Une vieille dame assise sur un banc devant la maison qui n’est plus la sienne.

La vieille dame sur le banc, face à la maison qui nétait plus la sienne.

Grand-mère Élodie sasseyait sur un banc devant sa vieille maison, celle où elle avait passé toute sa vie. Pourtant, elle appartenait maintenant à dautres, et elle y vivait seulement par leur générosité. Élodie ne comprenait pas comment elle en était arrivée là. Elle croyait avoir mené une vie droite, sans malveillance, ayant élevé son fils unique.

Mais son fils navait pas tourné comme elle lavait espéré Les souvenirs défilaient dans son esprit tandis que des larmes amères coulaient sur ses joues. Tout avait commencé avec son mariage à son bien-aimé Louis. Un an plus tard, leur fils Théo était né. Puis vinrent des jumeaux, un garçon et une fille, mais ils étaient trop fragiles et ne survécurent pas. Peu après, Louis mourut dune appendicite. Les médecins navaient pas détecté la cause de sa douleur à temps, et quand la péritonite sinstalla, il était trop tard

Élodie pleura longtemps son mari, mais les larmes ne changeraient rien. La vie devait continuer. Elle ne se remaria jamais, bien que les prétendants ne manquassent pas. Elle craignait que Théo naccepte mal un beau-père et consacra toute son attention à son éducation.

Théo grandit et prit son propre chemin, séloignant delle pour la ville. Il y fit des études, se maria et poursuivit sa vie. Grand-mère Élodie resta seule dans sa petite maison, que Louis avait bâtie de ses mains. Et cest là quelle vécut jusquà sa vieillesse.

Théo rendait parfois visite à sa mère âgée, coupait du bois, puisait de leau et laidait comme il pouvait. Mais chaque année, il devenait plus difficile pour Élodie de gérer seule la maison. Elle navait quune chèvre et quelques poules, mais même cela demandait du travail.

Un jour, Théo arriva avec un inconnu.

Bonjour, maman, dit-il.

Bonjour, mon Théo.

Voici mon ami Mathieu, dit-il. Il souhaite voir la maison pour lacheter. Cela suffit, tu vis seule ici. Tu viendras habiter chez moi, en ville.

Grand-mère Élodie sassit brusquement, surprise.

Ne tinquiète pas, maman. Ma femme ny voit aucun inconvénient. Nous nous occuperons de toi, tu seras bien et tu aideras avec les petits-enfants. Ils demandent quand mamie Élodie viendra.

Ainsi, ils décidèrent pour elle. Que pouvait faire une vieille femme ? Elle ne pouvait plus tenir la maison seule, mais au moins, elle soccuperait de ses petits-enfants.

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La maison de grand-mère Élodie se vendit facilement. Avant de partir, elle fit ses adieux à chaque coin de son foyer, évoquant des souvenirs. Dans le jardin, derrière létable, un silence pesant lui serra le cœur. Autrefois, une vache y mugissait, des cochons grognaient, la chèvre bêlait et les poules couraient. Maintenant, tout était vide.

Elle prit une poignée de terre quelle avait labourée jour après nuit. Ce fut dur de quitter son village natal, où elle avait vécu toute sa vie. Les voisins pleurèrent en la voyant partir, promettant de prier pour son bonheur dans son nouveau foyer.

Un dernier regard vers la maison, puis elle monta dans la voiture de son fils. Que faire ? Ainsi va la vieillesse

Au début, vivre chez son fils fut agréable. Plus de corvées, pas de poêle à bois ni de bétail, tout était moderne et à portée de main. Grand-mère Élodie jouait avec ses petits-enfants, regardait la télévision.

Bientôt, avec largent de la vente, Théo acheta une voiture. Élodie tenta de protester, disant quil était imprudent de tout dépenser si vite, mais son fils la coupa net, lui signifiant quelle navait pas à sen mêler : elle vivait dans un appartement confortable, et cela devait lui suffire. Depuis ce jour, elle nen reparla plus, bien que les paroles dures de son fils leussent profondément blessée. Pire encore, lattitude de son fils et de sa belle-fille changea. Les petits-enfants devinrent moins affectueux.

La famille cessa de soccuper delle. Peu importait quelle ait mangé, dormi ou besoin de quoi que ce soit. Les choses empirèrent : on ne linvitait plus à table, on ne lui parlait plus. On lui répondait sèchement, voire en criant : quelle disait des bêtises, quelle était dans le chemin

Élodie était désemparée. Si elle avait su quelle ne serait bientôt quun fardeau, elle naurait jamais vendu sa maison. Mieux valait mourir de froid chez elle que de vivre ainsi, pire quune étrangère auprès de son propre fils.

Elle pleurait chaque jour sa petite maison. Si seulement elle pouvait revenir Mais dautres y vivaient maintenant.

Un jour, elle nen put plus et dit à son fils :

Je naurais jamais cru, mon Théo, que ma vieillesse serait si amère chez toi. Largent ta semblé plus important que ta propre mère. Je men vais.

Théo baissa les yeux sans répondre. Lorsquelle franchit la porte, ses valises à la main, il lança :

Quand tu seras fatiguée de vagabonder, tu pourras revenir.

Élodie sortit sans un mot et, dans lescalier, laissa éclater ses sanglots. Elle souffrait que son fils ne lait pas retenue, ne lait même pas consolée.

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Il lui fallut plus dun jour pour revenir à son village. Elle dormit dans la gare, fit du stop. Ses yeux ne séchèrent pas de larmes. Elle se calma seulement en revoyant sa chère maison. Les nouveaux propriétaires lavaient rénovée, repeinte, et elle ressemblait presque à ce quelle était du temps de son Louis.

Bien que la maison ne fût plus sienne, Élodie ny pensa pas. Elle se glissa dans le grenier de létable et décida dy vivre. Lessentiel était dêtre entre ces murs familiers.

Elle craignait seulement dêtre découverte et chassée, comme son fils lavait fait. Alors, elle naurait vraiment nulle part où aller.

Elle ne resta pas longtemps cachée. Le lendemain matin, le propriétaire lui-même vint nourrir les cochons. Il leva les yeux et dit :

Descendez, grand-mère Élodie. Nous devons parler.

Elle ne sattendait pas à être découverte si vite. Elle obéit, résignée.

Ce quelle entendit la stupéfia :

Grand-mère Élodie, dit Mathieu dune voix douce (celui-là même que Théo lui avait présenté). Ma femme et moi savons tout. Votre fils nous a prévenus que vous pourriez venir. Nous savons aussi que vous ne vous plaisez pas chez eux. Nous vous proposons de vivre avec nous. Ce grenier nest pas une place pour vous. Et puis, cette maison est la vôtre. Vous et votre mari lavez bâtie, entretenue. Il y aura toujours une place pour sa vraie maîtresse. Maintenant, reposez-vous, lavez-vous, et nous dînerons. Ma femme fait un excellent pot-au-feu !

Élodie nen croyait pas ses oreilles. Elle pleura encore, mais cette fois de gratitude. Des inconnus se montraient plus compatissants que son propre fils.

En franchissant le seuil, elle tremblait. Tout sentait sa vie passée. Elle comprit quà cause de Théo, elle était devenue une mendiante dans sa propre maison. Son cœur de mère saignait, mais ses lèvres murmuraient une prière : que Dieu pardonne à son fils

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