– «Je n’ai pas de chambre en trop» – m’a dit ma fille quand je suis arrivée avec mes valises

**Journal intime 15 mai**

«Je nai pas de chambre en trop,» me dit ma fille lorsque jarrivai avec mes valises.

«Maman, as-tu tout préparé ? Tu nas pas oublié tes papiers ?» Élodie tripotait nerveusement la fermeture de son sac, debout près de la fenêtre de la cuisine.

«Tu me prends pour une vieille incapable ?» rétorquai-je en vérifiant pour la troisième fois le contenu de ma valise. «Passeport là, argent ici, médicaments Ah, ma robe de chambre ! Élodie, où est ma robe de chambre bleue ?»

«Dans larmoire. Maman, tu en auras vraiment besoin ? Amandine doit bien avoir quelque chose à te prêter.»

Je marrêtai, la regardant attentivement.

«Élodie, je ne pars pas pour un jour. Amandine ma invitée à rester un moment, loin du bruit de la ville. Lair y est pur, la rivière est proche. Tu me disais toi-même que ça me ferait du bien.»

«Je le disais, oui» Elle se détourna vers la fenêtre. «Mais je ne savais pas que Théo se retrouverait encore sans travail. Troisième fois cette année.»

Je mapprochai, posant une main sur son épaule.

«Tu ne men avais pas parlé. Que sest-il passé ?»

«À quoi bon ? Un nouveau chef est arrivé, il a voulu rafraîchir léquipe. Théo fut le premier sur la liste. Expérience ou pas, ils préfèrent embaucher des jeunes prêts à travailler pour des clopinettes.»

Je hochai la tête, massis sur un tabouret.

«Je vois Cest difficile. Je peux rester si tu veux, taider un peu»

«Non, maman. Pars. Amandine tattend, tout est prêt.» Elle se força à sourire, mais ce fut une grimace. «Repose-toi bien.»

Jallais répondre lorsque le téléphone sonna.

«Allô ? Maman ? Cest Amandine ! Alors, tu viens ? Jai tout préparé, la chambre est aérée, les draps sont frais !»

«Jarrive, ma chérie. Élodie me conduit à la gare.»

«Parfait ! Je commençais à minquiéter. Maman, tu mas tant manqué ! Ici, les pommiers sont en fleurs, lair est incroyable. Quel contraste avec votre smog parisien !»

«À bientôt, ma fille.»

Je raccrochai, regardant Élodie.

«Tu vois comme elle est heureuse. Six mois quelle ne ma pas vue.»

«Oui. Heureuse.» Elle prit les clés de la voiture. «Allons-y, maman, tu vas rater ton train.»

Le trajet se fit en silence. Mes tentatives de conversation nobtinrent que des réponses évasives.

«Élodie, si je restais ? Je sens que tu traverses une mauvaise passe.»

«Laisse, maman. Ça va. Ce nest pas la première fois que Théo est au chômage, il trouvera.»

«Et largent ? Comment ferez-vous ?»

Elle freina sec devant un feu rouge.

«On se débrouillera. Jai mon salaire, il touchera le chômage. On ne mourra pas de faim.»

«Mais le crédit de lappartement»

«Maman, sil te plaît ! Ne ten mêle pas. On est adultes.»

Je me tus, le cœur serré. Élodie navait jamais été aussi dure. Quelque chose clochait.

À la gare, alors que je montais dans le train, elle métreignit soudain.

«Désolée, maman. Je suis à bout.»

«Je comprends. Appelle-moi si besoin. Je reviendrai.»

«Repose-toi bien. Dis bonjour à Amandine.»

Le train sébranla. Élodie resta sur le quai jusquà ce quil disparaisse.

Amandine maccueillit à larrivée, un bouquet de lilas à la main.

«Maman ! Enfin !» Son étreinte était chaleureuse. «Le voyage sest bien passé ?»

«Très bien. Comme tu as bonne mine !»

«Cest lair pur dici. Viens, je te montre la maison !»

La maison était charmante modeste mais cosy, avec un grand jardin et une vue sur la rivière. Amandine me fit visiter chaque pièce, fière de ses meubles neufs.

«Ta chambre est ici,» dit-elle en ouvrant une porte. Deux fenêtres laissaient entrer le soleil.

«Magnifique. Et Julien ?»

«Au travail. Il sera ravi de te voir. Il parle souvent de tes tartes.»

«Je lui en ferai.» Je massis sur le lit. «Cest paisible, ici.»

«Oui. Julien a un bon poste, je donne des cours. On envisage des enfants bientôt.»

«Enfin des petits-enfants !»

Amandine prit ma main.

«Et Élodie ? Elle semblait triste au téléphone.»

«Des problèmes. Théo a été licencié.»

«Encore ? Mais cest un bon professionnel !»

«Pas de chance. Élodie est bouleversée.»

Amandine réfléchit.

«Et sils déménageaient ici ? Il y a du travail. Julien pourrait aider.»

«Je ne sais pas. Ils ont leur vie à Paris. Et leur crédit»

«Compliqué, oui.» Elle soupira. «Repose-toi, je prépare le dîner.»

Le soir, Julien fut enchanté de me voir. Nous bavardâmes longtemps sur la terrasse. Je sentis mon anxiété sestomper.

Une semaine passa. Jaidais aux tâches ménagères, me promenais, lisais. Mes appels à Élodie restaient tendus.

«Tout va bien ?»

«Ça va. Théo passe des entretiens.»

«Tu es fatiguée ?»

«Un peu. Mais je tiens.»

«Je peux rentrer si tu veux.»

«Non, reste. Amandine était si heureuse de taccueillir.»

Mais je minquiétais. Sa voix devenait plus fragile.

«Amandine, je crois que je vais rentrer,» dis-je un matin. «Je minquiète pour Élodie.»

«Tu viens à peine darriver ! Javais prévu des visites»

«Je sais. Mais mon instinct me dit quelle a besoin de moi.»

Elle soupira.

«Daccord. Julien te conduira.»

Dans le train, mon malaise grandit. Élodie ne répondait pas.

Je rentrai tard. Limmeuble semblait plus sombre que jamais. La porte était verrouillée.

«Élodie ! Cest moi !»

Pas de réponse. Puis des pas.

«Maman ? Tu es chez Amandine»

«Ouvre, ma chérie.»

Elle apparut, amaigrie, les yeux rougis.

«Que se passe-t-il ?»

«Rien. Je suis juste fatiguée.»

Les valises dans lentrée, les papiers sur la table tout parlait de départ.

«Où est Théo ?»

Elle seffondra sur le canapé.

«Je ne savais comment te le dire Il est parti. Pour de bon. Il ne supportait plus notre vie.»

Je la serrai contre moi.

«Ma pauvre chérie Et lappartement ?»

«Je le vends. Je ne peux pas assumer seule. La signature est la semaine prochaine.»

«Où iras-tu ?»

«Une location, peut-être.»

«Viens chez moi.»

«Ton studio est trop petit.»

«On sarrangera.»

Elle secoua la tête.

«Je ne veux pas te déranger. Et puis, le trajet pour mon travail»

«Et Amandine ? Elle proposait de taider.»

«Non. Je ne veux être un poids pour personne.»

Nous restâmes blotties longtemps, sans mots parfois. Ma présence suffisait.

Le lendemain, nous signâmes chez le notaire. Les acheteurs étaient sympathiques.

«Je me sens plus légère,» avoua-t-elle en rentrant. «Jeffacerai la dette, il me restera un peu.»

«Et ensuite ?»

«Je verrai. Peut-être chez Amandine, après tout. Elle ma rappelée hier.»

«Pars, alors. Lair pur te fera du bien.»

Elle sarrêta net.

«Tu viendras avec moi ?»

«Moi ? Jai ma vie ici mon appartement, mes amis, mon médecin»

«Mais tu seras seule.»

Je souris.

«Je my suis faite. Et je vous rendrai visite.»

Le jour du départ, nous emballâmes lessentiel.

«Le reste, je le vendrai,» dit-elle en regardant lappartement vide.

«Cest bien. Nouvelle vie, nouveaux horizons.»

À la gare, elle éclata en sanglots.

«Pardonne-moi. Davoir été dure, de ne rien tavoir dit Javais honte.»

«Ne sois pas ridicule. La vie recommence.» Je létreignis. «Amandine tattend. Jirai vous voir bientôt.»

«Promets.»

Le train partit. Je rentrai lentement. Lappartement silencieux était triste, mais pas désespéré. Javais bien fait de ne pas mimposer.

Une semaine plus tard, Élodie appela, joyeuse.

«Maman, jai trouvé ! Un poste de prof dhistoire au collège !»

«Formidable ! Et le logement ?»

«Chez Amandine pour linstant. Elle dit que je peux rester autant que nécessaire.»

«Elle a toujours été généreuse.»

«Et tu sais quoi ? Je dors paisiblement pour la première fois depuis des mois. Je crois que je suis à ma place ici.»

Je raccrochai, souriante. Elle irait bien.

Ce soir-là, jécrivis à Amandine pour la remercier. Parfois, la meilleure aide est une présence discrète.

Le lendemain, je contactai une agence de voyages. À mon âge aussi, on peut recommencer. Mes filles ont trouvé leur chemin. Il est temps que je vive pour moi.

«Je nai pas de chambre en trop,» avait dit Élodie. Elle avait raison. Il ny a pas de place inutile, pas plus que de personnes superflues. Chacun a son heure et sa place. La sagesse dune mère, cest de le comprendre.

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Pars, je suis fatiguée d’être ton option de secours – ai-je dit avant d’éteindre la lumière du salon