Kostik était assis dans son fauteuil roulant et regardait la rue à travers les vitres poussiéreuses. La malchance l’avait frappé.

Victor était assis dans son fauteuil roulant, contemplant la rue à travers les vitres poussiéreuses. Il navait pas eu de chance : la fenêtre de sa chambre dhôpital donnait sur une cour intérieure, où un petit square avec des bancs et des parterres de fleurs offrait un coin paisible, mais presque désert. De plus, cétait lhiver, et les patients sortaient rarement se promener. Victor se retrouvait seul dans sa chambre. Une semaine plus tôt, son voisin, Julien Dubois, avait été libéré, et depuis, la solitude pesait davantage. Julien était un garçon sociable, joyeux, qui connaissait un million dhistoires quil racontait avec talent, comme un véritable acteur. Dailleurs, il en était un étudiant en troisième année de conservatoire. Bref, avec Julien, lennui était impossible. Sa mère venait aussi chaque jour, apportant des pâtisseries délicieuses, des fruits, des sucreries quil partageait généreusement avec Victor. Avec son départ, cétait comme si toute la chaleur du foyer sétait envolée, laissant Victor plus seul que jamais.

Ses pensées mélancoliques furent interrompues par larrivée dune infirmière. En la voyant, son cœur se serra un peu plus : ce nétait pas la jeune et souriante Delphine, mais linfirmière toujours renfrognée, Lucie Morel. En deux mois dhospitalisation, Victor ne lavait jamais vue rire ou même esquisser un sourire. Sa voix était à limage de son visage : sèche, rude, désagréable.

« Alors, Moreau, on se croit au salon ? Au lit, vite ! » lança-t-elle, brandissant une seringue.

Victor soupira, pivota son fauteuil et se laissa glisser sur le lit. Dun geste précis, Lucie laida à sallonger avant de le retourner sans ménagement.

« Baisse ton pantalon. »

Il obéit et ne ressentit rien. Lucie était experte en injections, et Victor la remerciait mentalement chaque fois.

« Elle doit être à la retraite, pensa-t-il en lobservant chercher une veine sur son bras maigre. Une petite pension, obligée de travailler ça explique son humeur. »

La fine aiguille pénétra enfin dans sa veine bleuâtre, ne lui arrachant quune légère grimace.

« Voilà, Moreau, terminé. Le médecin est passé ? » demanda-t-elle brusquement en se préparant à partir.

« Non, pas encore peut-être plus tard. »

« Bon, attends alors. Et ne reste pas près de la fenêtre, tu vas attraper froid. Tu as déjà lair dun hareng fumé. »

Victor voulut se vexer, mais ne put : sous sa rudesse, il sentait comme une étrange sollicitude. Même si cétait la seule quil connaissait.

Victor était orphelin. Ses parents avaient péri dans un incendie lorsquil avait quatre ans. Leur maison de campagne avait brûlé, et seul Victor en était sorti vivant, marqué par une cicatrice à lépaule et un poignet mal ressoudé : sa mère, dans un dernier effort, lavait projeté par la fenêtre dans la neige avant que le toit ne seffondre. Ainsi avait-il atterri en foyer. Des parents éloignés existaient, mais aucun navait voulu de lui.

De sa mère, il tenait un caractère doux, rêveur, et des yeux verts lumineux. De son père, une grande taille, une démarche ample et un don pour les maths. Il se souvenait à peine deux, sauf par bribes : une fête villageoise, un drapeau quil agitait, son père le portant sur ses épaules, le vent chaud sur son visage Et un gros chat roux, nommé Mistigri ou peut-être Minou. Les souvenirs étaient tout ce qui lui restait : lalbum de famille avait brûlé avec le reste.

Personne ne lui rendait visite à lhôpital. À dix-huit ans, lÉtat lui avait attribué une chambre lumineuse en cité universitaire, au quatrième étage. Vivre seul lui plaisait, mais parfois, la solitude devenait insupportable. Peu à peu, il sy était habitué, y trouvant même des avantages. Pourtant, son enfance en foyer le rattrapait parfois : voir des enfants avec leurs parents lui rappelait amèrement ce quil navait jamais eu.

Après le lycée, il avait tenté luniversité, mais ses notes navaient pas suffi. Il sétait donc inscrit en BTS, où il sépanouissait, bien que ses camarades le trouvaient trop réservé. Les livres et les revues scientifiques lintéressaient plus que les fêtes ou les jeux. Même avec les filles, sa timidité le desservait. À dix-huit ans et demi, il en paraissait seize. Rapidement, il était devenu la « brebis galeuse » du groupe, sans que cela ne le dérange.

Deux mois plus tôt, pressé par un cours, il avait glissé dans un passage souterrain, se brisant les deux jambes. Les fractures étaient graves, la guérison lente et douloureuse. Mais ces dernières semaines, ça allait mieux. Lidée de quitter lhôpital le réjouissait et langoissait. Son logement navait ni ascenseur ni rampe daccès. Et il lui faudrait encore longtemps le fauteuil.

Laprès-midi, le Dr Laurent, le traumatologue, entra. Après avoir examiné ses radios, il annonça :

« Bonnes nouvelles, Victor. Vos fractures se consolident bien. Dans deux semaines, vous pourrez utiliser des béquilles. Inutile de rester ici, vous continuerez en ambulatoire. Vos papiers arrivent dans une heure. Quelquun vient vous chercher ? »

Victor hocha la tête, mentant.

« Parfait. Je vais demander à Lucie de vous aider. Portez-vous bien, et évitez de revenir. »

« Je ferai de mon mieux. »

Une fois seul, Victor réfléchit fébrilement à la suite. Lucie entra peu après.

« Alors, Moreau, on se prépare ? Vous êtes libéré. » Elle lui tendit son sac. « Rangez vos affaires. La femme de ménage arrive. »

Tout en pliant ses vêtements, Victor sentit son regard.

« Pourquoi avoir menti au docteur ? » demanda-t-elle, tête penchée.

« De quoi parlez-vous ? »

« Ne joue pas lidiot. Je sais que personne ne vient. Comment comptes-tu rentrer ? »

« Je me débrouillerai. »

« Tu ne pourras pas marcher avant deux semaines. Comment feras-tu chez toi ? »

« Je ne suis plus un enfant. »

Lucie sassit près de lui, scrutant son visage.

« Victor, ce nest peut-être pas mes affaires, mais tu auras besoin dun coup de main. Tu ne pourras pas tout faire seul. »

« Je me débrouillerai. »

« Non. Je suis dans le métier depuis longtemps. Pourquoi tentêtes-tu ? »

« Et vous, pourquoi vous en mêlez ? »

« Parce que tu peux venir chez moi. Jhabite loin, en banlieue, mais il ny a que deux marches. Et jai une chambre libre. Quand tu iras mieux, tu repartiras. Je vis seule, mon mari est mort il y a longtemps, et je nai pas eu denfants »

Victor la dévisagea, stupéfait. Vivre chez elle ? Ils ne se connaissaient pas. Et depuis longtemps, il ne comptait que sur lui-même.

« Alors ? »

« Cest gênant. »

« Arrête tes caprices, Moreau. Ce qui est gênant, cest de vivre seul en fauteuil sans ascenseur. Alors, tu viens ? »

Victor hésita. Dun côté, lidée le troublait. De lautre, Lucie nétait peut-être pas si étrangère que ça Ces derniers

Оцените статью
Kostik était assis dans son fauteuil roulant et regardait la rue à travers les vitres poussiéreuses. La malchance l’avait frappé.
Mon père sortait de la maison deux fois par semaine pendant quelques heures. Il revenait plein d’énergie et de bonne humeur. Bientôt, le secret de mon père fut révélé.