– On ne t’a pas invitée – murmura ma belle-fille en me voyant sur le seuil

« On ne la pas invitée », murmura la belle-fille en me voyant sur le seuil.

« Maman, quand est-ce que Mamie Hélène va arriver ? » demanda Loulou en étalant les restes de sa purée sur son assiette.

« Je ne sais pas, ma chérie. Peut-être quelle ne viendra pas cette fois », répondit Camille en débarrassant la table après le petit déjeuner.

Antoine leva les yeux de son journal et lança un regard noir à sa femme.

« Comment ça, elle ne viendra pas ? Ta mère vient toujours pour lanniversaire de Loulou. Cest presque une tradition. »

« Eh bien, quelle reste dans tes rêves, alors », grogna Camille en empilant les tasses dans lévier avec fracas.

La petite Louise, sept ans, fronça les sourcils, regardant tour à tour ses parents. Elle détestait quand ils se parlaient sur ce ton, surtout quand il sagissait de Mamie Hélène.

« Mais moi, je veux que Mamie vienne ! Elle mapporte toujours des cadeaux, on va au parc ensemble, et elle me raconte des histoires de princesses ! »

« Loulou, va te brosser les dents, sinon on va être en retard pour lécole », coupa Camille.

La petite boudeuse obéit à contrecœur et traîna les pieds jusquà la salle de bains.

« Camille, quest-ce que tu fabriques ? » chuchota Antoine en se rapprochant. « La petite attend sa grand-mère. »

« Et cest de ma faute, peut-être ? Ta mère a décidé toute seule de ne plus venir. Depuis notre dispute la dernière fois. »

« Quelle dispute ? Tu lui as juste balancé tout ce que tu pensais de sa façon de gâter Loulou ! »

« Jai dit la vérité ! » La voix de Camille monta dun cran. « Elle la couvre tellement quaprès chaque visite, Loulou fait des caprices pendant une semaine ! Mamie, elle machète ça, Mamie, elle me permet ça ! »

Antoine serra les poings, puis les desserra avec un profond soupir.

« Elle aime sa petite-fille, cest tout. Elle est seule depuis la mort de Papa, et Loulou est sa seule joie. »

« Oh, sa joie ! Mais cest à moi de gérer les conséquences après ! »

De la salle de bains, des gargouillis et une chansonnette denfant parvinrent jusquà eux. Louise se brossait les dents en fredonnant.

« Écoute, évitons de parler de ça devant elle », supplia Antoine. « Ce nest pas la faute de Loulou. »

Camille sessuya les mains, sassit lourdement et baissa la tête.

« Antoine, je ne suis pas un monstre. Ta mère me fait de la peine aussi. Mais elle se mêle toujours de notre éducation, elle me critique, elle me fait des remarques. La dernière fois, elle ma même dit que jétais une mauvaise mère parce que je ne laissais pas Louise manger de la glace le soir ! »

« Elle veut juste aider »

« À sa façon ! » coupa Camille. « Et moi, je fais comment, à la façon des voisins ? Cest ma fille, et je sais ce qui est bon pour elle ! »

Louise débarqua de la salle de bains, le menton encore mouillé, un sourire radieux aux lèvres.

« Maman, Papa, si on appelait Mamie Hélène nous-mêmes ? On lui dirait quon a trop trop envie de la voir ! »

Camille et Antoine échangèrent un regard. Dans les yeux de sa femme, il vit une lassitude et une certaine résignation.

« Loulou, dépêche-toi, on va être en retard », dit doucement Camille.

La journée se déroula comme dhabitude. Camille emmena Louise à lécole, puis partit travailler dans un petit cabinet comptable où elle passait ses journées devant son ordinateur. Le travail était monotone, mais le salaire arrivait à temps, et cétait lessentiel.

À la pause déjeuner, sa collègue Élodie lui demanda :

« Camille, tu as lair préoccupée. Des problèmes à la maison ? »

« Des histoires de famille Ma belle-mère boude et ne veut plus venir. Et Loulou lattend. »

« Quest-ce qui sest passé ? »

Camille tourna sa cuillère dans sa soupe, déjà froide.

« Élodie, je suis peut-être une vraie garce, mais elle ne cesse de me dire comment élever mon enfant ! À chaque visite, cest : Camille, pourquoi Louise porte cette petite veste, elle va avoir froid, Camille, ce nest pas un peu tôt pour le coucher ?, Camille, vous devriez la faire dormir plus »

« Cest par amour pour sa petite-fille », remarqua Élodie.

« Je connais cet amour ! Quand Antoine était petit, elle lemmenait chez le médecin toutes les semaines pour un rien. Il ma raconté comment elle lempêchait de jouer avec les autres enfants, de peur quil tombe malade. Résultat, il a du mal à prendre des décisions tout seul ! »

Élodie haussa les épaules :

« Et maintenant, elle veut faire pareil avec Louise ? »

« Exactement ! Alors je préfère quelle ne vienne pas du tout. »

Mais Camille ne le pensait pas vraiment. Au fond, elle avait pitié de sa belle-mère, de Louise, et même dAntoine.

Le soir, une fois Louise couchée, les époux se retrouvèrent à la cuisine autour dune tasse de thé. Antoine feuilletait un magazine, Camille faisait des mots croisés. Silence.

« Dis », finit par dire Antoine. « Si on appelait Maman ? Lanniversaire de Loulou est dans une semaine. »

Camille leva les yeux, le regarda fixement.

« Tu veux lappeler ? »

« Je ne sais pas. Tu lui as dit que si elle naimait pas notre façon délever Louise, elle navait quà ne plus venir. Elle a pris la mouche et est partie. »

« Antoine, je ne lai pas chassée ! Je lui ai juste demandé de ne pas se mêler de notre éducation. Et elle a fait une scène, ma dit des horreurs et est partie en claquant la porte ! »

« Elle était juste blessée »

« Ta mère ! Ta mère ! » sénerva Camille. « Tu as trente-deux ans, une famille, une fille ! Quand est-ce que tu arrêteras dêtre le petit garçon de Maman pour devenir un mari et un père ? »

Antoine blêmit, les dents serrées.

« Ne sois pas méchante, Camille. »

« Je ne suis pas méchante, je suis honnête ! Ta mère a toujours tout décidé pour toi. Elle a même choisi ta femme, sauf que je ne correspondais pas à son idéal de belle-fille parfaite ! »

« Ce nest pas vrai »

« Si ! Tu te souviens de ce quelle a dit quand on sest mariés ? Bon, Antoine, on va voir comment Camille se débrouille avec la vie de famille. Comme si jétais en période dessai ! »

Antoine se leva, fit les cent pas.

« Daccord, admettons que Maman en fasse parfois trop. Mais ce nest pas une ennemie ! Elle veut bien faire »

« Elle veut contrôler ! » Camille se leva à son tour. « Et tu le sais très bien. Mais tu noses pas ladmettre. »

« Bon, daccord, soupira Antoine. On ne lappellera pas. Si tu es si catégorique »

« Je ne suis pas contre ! » sexclama Camille, surprise elle-même. « Je veux juste quelle comprenne les limites ! Quelle vienne en tant que grand-mère, pas en tant que chef de léducation ! »

« Alors, quest-ce que tu proposes ? »

Camille se rassit, la tête dans les mains.

« Je ne sais pas. Vraiment pas. »

Le lendemain, à lécole, Louise se battit avec un garçon de sa classe. La maîtresse convoqua Camille.

« Camille, dit sévèrement Mme Leblanc, Louise est devenue très agressive ces derniers temps. Elle se bat, crie sur les autres Que se passe-t-il à la maison ? »

Camille sentit son visage senflammer.

« Rien de spécial La vie normale. »

« Les enfants ressentent tout. Louise ne cesse de demander quand sa grand-mère viendra. Aujourdhui, elle a crié à Théo : Tu es méchant, comme Maman ! »

Camille baissa les yeux. Sa fille avait donc tout entendu.

« Je vais lui parler. »

« Je vous conseille de consulter un psychologue pour enfants »

« Non, merci. On va régler ça en famille. »

À la maison, Camille sassit près de Louise, qui jouait en silence avec ses légos.

« Loulou, parlons un peu. »

« De quoi ? » demanda la petite sans lever les yeux.

« De ce qui sest passé à lécole. Tu tes battue avec Théo. »

« Il a dit que Mamie ne viendrait plus jamais parce que Maman lavait chassée ! » sanglota Louise. « Et moi, jai dit quil mentait, mais il a rigolé ! »

Camille serra sa fille contre elle.

« Ma puce, personne na chassé Mamie. Les adultes ont parfois des désaccords »

« Cest quoi, des désacc »

« Quand on ne pense pas la même chose. Mais ça ne veut pas dire quon naime plus Mamie Hélène. »

« Alors pourquoi elle ne vient pas ? »

« Parce que » Camille hésita. Comment expliquer à un enfant ce quelle-même ne comprenait pas tout à fait ?

Louise leva vers elle des yeux pleins de larmes.

« Maman, si on allait chez Mamie nous-mêmes ? En bus, comme la dernière fois ! »

« Ma chérie, cest loin, et puis Mamie ne nous attend peut-être pas »

« Si on lappelait pour lui demander ? Maintenant ! »

Camille regarda lespoir dans les yeux de sa fille, et son cœur se serra.

« Daccord, murmura-t-elle. On lappelle. »

La sonnerie dura longtemps avant quune voix familière ne réponde. Camille sentit sa bouche devenir sèche.

« Hélène ? Cest Camille. »

Silence. Puis, dun ton sec :

« Oui ? »

« Hélène, cest bientôt lanniversaire de Louise. Elle vous attend »

« Je lui souhaiterai un joyeux anniversaire au téléphone. »

« Mais elle veut vous voir ! Elle vous manque »

« Et toi ? » demanda brusquement la belle-mère.

Camille fut déstabilisée.

« Moi Moi aussi Hélène, discutons calmement. Sans cris ni rancune. »

Silence à nouveau.

« Passe-moi Louise. »

« Mamie ! » sécria la petite, rayonnante. « Mamie, tu viens bientôt ? Jai appris à lire un nouveau livre ! »

Camille nentendit que la moitié de la conversation, mais elle vit le visage de Louise sassombrir.

« Mais Mamie, je veux que tu sois là pour mon anniversaire ! Tous mes copains demandent où tu es Pourquoi tu ne peux pas venir ? Cest quoi, des problèmes de grands ? »

Louise tendit le téléphone à sa mère.

« Mamie veut te parler. »

« Camille, dit Hélène dune voix lasse. Lenfant ne doit pas souffrir à cause de nous. »

« Je suis daccord. »

« Alors dis-moi ce que jai fait de si terrible ? Pourquoi tu ne maimes pas ? »

Camille ferma les yeux, appuya son front contre le mur froid.

« Hélène, ce nest pas que je ne vous aime pas. Mais Jai limpression que vous ne me faites pas confiance en tant que mère. Vous me donnez toujours des conseils, vous critiquez »

« Je veux juste aider ! Jai de lexpérience, jai élevé Antoine »

« Mais cest mon enfant ! » sénerva Camille. « Ma fille ! Et jai le droit de lélever comme je lentends ! »

« Tu as ce droit. Mais jai le droit dexprimer mon avis ! »

« Hélène, tenta Camille de se calmer. Quand vous me faites sans cesse des remarques, jai limpression dêtre une mauvaise mère. Pourtant, je fais de mon mieux. Jaime Louise plus que tout. »

Long silence. Puis Hélène murmura :

« Moi aussi, je veux son bien. Mais peut-être que nous ne le voyons pas de la même façon. »

« Peut-être. »

« Camille, si je viens en essayant de moins mimmiscer ? Est-ce que tu pourras être un peu plus patiente avec moi ? »

Camille sentit une tension se relâcher dans sa poitrine.

« Je peux essayer. »

« Alors je viendrai pour lanniversaire de Louise. Mais seulement deux jours. »

« Daccord. Hélène Merci. »

« Non, cest moi qui te remercie. De ne pas mavoir privée de ma petite-fille. »

Camille raccrocha et vit Louise qui lobservait, attentive.

« Maman, Mamie vient ? »

« Elle vient, mon soleil. »

« Et tu ne seras plus fâchée ? »

« Je vais essayer. »

Louise lui sauta au cou.

« Et moi, je vais être très sage pour que vous ne vous disputiez plus ! »

Ce soir-là, en racontant à Antoine leur conversation, Camille se sentit étrangement apaisée.

« Tu sais, dit-elle, peut-être quon a eu tort tous les deux. Moi, jai surréagi, et ta mère a été trop intrusive. »

« Elle a toujours eu du mal à trouver léquilibre, reconnut Antoine. Elle a besoin de tout contrôler. »

« Et moi, de tout gérer seule. Cest lexcès inverse. »

« Tu crois quon peut arranger les choses ? »

« Je ne sais pas. Mais on peut essayer. Pour Louise. »

Le jour de lanniversaire, Hélène arriva avec un énorme gâteau et un petit bouquet pour Camille.

« On ne la pas invitée », murmura Camille en la voyant à la porte, mais elle ajouta aussitôt, plus fort : « Mais on est si contents que vous soyez là. »

Hélène lui tendit les fleurs.

« Camille, recommençons. Je vais essayer dêtre juste une grand-mère. »

« Et moi, une belle-fille plus patiente. »

Louise dévala lescalier et se jeta dans les bras de sa grand-mère.

« Mamie ! Tu es venue ! Je croyais que tu ne maimais plus ! »

« Petite sotte, » chuchota Hélène, émue. « Comment ne pas taimer, ma chérie ? »

Camille regarda la scène et comprit quau fond, ils avaient préservé lessentiel : lamour. Il fallait juste apprendre à lexprimer autrement.

La fête se passa étonnamment bien. Hélène évita les conseils, Camille ignora les petites remarques. Louise était heureuse, et cela suffisait.

Au moment du départ, Hélène dit à Camille :

« Merci pour cette seconde chance. »

« Cest à moi de vous remercier. Daimer ma fille. »

« Notre fille, » corrigea Hélène en souriant.

Pour la première fois depuis longtemps, Camille eut limpression quils pourraient vraiment devenir une famille.

Оцените статью
– On ne t’a pas invitée – murmura ma belle-fille en me voyant sur le seuil
Après avoir examiné sa fille, Élodie aperçut des marques rouges de ceinture. Quelque chose se brisa en elle. Elle écarta doucement les enfants et se redressa.