Quand la grand-mère a compris que son petit-fils rêvait de la chasser, elle a vendu lappartement sans un soupir.
Pourquoi sendetter quand on peut patienter jusquà ce que Mamie séteigne et récupérer son bien ? Cétait le raisonnement de Thibault, le cousin de mon mari. Sa femme, Aurélie, et leurs trois enfants vivaient dans lattente de cet héritage. Ils évitaient les emprunts, préférant fantasmer sur le jour où lappartement de Mamie tomberait dans leurs mains. En attendant, ils sentassaient chez la mère dAurélie, dans un minuscule deux-pièces à Lyon, et cette existence étriquée les étouffait. Thibault et Aurélie murmuraient de plus en plus souvent sur la manière de « régler le problème » avec Mamie.
Mais Mamie, Colette, était une perle rare. À soixante-quinze ans, elle débordait de vitalité, vivait avec passion et se portait comme un arbre en plein été. Son appartement en plein cœur de Lyon était toujours rempli damis. Elle maniait son téléphone avec aisance, courait les musées, assistait à des pièces de Molière et soffrait même quelques valses coquines lors des bals des seniors. Elle rayonnait, un véritable soleil. Mais pour Thibault et Aurélie, cétait une épine dans le pied. Ils en avaient assez dattendre.
Leur patience seffrita. Ils décidèrent que Colette devait léguer son appartement à Thibault et partir en maison de retraite. Ils ne cachaient même plus leurs intentions, prétendant que « Mamie y serait plus tranquille ». Mais Colette nétait pas du genre à se laisser marcher sur les pieds. Elle refusa sèchement, et ce fut létincelle qui embrasa tout. Thibault entra dans une colère folle, hurlant quelle était « égoïste » et « ne pensait pas à ses petits-enfants ». Aurélie attisait le feu, murmurant que Mamie avait « bien assez profité ».
Mon mari et moi, horrifiés, avons tout découvert. Colette rêvait depuis toujours de découvrir le Japon voir le mont Fuji, humer le thé matcha, se perdre dans les ruelles de Kyoto. Nous lui avons proposé de venir habiter chez nous, de louer son appartement pour financer son voyage. Elle accepta, et bientôt son grand trois-pièces en centre-ville lui rapporta un joli pactole. Thibault et Aurélie, lorsquils lapprirent, déclenchèrent une tempête. Ils estimaient que lappartement leur revenait de droit et exigeaient que Colette les y installe. Ils accusèrent même mon mari, Julien, davoir « manipulé » Colette pour lhéritage. Thibault réclama largent de la location, le qualifiant de « son dû ». Nous avons répondu que cétait hors de question, un point cest tout.
Aurélie se mit à venir nous voir presque tous les jours. Tantôt seule, tantôt avec les enfants, ou bien avec des cadeaux ridicules. Elle senquérait de la santé de Mamie, mais nous voyions clair dans son jeu : elle et Thibault espéraient toujours que Colette « parte » bientôt et leur laisse tout. Leur cupidité crasse nous laissait sans voix.
Pendant ce temps, Colette avait amassé assez dargent et partit au Japon. Elle revint éblouie, avec une valise pleine de souvenirs et de clichés. Nous lui avons suggéré daller plus loin : vendre lappartement et voyager encore, puis finir ses jours chez nous, dans la douceur. Elle y réfléchit et se décida. Son grand logement fut vendu à prix dor, et avec largent, elle sacheta un petit studio douillet en banlieue lyonnaise. Le reste finança de nouvelles escapades.
Colette parcourut lItalie, lAllemagne et la Belgique. Là-bas, lors dune croisière sur le lac de Constance, elle rencontra un Belge nommé Henri. Leur romance était digne dun roman : à soixante-quinze ans, elle lépousa ! Julien et moi avons pris le train jusquen Belgique pour le mariage, et ce fut féérique la voir resplendir dans une robe ivoire, entourée de pivoines et de rires. Colette méritait ce bonheur. Elle avait trimé toute sa vie, élevé ses enfants, aidé ses petits-enfants Enfin, elle vivait pour elle.
Thibault, apprenant la vente de lappartement, entra dans une fureur noire. Il exigea que Mamie lui cède le studio, affirmant qu« elle en avait bien assez ». Comment il comptait y caser cinq personnes restait un mystère. Mais cela ne nous regardait plus. Nous étions heureux quelle ait trouvé son épanouissement. Quant à Thibault et Aurélie Leur histoire rappelle que parfois, largent dévoile le vrai visage des gens.







