**Journal Intime**
Il poussa le portail qui céda sans un bruit, les gonds bien huilés. Un grognement satisfait lui échappa Dubois, bien sûr. Qui dautre que le voisin aurait pris soin de la maison ?
Il traversa la cour, déposa son sac près du perron, fit le tour une dernière fois, puis toucha machinalement la serrure ronde et brune. La clé Dubois en avait une, mais il navait pas envie de le déranger. Et puis, il était fatigué du voyage.
Soudain, il se souvint de quelque chose. Il passa la main au-dessus de la porte et sentit le petit cordon noir. La clé était toujours là. Il linséra dans la serrure, tourna. Un petit clic, et la porte souvrit sans résistance.
Il entra dans la véranda, où les rideaux brodés tremblaient légèrement sous la brise. Clémence les avait faits Il sourit en passant dans la maison. Sans allumer, il parcourut les pièces, respirant profondément. Lodeur familière le submergea. Ses yeux sembuèrent, son cœur battit la chamade.
Mon Dieu Il fouilla ses poches. Zut, ses médicaments étaient dans le sac. Il retourna le chercher, plaça un comprimé sous sa langue. Peu à peu, son cœur se calma, le bourdonnement dans ses oreilles satténua, même si ses tempes continuaient de marteler. Ça passerait.
Assis là, il se sentait si bien, si en paix Chez lui.
« Qui est là ? » Une voix résonna depuis lentrée ouverte.
« Cest moi, Louis »
« Eugène, cest toi ? »
« Oui. »
« Doù tu sors ? Ta fille, Élodie, est venue avec des gens Elle a dit que tu étais à lhôpital, que cétait compliqué. »
« Ils peuvent attendre, » murmura-t-il avec un sourire. « Quels gens ? »
« Qui sait ? Des citadins. Élodie leur montrait tout On a pensé que cétaient des acheteurs. Bon, allez, viens, la vieille a préparé à manger. Tu restes ? »
« Non, merci, Louis. Merci davoir veillé sur la maison. »
« Arrête, cest rien Allez, viens ! »
« Non, je suis bien ici. »
« Jarrive, attends. »
Comme sil allait partir Drôle didée. Cétait chez lui.
Il sinstalla près de la fenêtre et y resta jusquà laube, contemplant les premiers rayons du soleil.
Debout, il sétira, sortit dans la cour. Il vérifia les portes du cellier, jeta un coup dœil au bûcher, se rendit au potager. Tout était en ordre.
Vers midi, un moteur retentit. Une voiture sarrêta devant le portail. Qui était-ce ? Élodie avec une nouvelle voiture ?
Des rires, des voix animées. Ils sortaient des valises, des sacs Élodie ? Comment ? Elle avait vendu la maison à son insu ?
« Bonjour, quest-ce que vous faites ici ? »
« On va vivre ici, pépé. Et toi, tes qui ? »
« Vivre ici ? Qui vous a permis ? »
« On a acheté la maison, » dit un petit garçon denviron quatre ans, penchant la tête. Les autres continuaient, indifférents, à décharger leurs affaires.
« Acheté ? À qui ? Je ne vous laisserai pas entrer ! »
Il claqua la porte, mais ils la rouvrirent aussitôt, parlant de courant dair. Quel courant dair ? Les fenêtres étaient fermées.
« Jappelle la gendarmerie ! »
Il tenta de senfermer dans la maison, mais ils étaient plus forts.
« Les gonds grincent, faudrait les huiler, » dit un homme costaud.
Élodie Elle navait pas pu attendre. Elle avait vendu. Où irait-il maintenant ?
« Pépé, tu vas vivre avec nous ? »
« Non ! Et vous ne resterez pas ! »
Il se précipita pour récupérer les albums photos, les dessins dÉlodie
« Il faut appeler lancienne propriétaire. Arthur, ferme la porte ! »
« Maman, ce pépé, il va rester avec nous ? »
Le garçon montrait un portrait.
« Chut, assieds-toi. Il faut ranger ça. Cest sûrement lancien propriétaire. »
« Comment ça, ranger ? Je suis le propriétaire ! »
Il claqua la porte de la chambre et sassit sur le lit.
« Pépé, prends un bonbon. »
« Merci, petit. Pourquoi ils ne mécoutent pas ? »
« Je sais pas. Moi non plus, ils mécoutent pas. »
Ils téléphonaient À Élodie ? Tant mieux. Elle allait venir, il lui dirait quelle avait eu tort, quil ne lui en voulait pas. Juste quelle devait leur rendre leur argent.
Ils continuaient à tout emballer. Il attrapa un dessin : Élodie, petite, lui avait dessiné une carte pour la fête des pères. Et maintenant ? Elle avait vendu la maison de son vivant.
Sa maison. Leur maison. À lui, à Clémence, à Élodie.
Elle arriva enfin.
« Élodie, ma chérie »
Elle passa devant lui sans le voir.
« Élodie ! » Il la suivit. « Je suis là ! »
« Elle tentend pas, pépé. Personne ne tentend. Sauf moi. »
« Quoi ? Tu me vois, toi ? »
« Oui. Mais ils disent que jinvente. »
« Regarde Maman ! Tu vois ce pépé ? »
« Arthur, arrête ! »
« Tu vois ? Ils te voient pas. »
« Mais toi, tu me vois ? »
« Oui. »
« Attends Élodie non plus ? »
« Élodie ? »
« Oui, ma fille, là, en manteau rouge »
« Je vais demander. »
Le garçon courut vers elle.
« Élodie, vous voyez le pépé ? »
« Quel pépé ? »
« Arthur, ça suffit ! »
« Cest ton père ! » cria Arthur. « Il est là ! Il comprend pas pourquoi tu as vendu la maison ! »
« Attendez Arthur, tu le vois vraiment ? »
Le garçon hocha la tête.
« Comment il est ? »
Arthur décrivit lhomme devant lui.
« Cest un enfant, il imagine des choses »
« Tu peux lui répéter ? »
Arthur acquiesça.
« Élodie, tu te souviens quand on a pris lavion et que tu as vu les nuages par-dessus ? Tu as crié que tu voyais lenvers des nuages ? »
La femme pâlit.
« Et quand tu avais peur des oies ? Quand tu tasseyais sous le pommier pour quune pomme te tombe sur la tête ? En cinquième, tu étais amoureuse de Théo, tu le frappais tout le temps Sa mère est venue se plaindre, et jai reconnu mon premier amour. Tu te souviens ? »
« Papa Cest toi ? Où es-tu ? »
« Je suis là, près de toi. Je ne tai pas dit lessentiel, alors je suis revenu Je taime, ma fille. Je serai toujours là. »
Les femmes pleuraient, les hommes essuyaient leurs larmes.
« Cest un miracle »
Assise sur le banc, Élodie parlait doucement avec Arthur.
« Ma fille, » murmura Arthur. « Je dois y aller »
« Papa »
« Ne sois pas triste. Je dois partir. »
Elle étreignit le garçon.
« Il est parti, » dit Arthur. « Mais il a dit quil serait toujours là. Et aussi que Léa allait avoir un garçon. »
« Quoi ? On nous a dit que cétait une fille ! »
Le téléphone sonna.
« Allô ? Oui Un garçon ? Mais on nous avait dit »
Élodie regarda le ciel, pensive.
Merci Papa. Et au revoir.







