de Destin
Pars, je suis fatiguée d’être ton option de secours – ai-je dit avant d’éteindre la lumière du salon